Ce seuil des petites retraites qui divise avant la revalorisation

En France, la question du pouvoir d’achat des retraités est devenue un enjeu majeur de justice sociale. Alors que près de 15 millions de personnes touchent une pension, une part croissante d’entre elles vit avec des ressources en dessous du seuil de pauvreté. Le gouvernement a mis en avant un repère symbolique de 1 200 euros bruts mensuels pour revaloriser les pensions les plus modestes, mais cette somme, une fois déduites les cotisations sociales, se réduit à environ 1 100 euros nets. Pour des millions de retraités, ce montant ne suffit pas à couvrir les besoins essentiels dans un contexte d’inflation persistante. Derrière ces chiffres, il y a des vies, des choix difficiles, des renoncements. Cet article explore les enjeux de la revalorisation des pensions, les seuils discutés, et ce que signifie vivre avec une petite retraite en 2025.

Quel est le sens réel du seuil de 1 200 euros brut pour les retraités ?

Le seuil de 1 200 euros brut, annoncé comme une avancée en 2023, apparaît aujourd’hui comme une cible insuffisante. Ce montant, bien qu’il soit présenté comme un socle, correspond en réalité à une pension nette d’environ 1 100 euros après prélèvements. Pour des personnes comme Lucienne Brémond, 78 ans, retraitée de l’enseignement secondaire dans une petite ville du Lot, cette somme se traduit par des calculs quotidiens. Je fais mes courses le mercredi, jour des promotions, et je repasse mes vêtements au lieu d’en acheter de neufs , confie-t-elle. Son loyer s’élève à 480 euros, l’électricité et le chauffage représentent près de 200 euros par mois, et les médicaments, remboursés en partie, coûtent encore 60 euros. Il ne me reste presque rien pour sortir, même pour un café en ville. Ce cas n’est pas isolé. Selon les données de l’Insee, plus de deux millions de retraités vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à environ 1 150 euros nets pour une personne seule. Le 1 200 brut, donc, ne place pas les retraités modestes au-dessus de ce seuil, mais juste en dessous ou à la limite. Ce seuil symbolique, s’il a le mérite d’exister, ne répond pas à la réalité du coût de la vie actuelle, notamment en matière de santé, d’énergie et de logement.

Pourquoi les seuils de 1 400 et 1 600 euros sont-ils devenus des références ?

Face à l’insuffisance du seuil de 1 200 euros, des organisations comme la CNAV, la Fédération des retraités CGT ou encore le collectif Retraités solidaires ont plaidé pour une revalorisation plus ambitieuse, autour de 1 400 ou 1 600 euros bruts. Ces chiffres ne sont pas choisis au hasard : 63 % des retraités perçoivent moins de 1 600 euros bruts par mois. Or, le revenu médian en France s’élève à 2 028 euros. Autrement dit, la majorité des retraités vivent avec un revenu inférieur à la moyenne des actifs. Le seuil de 1 400 euros bruts, estimé à environ 1 260 euros nets, permettrait déjà une meilleure stabilité. C’est ce qu’espérait Daniel Kerven, ancien ouvrier métallurgiste à Nantes, à la retraite depuis 2020. J’ai cotisé 43 ans, je pensais avoir droit à une vie tranquille. Mais ma pension est à 1 380 euros bruts. Après prélèvements, je suis à 1 240 euros. Et avec l’augmentation du gaz l’année dernière, j’ai dû demander une aide au fonds de solidarité. Le 1 600 euros bruts, quant à lui, est vu comme un objectif à moyen terme. Ce montant, estimé à environ 1 440 euros nets, rapprocherait les pensions modestes du niveau de vie décent, sans toutefois atteindre le confort. Pour les experts en politiques sociales comme Élise Tardieu, économiste à l’Observatoire des retraites, revaloriser à 1 600 euros bruts n’est pas une utopie, c’est une nécessité démographique et sociale. La France vieillit, et elle ne peut pas laisser une part croissante de ses aînés vivre dans la précarité.

Quelle est la moyenne réelle des pensions en France ?

