Un médecin à portée de main : le dispositif qui révolutionne l’accès aux soins en Bretagne

En plein cœur de la Bretagne, deux territoires ruraux, Brennilis dans le Finistère et Gourin dans le Morbihan, deviennent des laboratoires d’un nouveau modèle de santé publique. Le dispositif Un médecin près de chez vous , lancé en avril 2025 sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre François Bayrou, vise à repousser les frontières des déserts médicaux qui étouffent de nombreuses campagnes françaises. Ce programme, porté par l’Agence régionale de santé (ARS) et l’Assurance maladie, s’inscrit dans une stratégie nationale de rapprochement des soins du quotidien. Mais comment fonctionne-t-il concrètement ? Quelles sont les attentes des populations concernées ? Et surtout, peut-il vraiment transformer l’offre de soins dans les zones les plus isolées ? À travers des témoignages et une analyse fine du dispositif, plongée au cœur d’une réforme qui pourrait bien redessiner la carte de la médecine de proximité.

En quoi consiste ce dispositif ?

Le dispositif Un médecin près de chez vous repose sur un principe simple mais ambitieux : déployer des médecins généralistes volontaires pour assurer des permanences régulières dans des zones déficitaires en offre médicale. Ces professionnels s’engagent à consacrer trois jours par mois à une structure de soins locale, qu’il s’agisse d’un cabinet mutualisé, d’un centre de santé ou d’un local mis à disposition par la mairie. L’objectif est d’assurer une présence médicale continue, même partielle, là où plus aucun praticien ne veut s’installer durablement.

Le dispositif s’appuie sur une collaboration étroite entre l’ARS et l’Assurance maladie, qui identifient conjointement les territoires les plus en difficulté. Une fois les zones ciblées, un appel à volontaires est lancé auprès des médecins exerçant à proximité ou prêts à se déplacer. Les praticiens sélectionnés bénéficient d’une rémunération complémentaire, prise en charge par les organismes publics, ainsi que d’un accompagnement logistique pour faciliter leur intégration.

À Brennilis, commune de moins de 500 habitants nichée au creux du Parc naturel régional d’Armorique, le besoin est criant. Depuis la retraite du dernier médecin en 2023, les habitants doivent parcourir plus de 25 kilomètres pour consulter. C’est un quotidien compliqué, surtout quand on a des douleurs chroniques ou qu’on est âgé , confie Élodie Le Goff, 68 ans, ancienne enseignante. On attendait une solution depuis des années. Ce dispositif, même s’il n’est pas parfait, c’est un début d’espoir.

Comment les territoires sont-ils sélectionnés ?

La cartographie des déserts médicaux est un outil central de cette politique. L’ARS utilise des critères précis pour identifier les zones prioritaires : ratio de médecins par habitant, temps de déplacement moyen pour accéder à un soin, taux de recours aux urgences pour des motifs évitables, et densité de population. Brennilis et Gourin ont été retenus après une analyse fine de ces indicateurs.

À Gourin, bourg de 4 000 âmes traversé par la route départementale 766, la situation est similaire. Le dernier cabinet médical a fermé en 2024, laissant les habitants dépendants des centres de Pontivy ou Quimper. On a vu des patients renoncer à des soins pour des raisons de mobilité , explique Yannick Kervella, infirmier libéral depuis vingt ans. Certains n’ont pas de voiture, d’autres ont du mal à se déplacer en hiver. L’absence de médecin local, c’est un risque sanitaire.

Le choix de ces deux sites n’est pas anodin. Ils représentent deux profils de territoires ruraux : l’un très isolé, l’autre semi-centré mais victime d’un exode médical. Leur sélection vise à tester la faisabilité du dispositif dans des contextes différents, afin d’ajuster le modèle avant un éventuel déploiement national.

Qui sont les médecins volontaires ?

Les praticiens qui répondent à l’appel sont souvent des généralistes déjà installés à proximité, motivés par une dimension citoyenne autant que professionnelle. C’est le cas de Thomas Mével, 52 ans, médecin à Châteaulin, à une trentaine de kilomètres de Brennilis. J’ai grandi dans une petite commune bretonne, je connais cette solitude médicale , raconte-t-il. Quand j’ai vu l’annonce, je n’ai pas hésité. Trois jours par mois, ce n’est pas énorme, mais pour les patients, ça peut tout changer.

Le profil des volontaires est varié : certains sont proches de la retraite et souhaitent rester actifs sans surcharge, d’autres sont plus jeunes et sensibles à la solidarité territoriale. Tous bénéficient d’un accompagnement logistique : mise à disposition d’un cabinet équipé, assistance administrative, et parfois hébergement temporaire pour les plus éloignés.

Un autre levier d’attractivité est la perspective d’une collaboration avec d’autres professionnels de santé. Dans les deux sites, des infirmiers, des aides-soignants et des pharmaciens locaux ont été associés au projet. On ne veut pas d’un médecin en mission éphémère, mais d’un acteur intégré , précise Sophie Arnaud, coordinatrice santé à l’ARS Bretagne. L’idée, c’est de créer du lien, pas juste de combler un vide.

Quels services sont proposés sur place ?

