Alors que l’automne 2025 balaie les dernières feuilles des platanes parisiens, une autre forme de tempête se prépare, discrète mais puissante : le gel du barème de l’impôt sur le revenu dans le projet de loi de finances 2026. Ce dispositif, presque invisible dans les grands débats médiatiques, pourrait pourtant transformer le quotidien fiscal de millions de Français. Contrairement à une hausse directe des taux, cette mesure agit en silence, profitant de l’inflation et des modiques augmentations salariales pour faire entrer davantage d’argent dans les caisses de l’État. Mais derrière cette logique budgétaire froide, ce sont des vies qui basculent. Décryptage d’un mécanisme sournois, porteur de conséquences bien réelles.
Qu’est-ce que le gel du barème et pourquoi cela concerne tout le monde ?
Comment fonctionne le barème de l’impôt sur le revenu en France ?
Le système fiscal français repose sur un barème progressif par tranches. Chaque portion de revenu est imposée à un taux différent, allant de 0 % à 45 %. Par exemple, les premiers euros gagnés ne sont pas taxés, puis à partir de 11 498 € par part fiscale, le taux de 11 % s’applique, et ainsi de suite. Traditionnellement, les seuils de ces tranches sont réajustés chaque année à l’inflation, ce qui protège les contribuables d’un appauvrissement fiscal : même si leurs salaires augmentent légèrement pour suivre la hausse des prix, ils ne passent pas automatiquement dans une tranche supérieure.
En 2026, ce réajustement pourrait être suspendu. C’est ce qu’on appelle le gel du barème. Les seuils resteraient figés, tandis que les salaires, eux, bougent. Résultat : un salarié qui gagne 2 % de plus pour compenser l’inflation pourrait se retrouver imposé à un taux plus élevé, sans avoir réellement augmenté son pouvoir d’achat. L’État, lui, y gagne : pas besoin de voter une hausse d’impôt, la machine se charge de tout.
Pourquoi le gel du barème est-il une arme fiscale silencieuse ?
Le piège réside dans son invisibilité. Contrairement à une augmentation officielle des taux, le gel ne fait pas la une des journaux. Pourtant, son effet est identique : les ménages paient plus d’impôts. Ce phénomène, connu sous le terme anglo-saxon de bracket creep , existe depuis longtemps dans d’autres pays. Il se produit lorsque la progression des salaires, même minime, pousse les contribuables vers des tranches plus élevées parce que les seuils n’ont pas suivi l’évolution du coût de la vie.
En 2025, l’inflation a continué de peser sur les budgets : énergie, alimentation, transports. Beaucoup d’entreprises ont répondu par des augmentations de salaire, parfois symboliques. Mais ces hausses, même justifiées, pourraient devenir des boulets fiscaux en 2026. Comme l’explique Camille Lenoir, économiste à l’Observatoire des politiques publiques : Le gel du barème est une mesure de prélèvement indirect. Elle frappe ceux qui travaillent, progressent, ou simplement survivent à l’inflation. C’est une forme de taxation par l’immobilité.
Qui va vraiment payer plus à cause de ce gel ?
Les foyers aux revenus limites : entre non-imposition et première tranche
Les plus exposés sont ceux qui évoluent près du seuil de non-imposition. Un célibataire gagnant 14 500 € en 2025 pourrait, avec une hausse de 3 %, dépasser les 15 000 €. À ce niveau, même si l’impôt reste faible, le passage à l’imposition est psychologiquement brutal. Il perd non seulement l’exonération, mais aussi certains avantages liés au statut de non-imposé, comme certaines aides locales ou tarifications sociales.
Prenez le cas de Julien Mercier, informaticien à Lyon, 32 ans, célibataire. Il gagnait 14 800 € net imposable en 2024. En 2025, après une revalorisation de 2,8 % liée à la convention collective, son revenu atteint 15 200 €. Je pensais juste compenser l’augmentation du loyer et des courses, explique-t-il. Mais là, je découvre que je vais peut-être payer 250 € d’impôt en 2026, alors que je n’en ai jamais payé. C’est un coup dur, surtout quand on vit seul.
Les familles monoparentales et les jeunes retraités : vulnérabilités accrues
Les familles monoparentales, souvent à la limite de la précarité, sont également en première ligne. Une prime de fin d’année, une revalorisation de pension alimentaire, ou même une aide ponctuelle peuvent suffire à franchir un seuil critique. Pour Élodie Tassin, mère de deux enfants à Nantes, le risque est concret : Je gagne 28 000 € avec mon mi-temps. En 2025, j’ai eu une prime de 1 500 € pour Noël. Si le barème est gelé, cette prime pourrait me faire basculer dans une tranche à 11 %. C’est absurde : j’ai besoin de cet argent pour acheter des vêtements d’hiver à mes enfants, pas pour le donner à l’État.
