Octobre rougit les jardins de mille nuances, et dans cette douce transition entre l’été et l’hiver, les rosiers offrent encore leurs dernières parures. Pourtant, loin de se préparer au repos, ils s’apprêtent à vivre une nouvelle aventure : celle de la multiplication par bouturage. Ce geste ancestral, à la fois simple et magique, permet de cloner un rosier aimé, de préserver une variété rare ou simplement de créer une haie parfumée sans débourser un centime. À l’heure où les feuilles tombent et le sol garde encore la chaleur de l’été, les conditions sont idéales. Des jardiniers du Nord au Midi, des balcons parisiens aux vergers provençaux, des milliers de mains s’affairent en silence autour de sécateurs et de pots de terre. Et parmi eux, Élodie Renard, maraîchère bio à Montreuil, raconte : Chaque automne, je sauve mes roses préférées. Celle que ma grand-mère m’a offerte en 2003 ? Elle est maintenant dans trois jardins différents, grâce à des boutures. C’est comme transmettre un souvenir vivant.
Pourquoi choisir l’automne pour bouturer ses rosiers ?
Le moment de bouturer n’est pas anodin. L’automne, et plus précisément la mi-octobre, marque une période clé dans le cycle végétal. À cette époque, la sève redescend des branches vers les racines, signe que la plante se prépare à l’hibernation. Cette migration interne réduit le stress de la bouture : la tige prélevée, moins sollicitée par la croissance folle de l’été, peut désormais concentrer son énergie sur l’enracinement. De plus, les températures douces — ni trop chaudes ni trop froides — favorisent un développement lent mais solide. Le sol, encore tiède, accueille la bouture sans choc thermique. C’est ce que confirme Théo Lefebvre, horticulteur à Lyon : En octobre, la nature ralentit, mais elle n’est pas endormie. C’est le moment parfait pour donner à une bouture les meilleures chances de survie.
Quels avantages offre le bouturage à cette période ?
Bien au-delà de l’économie — car une seule tige peut donner naissance à plusieurs rosiers —, le bouturage automnal permet de pérenniser des variétés qu’on affectionne particulièrement. Contrairement aux greffes, souvent complexes, la bouture garantit une reproduction fidèle du rosier d’origine. Elle est aussi un acte de résistance face à la standardisation des jardins : en multipliant soi-même ses plantes, on préserve la biodiversité locale. Enfin, c’est un geste écologique : moins de transports, moins de pots plastiques, moins de déchets. Et pour les amateurs de jardinage thérapeutique, comme en témoigne Camille Dubreuil, retraitée à Nantes : Prendre soin de mes boutures, c’est comme veiller sur une promesse. Je les regarde chaque jour, je les arrose avec attention. C’est apaisant, presque méditatif.
Quel matériel est nécessaire pour réussir ses boutures ?
Le bouturage n’exige ni laboratoire ni équipement coûteux. Il repose sur quelques outils du quotidien, accessibles à tous. Le sécateur, bien affûté, est le premier allié : une coupe nette évite les déchirures qui pourraient infecter la tige. Un simple récipient — un verre d’eau, un pot en terre — suffit pour les premiers jours. L’astuce du jardinier malin ? La bouteille en plastique découpée en deux, dont la moitié inférieure sert de mini-serre. Cette cloche maison maintient l’humidité sans surcoût. Le substrat idéal ? Un mélange moitié terreau, moitié sable, léger et drainant. Enfin, pour stimuler l’enracinement, deux options : l’hormone de bouturage en poudre, ou une solution naturelle, comme l’eau de saule. Cette dernière, obtenue en faisant macérer des branches de saule dans l’eau pendant 24 heures, contient des auxines, des hormones végétales qui encouragent la formation des racines.
Comment choisir la bonne tige pour la bouture ?
Toutes les tiges ne se prêtent pas à la multiplication. Il faut privilégier celles qui sont semi-ligneuses : ni trop vertes, ni complètement durcies. Elles doivent mesurer entre 15 et 20 cm, provenir de l’année en cours, et être exemptes de fleurs ou de fruits. Le meilleur moment pour prélever ? En fin de matinée, quand la rosée s’est dissipée mais que le soleil n’a pas encore chauffé intensément. Je regarde toujours la couleur du bois , explique Julien Morel, jardinier à Bordeaux. Si c’est encore vert tendre, c’est trop jeune. Si c’est brun foncé et cassant, c’est trop vieux. Le juste milieu, c’est un vert foncé, presque grisâtre, avec une certaine souplesse.
Quelle est la méthode pas à pas pour des boutures qui prennent ?
La réussite d’une bouture tient à quelques gestes précis, presque rituels. Tout commence par la coupe : elle doit être faite en biseau, juste sous un nœud (le point d’où partent les feuilles), pour maximiser la surface d’absorption. Ensuite, on supprime les feuilles inférieures et les épines sur la partie qui sera enterrée — cela évite la pourriture. Les 2 à 3 feuilles du haut sont conservées : elles continueront à capter la lumière et alimenter la tige. La base de la bouture est ensuite trempée dans l’hormone de bouturage ou l’eau de saule, puis plantée aux deux tiers dans le mélange terreau-sable, préalablement humidifié. Enfin, on installe la cloche (bouteille coupée) pour créer un microclimat humide et protégé.