La moyenne des pensions en France s’établit à 1 558 euros nets par mois, selon les dernières données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Cependant, cette moyenne masque des écarts considérables. Les pensions du régime général sont souvent inférieures à celles des fonctionnaires, et les retraités du secteur privé, notamment ceux couverts par le régime Agirc-Arrco, subissent des écarts importants selon leur ancienneté, leur catégorie professionnelle ou les années de carrière incomplètes. Par exemple, Aminata Diallo, ancienne assistante administrative à Paris, a pris sa retraite en 2023 après 38 années de travail. Sa pension s’élève à 1 320 euros bruts, soit environ 1 190 euros nets. J’ai eu des périodes de chômage, des temps partiels pour élever mes enfants. Cela pèse sur ma retraite aujourd’hui. Et je ne suis pas éligible à l’ASPA, l’aide sociale. Je suis entre deux chaises : pas assez pauvre pour être aidée, mais pas assez à l’aise pour vivre sans stress.

Quel impact le report de la revalorisation à juillet 2025 pourrait-il avoir ?

Initialement prévue en janvier 2025, la revalorisation annuelle des pensions a été repoussée à juillet. Cette décision, justifiée par des contraintes budgétaires et la volatilité de l’inflation, inquiète les retraités. En janvier, l’indice d’inflation sur un an était de 2,3 %, mais en avril, il est redescendu à 1,8 %. Or, la revalorisation des pensions suit l’inflation de l’année précédente. Un report signifie donc une revalorisation potentiellement moindre. Pour des personnes comme Robert Vasseur, 81 ans, retraité de la SNCF à Calais, chaque pourcentage compte. 2,3 %, c’est 27 euros de plus sur ma pension de 1 200 euros bruts. 1,8 %, c’est seulement 21 euros. C’est la différence entre pouvoir changer mes lunettes ou attendre encore un an. Ce report, même s’il est technique, a un effet psychologique fort : il donne l’impression que les retraités sont une priorité secondaire. De plus, ce report intervient alors que les prix des produits de première nécessité, notamment l’alimentation et l’énergie, restent élevés. Entre 2022 et 2024, le panier alimentaire des seniors a augmenté de 14 %, selon une étude de l’UFC-Que Choisir. Pour les retraités vivant à l’équilibre budgétaire, une revalorisation moindre, même de quelques points, peut signifier un renoncement aux soins, aux loisirs ou aux contacts sociaux.

Comment le report affecte-t-il les plus vulnérables ?

Les retraités les plus touchés par ce report sont ceux dont la pension est proche du seuil de pauvreté. Ce sont souvent des femmes, ayant eu des carrières fragmentées, des travailleurs indépendants ayant cotisé de manière irrégulière, ou des personnes ayant exercé des métiers pénibles avec des départs anticipés. Cécile Lemoine, 67 ans, ancienne infirmière libérale dans les Pyrénées-Atlantiques, illustre ce cas. J’ai travaillé pendant 35 ans, mais en libéral, mes cotisations dépendaient de mes revenus. Certains mois, je gagnais bien, d’autres, à peine de quoi payer mes charges. Aujourd’hui, ma retraite est de 1 150 euros bruts. Si la revalorisation passe de 2,3 % à 1,8 %, je perds 5 euros par mois. Sur un an, c’est 60 euros. C’est une consultation chez le dentiste que je ne ferai pas.

Que signifie vivre avec une petite retraite en France aujourd’hui ?

Vivre avec une petite retraite, ce n’est pas seulement avoir un budget serré. C’est aussi subir une perte de dignité, une invisibilité sociale, un isolement accru. Beaucoup de retraités modestes renoncent à des soins, évitent de chauffer leur logement en hiver, ou se nourrissent de produits bas de gamme. Le lien social s’effrite : les sorties deviennent rares, les cadeaux aux petits-enfants sont limités, les voyages, inaccessibles. À Lyon, Jean-Pierre Ménard, ancien ouvrier en maintenance, participe à un groupe de parole pour retraités. On parle peu de la honte. La honte de ne pas pouvoir inviter un ami au restaurant, de devoir refuser une invitation à un mariage parce qu’on ne peut pas s’offrir un costume neuf. On a travaillé toute notre vie, on a payé nos cotisations. On ne veut pas de la charité, on veut juste une retraite juste. Ce sentiment est partagé par de nombreux retraités. Le terme petite retraite ne désigne pas seulement un montant, mais un mode de vie contraint, marqué par la précarité latente. Même les aides existantes, comme l’ASPA (Allocation de solidarité aux personnes âgées), ne concernent qu’une minorité. En 2024, moins de 10 % des retraités en bénéficient.

