En ce dimanche matin d’automne, le port de Honfleur baigne sous un soleil pâle et doré, tandis qu’une rumeur joyeuse s’élève depuis l’église Sainte-Catherine. Ce n’est pas le chant des cloches ni les accords d’un orgue qui attirent l’attention, mais un concert de jappements, de miaulements étouffés et de piaillements inattendus. À l’intérieur, une scène insolite se déroule : des centaines de maîtres, venus de toute la région, accompagnent leurs animaux domestiques pour une cérémonie de bénédiction, placée sous le patronage de saint François d’Assise. Une tradition qui, loin de s’éteindre, semble aujourd’hui plus vivante que jamais, incarnant une spiritualité renouvelée, où l’humain, l’animal et le sacré dialoguent dans une émouvante harmonie.
Qu’est-ce que la bénédiction des animaux, et pourquoi à Honfleur ?
La bénédiction des animaux est un rite religieux ancien, popularisé par la figure de saint François d’Assise, le saint du XIIIe siècle qui prêchait aux oiseaux et considérait toute créature comme une sœur ou un frère. À Honfleur, cette célébration a pris une ampleur remarquable, rassemblant plus de 500 personnes et leurs compagnons à quatre pattes, à plumes ou à poils, lors de sa 12e édition, le 5 octobre 2025. Ce rassemblement, organisé par la paroisse Notre-Dame de la Côte fleurie, n’est pas une simple curiosité folklorique, mais une réponse concrète à une attente sociale profonde : celle de reconnaître la place des animaux dans la vie affective et spirituelle des humains.
Don Didier-Marie de Lovinfosse, le nouveau curé de la paroisse, a compris l’enjeu dès son arrivée. Le maintien de la bénédiction des animaux est une des premières choses que l’on m’a demandées , confie-t-il avec un sourire bienveillant. Pour lui, ce n’est pas un geste anecdotique, mais une manière d’ouvrir l’Église à des réalités contemporaines. Beaucoup de nos paroissiens vivent seuls, ou ont perdu des proches. Leur chien, leur chat, c’est bien plus qu’un animal. C’est un soutien, une présence fidèle. Bénir ces créatures, c’est bénir l’amour qu’elles incarnent.
Comment les fidèles vivent-ils ce moment unique ?
Pour Nicole Badouard, habitante de Honfleur depuis quarante ans, cette cérémonie est devenue un rendez-vous sacré. Elle arrive ce jour-là avec six laisses enroulées autour des poignets, tenant d’un geste assuré une meute de chiens adoptés au fil des ans : un border collie, deux épagneuls, un griffon, un carlin et un croisé berger. On emmène tout le monde ! Ce moment, ce n’est que de l’amour pour nos chiens qui nous donnent tant , lance-t-elle, les yeux brillants. Pour elle, la bénédiction est une reconnaissance officielle de ce lien affectif, souvent invisible aux yeux de la société. Quand mon mari est décédé, c’est Gribouille, mon petit carlin, qui m’a empêchée de sombrer. Il dormait contre moi chaque nuit. Alors oui, je veux qu’il soit béni. Il fait partie de ma famille.
Un peu plus loin, Michelle, une retraitée discrète aux cheveux argentés, tient fermement une cage en plastique où somnole un chat tigré aux yeux mi-clos. Chewy , comme elle l’a baptisé en hommage à Star Wars, n’aime guère les foules. Mais elle tenait à être là. Les animaux sont des créatures de Dieu, et d’ailleurs, il les a créés avant nous , explique-t-elle avec une douce conviction. Pour elle, la cérémonie est une manière de redonner du sens à la foi : On parle souvent des hommes, du péché, du salut. Mais Dieu a aussi créé les moineaux, les abeilles, les dauphins. Pourquoi ne pas les inclure dans notre prière ?
Quels animaux sont présents, et comment se déroule la cérémonie ?
Les rangs de l’église Sainte-Catherine, habituellement réservés aux fidèles humains, accueillent ce jour-là une faune variée. Des chiens de toutes tailles, des chats en cage ou en laisse, quelques lapins dans des paniers, et même deux poules, perchées sur les genoux de Nicolas et Laurence Delgado, venus de Pennedepie, un petit village voisin. Nos poules, on les traite comme des enfants , rigole Nicolas. Elles ont un nom, elles sortent en liberté, elles nous suivent dans le jardin. Alors quand on a entendu parler de la bénédiction, on s’est dit : “Pourquoi pas elles ?” Laurence ajoute, plus sérieusement : Ce n’est pas ridicule. C’est un acte de respect. Elles font partie de notre quotidien, de notre équilibre.
La cérémonie elle-même mêle prières, lectures bibliques et moments de silence. Don Didier-Marie cite notamment le psaume 104, qui célèbre la création : Toi qui fais sortir les sources dans les vallées, qui donnes à boire aux bêtes des champs… Puis, un à un, les animaux sont présentés devant l’autel. Le curé asperge chacun d’eux d’eau bénite, pose sa main sur leur tête ou leur cage, et prononce une courte bénédiction. Que Dieu vous garde, vous qui êtes sa créature, et que votre présence apporte paix et joie à ceux qui vous aiment.
