Depuis plus de deux ans, une question obsède les habitants du territoire de Guingamp, dans les Côtes-d’Armor : que deviendra la maternité locale, fermée aux accouchements depuis avril 2023 ? Ce silence obstétrical, qui dure désormais depuis 30 mois, a transformé un service de santé autrefois vital en symbole d’un malaise plus profond : la désertification médicale, l’éloignement des soins, et la perte d’autonomie des territoires ruraux. Alors que les élus de Guingamp-Paimpol Agglomération (GPA) relancent le débat avec une insistance renouvelée, l’avenir de cette maternité semble suspendu entre inquiétude citoyenne, enjeux politiques et logiques de centralisation hospitalière. À l’approche d’une réunion cruciale avec la nouvelle directrice de l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne, Véronique Solère, les tensions montent, les espoirs vacillent, et les voix se font entendre – celles des soignants, des futures mamans, et des élus déterminés à ne pas laisser filer un service essentiel.
Quel avenir pour la maternité de Guingamp, fermée depuis 2023 ?
En avril 2023, la maternité de l’hôpital de Guingamp a cessé d’accueillir les accouchements. Officiellement, cette suspension était temporaire, motivée par un manque de personnel médical et des difficultés à recruter des sages-femmes et des anesthésistes. Mais deux ans et demi plus tard, aucune reprise n’est en vue. Ce qui devait être une pause s’apparente aujourd’hui à une mise en sommeil durable, voire définitive.
Le territoire de Guingamp, qui dessert une population rurale éparse, se retrouve dans une situation préoccupante. Les futures mères doivent désormais se rendre à Saint-Brieuc, Plérin ou même Rennes pour accoucher, parfois à plus de 50 kilomètres de chez elles. Pour certaines, comme Élodie Le Goff, habitante de Plouisy, cela signifie des trajets longs et stressants, surtout en cas d’urgence. J’étais à 38 semaines quand j’ai perdu les eaux. J’ai dû conduire moi-même jusqu’à Saint-Brieuc, avec les contractions qui commençaient. Mon mari était au travail, loin. Je n’avais pas le choix. Je pense à celles qui n’ont pas de voiture, ou qui accouchent prématurément… Ce n’est pas acceptable , témoigne-t-elle, encore marquée par l’expérience.
La fermeture a un impact psychologique, mais aussi sanitaire. Des études montrent que la distance au lieu d’accouchement augmente les risques d’accouchements non planifiés en dehors des structures adaptées. On ne parle pas d’un service de confort, mais d’un maillon essentiel de la chaîne de soins périnatals , souligne le docteur Yannick Le Berre, gynécologue obstétricien ayant travaillé à Guingamp pendant quinze ans. La proximité, c’est de la sécurité. C’est aussi un facteur de sérénité pour la femme enceinte. Quand on supprime cela, on déshumanise la naissance.
Pourquoi les élus de Guingamp-Paimpol s’insurgent-ils ?
Le 30 septembre 2025, lors du conseil de rentrée de Guingamp-Paimpol Agglomération, les élus ont fait monter la pression. Le président de l’agglomération, Loïc Kerloëgan, a exprimé une colère partagée par beaucoup : J’ai pu voir dans la presse, avec beaucoup de surprises et de stupeurs, qu’il y allait avoir une augmentation des capacités d’accueil de la maternité à l’hôpital de Saint-Brieuc. Une annonce perçue comme un camouflet : alors que Guingamp perd ses services, Saint-Brieuc, à une trentaine de kilomètres, en gagne.
C’est une politique de recentrage qui sacrifie les territoires périphériques au profit des centres urbains , analyse Maëlle Kervella, élue écologiste au sein de GPA. On nous dit que c’est pour garantir la sécurité, mais on voit bien que les moyens vont là où il y a déjà des structures. Guingamp, c’est 15 000 habitants, plus de 30 000 dans son bassin de vie. On n’est pas un désert !