Les consultations assurées dans le cadre du dispositif couvrent l’essentiel des besoins de première ligne : suivi des maladies chroniques (diabète, hypertension), bilans de santé, vaccinations, orientation vers des spécialistes. Le médecin peut également réaliser des actes simples comme des prélèvements ou des pansements, en lien avec les infirmiers du secteur.

À Brennilis, une salle municipale a été réaménagée en cabinet médical temporaire, avec deux boxes de consultation, un espace d’attente et une connexion sécurisée au dossier patient partagé (DPS). Ce n’est pas un hôpital, mais un lieu d’accueil digne , souligne le maire, Loïc Le Berre. Les gens se sentent respectés.

Un point d’attention particulière est porté sur les seniors et les personnes isolées. Des permanences téléphoniques sont mises en place pour les suivis à distance, et des visites à domicile peuvent être organisées en coordination avec les infirmiers libéraux. Ce n’est pas un remplacement du médecin traitant, mais un complément , insiste Thomas Mével. On travaille en réseau, pas en remplacement.

Quel impact sur les populations locales ?

Les premiers retours sont encourageants. À Gourin, plus de 120 consultations ont été réalisées en deux mois. Avant, je devais attendre trois semaines pour voir un médecin. Là, j’ai été reçue en dix jours , témoigne Maëlle Ricordeau, mère de deux enfants, souffrant d’une infection urinaire. C’est une bouffée d’air.

Pour les personnes âgées, l’effet est encore plus marqué. Jean-François Le Moal, 79 ans, vit seul dans une ferme isolée. Avant, pour un mal de dos, je devais demander à mon voisin de me conduire à Pontivy. Maintenant, je sais que le médecin vient ici le deuxième mardi de chaque mois. C’est une sécurité.

Le dispositif a aussi un effet indirect : il redonne confiance aux habitants dans la capacité des pouvoirs publics à agir. On ne se sent plus oubliés , dit Élodie Le Goff. Même si ce n’est pas la solution miracle, c’est un signe que l’État écoute.

Quels sont les défis à surmonter ?

Malgré les avancées, plusieurs obstacles persistent. Le premier est la durabilité du modèle. Trois jours par mois, c’est mieux que rien, mais insuffisant pour assurer un suivi continu. On a besoin d’un médecin à temps plein, pas d’un intermittence , tempère Yannick Kervella. Ce dispositif doit être un tremplin, pas une fin en soi.

Un autre défi est la coordination avec les autres acteurs de santé. Le risque, selon certains professionnels, est de créer une double offre : d’un côté les médecins volontaires, de l’autre les libéraux installés. Il faut éviter les concurrences, et favoriser les coopérations , insiste Sophie Arnaud. Des réunions de concertation mensuelles ont été instaurées pour fluidifier les échanges.

Enfin, la question du recrutement à long terme reste en suspens. Le dispositif ne résout pas le problème fondamental de l’attractivité des zones rurales pour les jeunes médecins. Il faut plus d’incitations, plus de logements, plus de soutien , plaide Thomas Mével. Sinon, on bricole.

Quelle suite pour ce dispositif ?

Le succès de Brennilis et Gourin pourrait servir de base à une généralisation. Selon des sources proches du ministère de la Santé, une centaine de territoires pourraient être éligibles d’ici 2026. L’objectif affiché est de créer 5 000 maisons de santé ou points d’accès médical à moins de 30 minutes de chaque foyer, dans le cadre du plan France Santé .

Le dispositif Un médecin près de chez vous n’est pas conçu comme une solution unique, mais comme une pièce parmi d’autres dans une stratégie globale : incitations financières, création de postes salariés en médecine de terrain, développement de la télémédecine, et renforcement des maisons de santé pluriprofessionnelles.

A retenir

Quel est l’objectif principal du dispositif ?

Le dispositif Un médecin près de chez vous vise à lutter contre les déserts médicaux en assurant une présence médicale régulière dans des zones rurales déficitaires, grâce à des généralistes volontaires qui s’engagent à effectuer trois jours de permanence par mois.

Où est-il expérimenté en Bretagne ?

Les deux sites pilotes en Bretagne sont Brennilis, dans le Finistère, et Gourin, dans le Morbihan. Ces communes ont été choisies pour leur isolement et l’absence de médecin généraliste depuis plusieurs années.

Comment les médecins sont-ils rémunérés ?

Les médecins volontaires bénéficient d’une rémunération complémentaire prise en charge par l’ARS et l’Assurance maladie, ainsi que d’un soutien logistique, notamment en matière d’équipement et parfois d’hébergement.

Quels services sont proposés aux patients ?

Les consultations incluent le suivi des pathologies chroniques, les bilans de santé, les vaccinations, et l’orientation vers des spécialistes. Une coordination avec les infirmiers et pharmaciens locaux permet d’assurer une continuité des soins.

Le dispositif peut-il remplacer un médecin traitant ?

Non, il ne s’agit pas d’un remplacement, mais d’un complément à l’offre de soins. Le médecin volontaire travaille en réseau avec les professionnels du territoire et peut assurer des consultations ponctuelles ou des suivis simples, sans prendre en charge la totalité de la relation de soins.

Quelle est la perspective d’extension ?

Les résultats des expérimentations à Brennilis et Gourin seront évalués d’ici fin 2025. S’ils sont concluants, le dispositif pourrait être étendu à une centaine d’autres territoires en France, dans le cadre du plan national France Santé .