Chaque année, des milliers de Français traversent une période de deuil, souvent sans savoir vers qui se tourner ni comment exprimer ce qu’ils ressentent. Le chagrin, silencieux et profond, peut s’insinuer dans tous les aspects de la vie : sommeil, relations, travail, identité. Pourtant, malgré sa fréquence, le deuil reste un sujet tabou, mal compris, parfois minimisé. Dans ce contexte, certaines personnes choisissent de faire appel à un psychologue spécialisé, non pas par faiblesse, mais par volonté de traverser cette épreuve avec lucidité et accompagnement. Cet article explore les raisons pour lesquelles consulter un psychologue en période de deuil peut être une démarche essentielle, à travers des témoignages, des analyses psychologiques et des pistes concrètes pour avancer.
Le deuil, une expérience universelle mais unique
Le deuil n’est pas une maladie, mais une réaction humaine profondément naturelle à la perte d’un être cher. Que ce soit un conjoint, un parent, un enfant ou un ami proche, la douleur qu’il engendre varie selon les individus, les liens affectifs, les circonstances de la mort, et les ressources personnelles. Pourtant, malgré cette diversité, certaines étapes sont souvent observées : le choc, la colère, la tristesse, la culpabilité, et, parfois, une forme de résignation progressive.
Clémentine Vasseur, psychologue clinicienne à Lyon, souligne : Le deuil n’est pas une ligne droite. C’est un cheminement en dents de scie. On croit avancer, puis une odeur, une chanson, un geste familier vous ramène des mois en arrière. Ce n’est pas un échec, c’est la preuve que l’amour persiste.
Prendre conscience de cette complexité est le premier pas vers une prise en charge bienveillante. Pourtant, beaucoup hésitent à parler, par peur du jugement, ou parce qu’ils pensent devoir tenir pour les autres.
Pourquoi consulter un psychologue après une perte ?
La consultation d’un psychologue n’est pas réservée aux cas de deuil compliqué ou pathologique. Elle peut s’avérer bénéfique dès les premiers jours, surtout lorsque la personne se sent submergée, isolée, ou incapable de reprendre pied dans son quotidien.
Le besoin d’un espace sécurisé pour exprimer sa douleur
Élodie Renard, 48 ans, a perdu son frère dans un accident de moto. Personne autour de moi ne parlait de lui. Comme si on voulait effacer la douleur en l’ignorant. J’ai commencé à voir un psychologue six semaines après. Là, pour la première fois, j’ai pu dire à haute voix : ‘Je m’en veux de ne pas avoir insisté pour qu’il porte son casque.’ Ce n’était pas de la culpabilité rationnelle, mais elle me rongeait. Le thérapeute ne m’a pas dit de ‘passer à autre chose’. Il m’a aidée à comprendre pourquoi ce regret prenait tant de place.
Un psychologue offre un espace neutre, sans attente sociale, où les émotions les plus contradictoires peuvent être accueillies : la colère envers le défunt, la jalousie envers ceux qui n’ont pas perdu, le soulagement si la personne souffrait depuis longtemps. Ces sentiments, souvent tabous, sont pourtant fréquents. Le thérapeute ne les juge pas, il les explore.
Prévenir le deuil compliqué
Le deuil compliqué, ou deuil prolongé, se caractérise par une intensité durable de la souffrance, empêchant la personne de reprendre une vie fonctionnelle. Il peut durer plusieurs années, avec des symptômes proches de la dépression : insomnie, perte d’appétit, isolement, idées noires.
Les facteurs de risque sont nombreux : un lien très fusionnel avec le défunt, une mort soudaine ou violente, un manque de soutien social, ou un passé marqué par d’autres pertes. Dans ces cas, une intervention précoce peut faire la différence.
Le Dr Marc Tissier, psychiatre spécialisé en psychotraumatologie, précise : Le deuil compliqué n’est pas une fatalité. Il peut être prévenu par un accompagnement psychologique bien mené, surtout dans les trois à six mois suivant la perte.