Les élus envisagent de s’inviter à la réunion prévue le 9 octobre entre la direction de l’ARS Bretagne et les représentants du secteur hospitalier. Une démarche symbolique, mais aussi stratégique : Nous ne sommes pas là pour faire du bruit, mais pour faire entendre une réalité de terrain , précise Loïc Kerloëgan. Si on ne se bat pas maintenant, on enterrera ce service sans avoir combattu.
Quel rôle joue l’Agence régionale de santé dans ce dossier ?
L’ARS Bretagne, dirigée depuis juillet 2025 par Véronique Solère, est au cœur de la décision. Chargée de planifier l’offre de soins sur le territoire régional, elle doit concilier sécurité médicale, attractivité des hôpitaux et équité territoriale. Mais ses choix sont souvent perçus comme technocratiques, déconnectés des réalités locales.
La nomination de Véronique Solère, ancienne cadre dans le ministère de la Santé, a suscité des espoirs. Elle a une réputation de pragmatisme et d’écoute , note le journaliste Guillaume Troadec, spécialiste des questions de santé en Bretagne. Mais elle arrive dans un contexte tendu. La fermeture des maternités rurales est un sujet explosif, surtout dans une région comme les Côtes-d’Armor, où l’attachement au lien territorial est fort.
À Guingamp, certains espèrent que cette nouvelle direction pourra rouvrir le dialogue. On ne demande pas de miracle, mais une étude honnête sur la faisabilité d’un retour progressif , insiste le docteur Le Berre. Un accueil limité à 200 accouchements par an, avec une équipe réduite mais stable, c’est possible. Il y a des modèles ailleurs en France.
La disparition des accouchements à Guingamp ne touche pas seulement les futures mères. Elle fragilise tout un écosystème médical. La maternité, même de petite taille, était un pôle d’attraction pour les professionnels de santé. Son déclin a entraîné une désaffection progressive : certaines sages-femmes ont quitté le territoire, d’autres ont changé de spécialité.
Pour Camille Rozec, sage-femme pendant douze ans à Guingamp, le départ a été douloureux. J’aimais ce lieu, cette proximité avec les patientes. On connaissait les familles, on les accompagnait sur plusieurs générations. À Saint-Brieuc, c’est plus impersonnel. Ici, on avait une vraie relation de confiance.
Le service de pédiatrie, lui aussi, a vu son activité diminuer. Moins de naissances, c’est moins de consultations, moins de recrutement, moins de dynamisme. On assiste à une spirale négative , alerte le docteur Le Berre. Quand on ferme un service, même partiellement, c’est tout un réseau qui se fragilise.
Socialement, la fermeture creuse un sentiment d’abandon. On se sent oubliés , confie Élodie Le Goff. On paie nos impôts, on participe à la vie locale, mais on n’a plus accès aux mêmes services que ceux des villes. C’est une injustice territoriale.
Existe-t-il des solutions pour sauver la maternité de Guingamp ?
Oui, mais elles nécessitent de la volonté politique et des moyens. Plusieurs pistes sont évoquées : le recrutement d’une équipe restreinte mais dédiée, le développement de l’accompagnement à domicile pour les grossesses à bas risque, ou encore la création d’un pôle périnatal associant Guingamp à d’autres structures voisines.
Des expériences similaires ont réussi ailleurs. Dans le Lot, la maternité de Figeac a été sauvée grâce à un partenariat entre hôpital local, ARS et collectivités. Un modèle que pourraient s’inspirer les élus bretons. Il faut repenser la périnatalité non pas en termes de centralisation, mais de réseau , propose Maëlle Kervella. Guingamp peut être un maillon, même modeste, d’un système plus vaste.
Un autre levier : la télémédecine. Des consultations prénatales à distance, des suivis renforcés via des applications sécurisées, ou encore des astreintes virtuelles pour les anesthésistes pourraient compenser en partie les manques de personnel. Ce n’est pas une solution miracle, mais cela peut aider à stabiliser l’offre , estime le docteur Le Berre.
Quelle est la position des citoyens et des associations ?
Les habitants ne restent pas passifs. Des collectifs se sont formés, comme Mères de Guingamp , qui milite pour la réouverture du service. Des pétitions ont circulé, des manifestations organisées. En juin 2025, plus de 800 personnes ont marché dans les rues de la ville, portant des pancartes : Nos bébés naîtront ici , Accouchement, droit fondamental .