Quels pièges faut-il éviter ?
Le principal danger ? L’excès d’humidité. Une cloche hermétique sans aération favorise les champignons et la pourriture. Il est donc crucial de soulever la cloche quotidiennement pendant quelques minutes pour ventiler. L’arrosage doit être léger : le substrat doit rester humide, jamais détrempé. J’ai perdu plusieurs boutures les premières années , avoue Élodie Renard. Je pensais qu’elles avaient soif, alors je les arrosais trop. En réalité, elles étouffaient.
Comment accompagner les boutures jusqu’au printemps ?
Le bouturage automnal est un marathon, pas un sprint. Les racines se développent lentement, souvent invisibles pendant plusieurs mois. Le secret ? Une surveillance régulière, sans intervention excessive. Dès que les températures descendent en dessous de 5 °C, il est préférable de déplacer les boutures dans un abri non chauffé — un garage, une serre froide — pour les protéger des gelées. En pleine terre, elles risquent de ne pas survivre. L’emplacement idéal reste la mi-ombre : trop de soleil brûle les jeunes pousses, trop d’ombre empêche la photosynthèse. Je les place sous un vieux treillis de clématite , raconte Théo Lefebvre. Elles ont juste assez de lumière, et le vent ne les secoue pas.
Quand voit-on les premiers signes de réussite ?
Entre mars et avril, les boutures qui ont pris commencent à montrer des signes de vie : de nouvelles feuilles apparaissent, parfois de minuscules pousses latérales. Un test simple permet de vérifier la présence de racines : tirez délicatement sur la tige. Si elle résiste, c’est bon signe. En revanche, si elle cède facilement, les racines ne se sont pas formées. La première fois que j’ai vu une racine sortir du pot, j’ai crié de joie , se souvient Camille Dubreuil. C’était minuscule, mais c’était vivant.
Comment repiquer et partager ses rosiers maison ?
Quand les nouvelles pousses sont vigoureuses et que les températures diurnes dépassent régulièrement 10 °C, on peut repiquer. Soit en pleine terre, dans un sol bien drainé et enrichi de compost, soit en pot, avec un mélange spécifique pour rosiers. Le repiquage doit se faire avec douceur : la motte est fragile, les racines encore fines. Une fois installé, le jeune rosier demande peu d’entretien : un arrosage modéré, une protection contre les limaces, et éventuellement un tuteur pour soutenir la tige. Mais le plus beau geste vient après : le partage. Offrir une bouture, c’est transmettre bien plus qu’une plante. C’est donner un morceau de son jardin, un souvenir, une émotion. Julien Morel en est convaincu : J’ai offert une bouture de ma rose ‘Madame Isaac Pereire’ à mon voisin. Deux ans plus tard, il m’a invité à boire le thé sous sa pergola, entouré de dizaines de roses identiques. C’était émouvant.
Quel est le sens profond de cette pratique ?
Le bouturage automnal n’est pas qu’une technique horticole. C’est un acte de transmission, de résilience, de connexion à la nature. Il invite à la patience, à l’observation, à la confiance. Il transforme le jardinier en gardien d’une lignée végétale. Et chaque rosier issu d’une bouture devient un témoin silencieux d’un geste d’amour pour la terre. Comme le dit Élodie Renard : Ce n’est pas juste une rose. C’est une histoire qui continue.
A retenir
Quand est-il préférable de bouturer les rosiers ?
La mi-octobre est la période idéale pour bouturer les rosiers. La sève redescend, le sol est encore tiède, et les températures douces favorisent l’enracinement sans stress pour la plante.
Quel type de tige choisir pour une bouture réussie ?
Il faut sélectionner une tige semi-ligneuse de 15 à 20 cm, bien saine, sans fleur, provenant de l’année en cours. Elle doit être ni trop tendre ni trop dure, avec une couleur verte foncée et une certaine souplesse.
Faut-il utiliser de l’hormone de bouturage ?
L’hormone de bouturage améliore les chances de réussite, mais elle n’est pas indispensable. Une alternative naturelle efficace est l’eau de saule, obtenue par macération de branches de saule pendant 24 heures.
Comment éviter la pourriture des boutures ?
Il est essentiel de maintenir un équilibre entre humidité et aération. La cloche (bouteille en plastique) doit être ouverte quotidiennement pour ventiler, et l’arrosage doit rester modéré pour éviter l’excès d’eau.
Quand repiquer les boutures enracinées ?
Le repiquage peut se faire au printemps, dès l’apparition de nouvelles pousses vigoureuses et lorsque les températures diurnes sont stables au-dessus de 10 °C. On peut alors les planter en pleine terre ou en pot, avec précaution pour ne pas abîmer les jeunes racines.