Quand consulter ? Les signaux d’alerte
Il n’existe pas de moment idéal pour consulter. Pour certains, cela arrive rapidement. Pour d’autres, cela prend des mois. Mais certains signes doivent interpeller.
Quand la douleur paralyse
Si la personne ne parvient plus à travailler, à s’occuper de ses enfants, ou à maintenir des relations sociales, c’est un indicateur sérieux. Le chagrin est normal, mais lorsqu’il devient un obstacle à la vie, il faut agir.
Samir Benali, 52 ans, père de deux adolescents, a perdu sa femme d’un cancer fulgurant. Pendant six mois, je me levais juste pour préparer le petit-déjeuner, puis je restais assis dans le salon, sans rien faire. Mes enfants essayaient de me parler, mais je n’entendais rien. C’est mon fils aîné qui a appelé un psychologue. Il avait trouvé des coordonnées sur internet. La première séance a été un choc. J’ai pleuré pendant quarante minutes. Mais après, j’ai senti que je pouvais recommencer à respirer.
Quand les émotions deviennent incontrôlables
Cris de larmes inopinés, accès de colère, angoisses nocturnes, idées suicidaires : ces manifestations peuvent être les signes d’un deuil en souffrance. Le psychologue aide à les nommer, à les comprendre, et à les canaliser.
Quand on se sent coupable de ‘bien aller’
Certains ressentent une culpabilité intense lorsqu’ils rient, sortent, ou reprennent des projets. Si je suis heureux, est-ce que je trahis la mémoire de mon père ? Ce dilemme moral est fréquent. Le thérapeute aide à déconstruire cette idée : vivre n’est pas trahir, c’est honorer.
Quel type de psychologue choisir ?
Tout psychologue peut accompagner en deuil, mais certains ont une spécialisation ou une expérience particulière dans ce domaine. Il est important de se renseigner sur leur formation, leur approche (cognitive, psychodynamique, humaniste, etc.), et leur manière de travailler.
L’importance de la relation thérapeutique
Le lien entre le patient et le psychologue est crucial. Il doit être basé sur la confiance, l’écoute, et une forme d’empathie active. Une première séance d’essai peut permettre de vérifier cette compatibilité.
J’ai vu trois psychologues avant de trouver celle avec qui ça ‘cliquait’ , raconte Lucie Ménard, 36 ans, veuve depuis deux ans. Les deux premiers étaient compétents, mais trop distants. La troisième m’a dit : ‘Vous n’avez pas à être forte. Vous avez le droit d’être brisée.’ Ce simple mot a tout changé.
Les approches thérapeutiques efficaces
Plusieurs méthodes sont utilisées : la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), qui aide à identifier et modifier les pensées toxiques ; la thérapie narrative, qui permet de raconter l’histoire de la relation avec le défunt ; ou encore les thérapies centrées sur les émotions.
Dans certains cas, des techniques comme l’EMDR (désensibilisation et reprogrammation par les mouvements oculaires) peuvent être utiles, surtout si la perte est liée à un traumatisme (accident, suicide, etc.).
Le rôle des proches : comment accompagner sans étouffer ?
Les familles et amis veulent aider, mais souvent, ils ne savent pas comment. Certains restent silencieux par peur de dire une bêtise. D’autres parlent trop, minimisent, ou pressent de ‘reprendre le dessus’.
J’ai entendu : ‘Au moins, il ne souffre plus’, ‘Tu as encore ta santé’, ‘Pense à tes enfants’ , témoigne Raphaël Dubreuil, 61 ans, dont la femme est décédée d’une maladie neurodégénérative. Ces phrases, bien intentionnées, me faisaient me sentir seul. Ce que j’aurais voulu, c’est qu’on me dise : ‘Je suis là. Je ne comprends pas, mais je suis là.’
Le psychologue peut aussi accompagner les proches, en leur donnant des outils pour être présents sans imposer de rythme. Il peut même organiser des séances familiales, pour permettre à chacun d’exprimer son chagrin à sa manière.