On ne veut pas d’un hôpital de seconde zone, on veut un accès égal aux soins , affirme Lucie Tanguy, porte-parole du collectif. Nous ne sommes pas contre Saint-Brieuc, mais contre la logique qui consiste à tout concentrer ailleurs.
Les élus locaux saluent cette mobilisation. C’est une pression salutaire , reconnaît Loïc Kerloëgan. Elle montre que ce n’est pas un sujet technique, mais vital.
Que peut-on espérer après la réunion du 9 octobre ?
L’enjeu du rendez-vous du 9 octobre est considérable. Si les élus de GPA parviennent à s’imposer à la table des discussions, ils pourraient forcer l’ARS à reconsidérer sa stratégie. Une reconnaissance du rôle de Guingamp comme pôle de proximité, même limité, serait un premier pas.
On ne demande pas de rouvrir demain avec 300 accouchements par an , insiste Maëlle Kervella. Mais qu’on nous dise clairement : voilà les conditions pour rouvrir, et nous, collectivités, on s’engage à les remplir.
Le docteur Le Berre espère un retour progressif, avec un pilote restreint. Commencer par accueillir 50 à 80 naissances par an, pour tester la faisabilité, former les équipes, rassurer les patients. C’est réaliste.
Conclusion : un symbole de la santé territoriale en péril
La maternité de Guingamp n’est pas qu’un service de santé. C’est un symbole. Celui de l’accès équitable aux soins, de la dignité des territoires ruraux, de la place de l’humain dans la médecine. Sa fermeture prolongée reflète une tendance lourde : la concentration des soins dans les grandes villes, au détriment des zones moins densément peuplées. Mais elle montre aussi que la résistance est possible. Grâce à la mobilisation des citoyens, à la ténacité des élus, et à la voix des soignants, un espoir subsiste. Le 9 octobre 2025 pourrait marquer un tournant. Pas forcément la réouverture immédiate, mais le début d’un dialogue honnête, construit sur des données réelles et non sur des arbitrages invisibles. Car, comme le dit Élodie Le Goff : Un bébé, ce n’est pas une statistique. C’est une vie qui commence. Et elle devrait pouvoir commencer ici, comme ailleurs.
A retenir
Quelle est la situation actuelle de la maternité de Guingamp ?
La maternité de Guingamp n’accueille plus aucun accouchement depuis avril 2023, en raison de difficultés de recrutement et de manque de personnel. Cette suspension, initialement temporaire, dure depuis plus de trente mois, suscitant des inquiétudes sur un possible arrêt définitif.
Pourquoi les élus s’opposent-ils à la fermeture ?
Les élus de Guingamp-Paimpol Agglomération dénoncent une politique de recentrage hospitalier qui favorise les centres urbains au détriment des territoires ruraux. Ils jugent inacceptable que Saint-Brieuc voie ses capacités augmenter alors que Guingamp est laissé en retrait, malgré un bassin de population significatif.
Quel est le rôle de Véronique Solère, nouvelle directrice de l’ARS Bretagne ?
Véronique Solère, nommée à la tête de l’ARS Bretagne en juillet 2025, incarne une nouvelle direction appelée à trancher sur l’avenir des services de santé locaux. Son ouverture au dialogue et sa connaissance des enjeux nationaux en font une interlocutrice clé pour les élus et les soignants de Guingamp.
Quelles sont les alternatives possibles ?
Plusieurs pistes sont envisagées : un retour progressif avec un nombre limité d’accouchements, le renforcement de la télémédecine, ou la création d’un réseau périnatal associant plusieurs hôpitaux. Des modèles similaires ont fonctionné ailleurs en France, prouvant qu’une maternité de proximité peut être viable.
Quelle est la mobilisation citoyenne autour de ce dossier ?
Des collectifs comme Mères de Guingamp ont été créés pour défendre la réouverture du service. Des pétitions, des marches et des témoignages ont permis de maintenir le sujet dans l’actualité, montrant que la population refuse l’abandon progressif de ses services de santé.