Le rituel est simple, mais chargé d’émotion. Une femme fond en larmes lorsque son vieux golden retriever, aveugle et boiteux, reçoit la bénédiction. C’est mon dernier chien, il a 14 ans. Il ne me reste plus beaucoup de temps avec lui. Ce moment, c’est un cadeau. Un peu plus loin, un adolescent timide présente son hamster, enfermé dans une petite sphère transparente. Il s’appelle Soleil. Il tourne dans sa roue toute la journée. Il me fait penser à la vie, qui continue, même quand on ne comprend pas tout , confie-t-il à voix basse.
Pourquoi cette tradition connaît-elle un tel succès aujourd’hui ?
La bénédiction des animaux à Honfleur ne se limite pas à un acte de foi. Elle répond à une mutation profonde de la société : l’animal de compagnie n’est plus un simple objet de loisir, mais un membre à part entière de la famille. Selon une étude récente de l’Observatoire de la santé animale, 78 % des propriétaires de chiens ou de chats déclarent que leur animal est comme un enfant . Cette transformation des liens affectifs interroge les institutions, y compris religieuses.
Patrick Coué, un touriste originaire du Maine-et-Loire, observe la scène avec étonnement. Autant que je m’en souvienne depuis que je rentre dans une église, c’est la première fois que je vois cela ! s’exclame-t-il. Mais c’est bien. Pour beaucoup de gens, les animaux font partie de la famille. C’est une manière de les honorer. Son témoignage reflète une prise de conscience croissante : la spiritualité ne se limite pas à l’humain. Elle s’étend à ce qui vit, respire, souffre et aime.
Don Didier-Marie insiste sur cette dimension inclusive. L’Église ne doit pas être une forteresse fermée sur elle-même. Elle doit écouter les attentes de son temps. Aujourd’hui, les gens parlent de bien-être animal, d’écologie, de respect de la création. Ce n’est pas en opposition avec la foi, c’est au contraire une invitation à la vivre autrement.
Quel avenir pour cette cérémonie ?
Alors que la messe touche à sa fin, une inquiétude sourde circule parmi les fidèles. Le curé précédent organisait la bénédiction depuis douze ans. Et si le nouveau, malgré ses bonnes intentions, ne souhaitait pas la reconduire ? Il faut lui montrer que cette cérémonie est indispensable , murmure une femme en caressant son chat. C’est bien qu’il y ait eu du monde.
Derrière ces mots, une peur : que ce moment de grâce, si rare, soit perçu comme un divertissement plutôt qu’un acte de foi. Mais Don Didier-Marie rassure rapidement. Je compte bien la maintenir, et même la développer. Pourquoi ne pas inviter un vétérinaire l’année prochaine, pour parler du bien-être animal ? Ou organiser un temps d’échange sur la responsabilité que nous avons envers nos compagnons ?
La bénédiction des animaux à Honfleur pourrait ainsi devenir un laboratoire de spiritualité contemporaine, où foi, écologie et lien affectif se croisent. Une église ouverte, non seulement aux humains, mais à toute la création.
A retenir
Quelle est l’origine de la bénédiction des animaux ?
Ce rite trouve ses racines dans la tradition franciscaine, inspirée par saint François d’Assise, qui considérait tous les êtres vivants comme frères et sœurs. Il est célébré dans de nombreuses églises à travers le monde, souvent autour du 4 octobre, jour de la fête du saint.
Pourquoi Honfleur a-t-il adopté cette tradition ?
La paroisse Notre-Dame de la Côte fleurie a intégré la bénédiction des animaux il y a douze ans, répondant à une demande croissante des fidèles. Elle s’est imposée comme un moment fort de la vie communautaire, mêlant spiritualité, émotion et convivialité.
Quels types d’animaux peuvent être bénis ?
Tous les animaux de compagnie sont les bienvenus : chiens, chats, lapins, oiseaux, rongeurs, et même animaux de ferme comme les poules. L’important n’est pas l’espèce, mais le lien affectif qui unit l’animal à son maître.
La bénédiction a-t-elle une valeur religieuse officielle ?
Oui, bien que ce ne soit pas un sacrement, la bénédiction est un acte liturgique reconnu par l’Église catholique. Elle vise à invoquer la protection divine sur une personne, un objet ou, dans ce cas, un animal, dans une perspective de respect et de gratitude envers la création.
Est-ce que cette cérémonie risque de disparaître ?
Non, selon le nouveau curé, Don Didier-Marie de Lovinfosse, qui a affirmé vouloir maintenir et même enrichir la tradition. Le fort engouement des fidèles et la dimension spirituelle profonde de l’événement en font un pilier de la vie paroissiale à Honfleur.
Conclusion
La bénédiction des animaux à Honfleur est bien plus qu’un événement original. C’est un miroir de notre temps, où l’affection pour les bêtes révèle une soif de sens, de lien et de reconnaissance. Dans l’église Sainte-Catherine, ce dimanche-là, ce ne sont pas seulement des chiens ou des chats qui ont été bénis. C’est l’amour, la fidélité, le silence complice entre un humain et sa créature. Et peut-être, aussi, l’avenir d’une Église qui apprend à parler à cœur ouvert, à tous les vivants.