Quel est le rôle du régime Agirc-Arrco dans cette inégalité ?

Le régime Agirc-Arrco, qui couvre les cadres et salariés du privé, est souvent pointé du doigt pour ses écarts. Bien que le montant moyen des pensions y soit légèrement supérieur à celui du régime général, les petites pensions restent nombreuses. Les règles de calcul, basées sur les points accumulés, pénalisent particulièrement les carrières longues mais à revenus modérés. Sophie Rambert, ancienne secrétaire de direction à Marseille, a accumulé 6 200 points sur 37 ans. Sa pension s’élève à 1 390 euros bruts. J’ai bien travaillé, j’ai été ponctuelle, fidèle à mon entreprise. Mais je n’étais pas cadre, donc mes points étaient moins valorisés. Aujourd’hui, je suis revalorisée comme tout le monde, mais je reste avec un salaire de misère.

Quelles perspectives pour une retraite plus juste ?

Le débat sur les seuils de pension n’est pas clos. Il s’inscrit dans une réflexion plus large sur la justice intergénérationnelle et la solidarité nationale. Alors que la population âgée continue de croître – elle devrait dépasser 20 millions d’ici 2040 –, la question de la retraite devient centrale. Des voix s’élèvent pour proposer un socle de pension à 85 % du SMIC net, soit environ 1 400 euros nets, ce qui représenterait environ 1 550 euros bruts. D’autres plaident pour une revalorisation automatique indexée sur les salaires, et non seulement sur l’inflation, afin de ne pas stagner en termes relatifs. Le report de juillet 2025 pourrait être l’occasion d’un débat public plus approfondi. Mais pour des retraités comme Lucienne, Daniel ou Cécile, le temps presse. On ne demande pas à vivre dans le luxe, dit Lucienne. On demande juste à vivre dignement. Après une vie de travail, c’est la moindre des choses.

A retenir

Quel est le montant net d’une pension de 1 200 euros bruts ?

Une pension de 1 200 euros bruts se traduit par environ 1 100 euros nets après déduction des cotisations sociales. Ce montant est insuffisant pour couvrir les dépenses de base dans de nombreuses régions de France, notamment en matière de logement, santé et énergie.

Pourquoi 1 600 euros bruts est-il considéré comme un objectif ?

Le seuil de 1 600 euros bruts correspond à un net d’environ 1 440 euros, ce qui permettrait de se rapprocher d’un niveau de vie décent. Il concerne déjà 37 % des retraités, mais 63 % en sont encore en dessous, ce qui en fait un objectif réaliste et nécessaire pour réduire les inégalités.

Quel est l’impact du report de la revalorisation à juillet 2025 ?

Le report pourrait réduire la revalorisation de 2,3 % à 1,8 %, en raison de la baisse de l’inflation. Cela signifie une perte potentielle de pouvoir d’achat pour les retraités, particulièrement pour les plus modestes, au moment où les prix restent élevés.

Qui sont les plus touchés par les petites pensions ?

Les femmes, les travailleurs indépendants, les personnes ayant eu des carrières incomplètes ou à temps partiel, ainsi que les anciens ouvriers ou employés du privé sont surreprésentés parmi les bénéficiaires de petites pensions. Les régimes par points, comme Agirc-Arrco, peuvent accentuer ces inégalités.

Existe-t-il des aides pour les retraités modestes ?

Oui, l’ASPA (Allocation de solidarité aux personnes âgées) existe pour les retraités aux revenus les plus faibles, mais elle concerne moins de 10 % de la population âgée. D’autres aides locales ou sociales existent, mais elles restent insuffisamment connues ou difficiles d’accès.