Et après ? Construire une nouvelle vie avec la mémoire
Le but du deuil n’est pas d’oublier, mais d’intégrer la perte. Le défunt devient une présence intérieure, une voix, un souvenir vivant, plutôt qu’une douleur omniprésente.
Je ne ‘guéris’ pas, je m’adapte , dit Élodie. Aujourd’hui, je parle souvent de mon frère à mes enfants. Je lui écris des lettres. Parfois, je vais sur sa tombe, parfois non. Ce qui compte, c’est que je ne le trahis pas en feignant qu’il n’a jamais existé.
Le psychologue joue un rôle clé dans cette transformation : il aide à transformer le vide en mémoire, la douleur en sens, le silence en dialogue intérieur.
Combien ça coûte ? Et la prise en charge ?
En France, les consultations de psychologues ne sont pas remboursées par l’Assurance maladie, sauf en cas de parcours de soins coordonnés avec un psychiatre. Cependant, certaines mutuelles proposent des forfaits annuels. Des associations spécialisées (comme SOS Deuil, Deuil Espoir, ou Les Cerisiers) offrent parfois des séances gratuites ou à tarif réduit.
Il est également possible de consulter dans des centres de santé mentale, des hôpitaux, ou des services sociaux. Le coût ne doit pas être un frein à l’accès à l’aide psychologique.
La société face au deuil : encore trop de silences
Malgré les progrès, la société française peine encore à reconnaître la légitimité du deuil. Le congé de deuil est souvent de seulement trois jours, insuffisant pour beaucoup. Le retour au travail est attendu rapidement, sans aménagement.
J’ai dû reprendre le lundi suivant la mort de ma mère , raconte Inès Lemaire, cadre dans une entreprise privée. Personne n’a osé en parler. J’ai fait mon travail, mais j’étais ailleurs. Je n’ai consulté qu’un an plus tard, quand j’ai fait une crise d’angoisse en réunion.
Des voix s’élèvent pour demander une meilleure reconnaissance du deuil, notamment par des congés plus longs, une sensibilisation en milieu professionnel, et une éducation au deuil dès le collège.
A retenir
Le deuil est-il une maladie ?
Non, le deuil est une réaction normale à une perte. Il devient problématique seulement s’il persiste de manière intense et incapacitante au-delà de plusieurs mois, auquel cas il peut être qualifié de deuil compliqué.
Faut-il attendre plusieurs mois avant de consulter ?
Non. Il n’existe pas de règle stricte. Si la douleur est trop lourde, l’isolement trop grand, ou si les pensées noires s’installent, il est pertinent de consulter dès que possible, même quelques semaines après la perte.
Un psychologue peut-il remplacer le soutien familial ?
Non, mais il peut compléter ce soutien. Le psychologue offre un espace neutre et professionnel, tandis que les proches apportent de l’amour et de la présence. Les deux sont importants.
Est-ce que pleurer en séance est nécessaire ?
Pas du tout. Chaque personne exprime son chagrin à sa manière. Certains parlent calmement, d’autres ont besoin de silence, de dessin, ou d’écriture. L’essentiel est de se sentir en sécurité pour avancer à son rythme.
Combien de séances sont nécessaires ?
Cela dépend de chaque individu. Certaines personnes voient un psychologue pendant quelques mois, d’autres pendant plusieurs années. Il n’y a pas de durée idéale. L’accompagnement s’adapte à l’évolution du deuil.
Conclusion
Le deuil n’est pas une épreuve qu’on ‘surmonte’, mais un processus qu’on traverse. Il transforme ceux qu’il touche, parfois durablement. Consulter un psychologue n’est pas un aveu de faiblesse, mais un acte de courage : celui de regarder la douleur en face, pour ne pas la laisser dicter sa vie. Que ce soit pour exprimer l’indicible, prévenir un deuil compliqué, ou simplement apprendre à vivre avec une absence, la parole thérapeutique peut devenir un fil conducteur dans l’obscurité. Comme le dit Clémentine Vasseur : Le but n’est pas de refermer la blessure. C’est d’apprendre à marcher avec la cicatrice.