Les jeunes retraités sont également concernés. Beaucoup ont des pensions modérées, mais cumulent parfois des revenus complémentaires. Jean-Marc Dubreuil, 64 ans, ancien enseignant en Normandie, a pris sa retraite en 2024 avec un revenu de 29 100 €. En 2025, une revalorisation de 2,5 % le place à 29 800 €. Je suis désormais dans la tranche à 30 % pour une partie de mes revenus, alors que je n’ai rien demandé. C’est comme si on me punissait d’avoir eu une carrière stable , déplore-t-il.
Les classes moyennes : le cœur du cible
Les classes moyennes, pilier du financement de l’État, risquent de voir leur effort fiscal s’accroître sans contrepartie. Un couple avec deux enfants, gagnant 50 000 € par an, pourrait voir une part croissante de ses revenus passée à 30 % si les seuils ne bougent pas. Ce n’est pas une explosion de l’impôt, mais une érosion lente, insidieuse, du pouvoir d’achat.
Le couple Ferrand, installé à Bordeaux, illustre cette situation. Lui, ingénieur ; elle, assistante médicale. Leur revenu net imposable était de 48 500 € en 2024. En 2025, avec des augmentations individuelles modestes et une prime collective, ils atteignent 49 800 €. On n’est pas riches, on paie notre crédit, on élève nos enfants, on économise pour les études, raconte Sophie Ferrand. Et là, on apprend qu’on va peut-être payer 400 € d’impôt en plus. Pour quoi ? Pour avoir suivi l’inflation ? C’est décourageant.
Quelles sont les conséquences macroéconomiques du gel ?
Un gain pour l’État, mais une perte pour la croissance ?
Le gouvernement table sur un rendement supplémentaire de 2,2 milliards d’euros, dont 1,9 milliard issus directement de l’impôt sur le revenu. Un chiffre non négligeable dans un contexte de déficit persistant et de pression sur les dépenses publiques. Mais ce gain à court terme pourrait se transformer en coût à long terme si la mesure décourage l’effort, la productivité ou la consommation.
Comme le souligne Thomas Renard, professeur d’économie à l’université de Strasbourg : Le gel du barème est une mesure de facilité. Il ne nécessite pas de vote populaire difficile, mais il pénalise ceux qui progressent. À terme, cela peut nuire à la dynamique du travail, surtout chez les jeunes qui voient leur première augmentation salariale grignotée par l’impôt.
Un risque de perte de confiance dans le système fiscal
La progressivité de l’impôt repose sur une idée de justice : plus on gagne, plus on paie, mais de façon équitable. Le gel du barème fragilise ce principe. Il transforme une augmentation salariale, même modeste, en une sanction fiscale. Cela alimente un sentiment d’injustice, notamment chez ceux qui ne bénéficient pas de dispositifs d’exonération ou de niches fiscales.
On a l’impression que l’État tire profit de notre malheur , résume Camille Mercier, enseignante à Toulouse. L’inflation nous ruine, on travaille plus pour gagner un peu plus, et là, on se fait taper sur les doigts. C’est démotivant.
Que peut-on faire pour anticiper ce gel ?
Optimiser sa déclaration : les déductions à ne pas oublier
Même si le barème est gelé, les contribuables peuvent encore agir. Bien remplir sa déclaration, ne pas négliger les crédits d’impôt ou les déductions, peut atténuer le coup. Dons à des associations, frais de garde d’enfants, travaux de rénovation énergétique, ou encore frais réels de déplacement professionnel : autant de leviers souvent sous-utilisés.
J’ai fait appel à un expert-comptable pour la première fois cette année , confie Yann Levasseur, auto-entrepreneur à Rennes. Il a trouvé 700 € de crédits que je n’avais pas déclarés. Avec le gel, chaque euro compte.
Lisser les revenus : une stratégie fiscale à considérer
Les primes ou bonus perçus fin 2025 peuvent faire exploser le revenu imposable d’une année. Certains employeurs acceptent de les répartir sur deux exercices. D’autres solutions, comme le report de revenus via des dispositifs d’épargne salariale, peuvent aussi être envisagées. Ce n’est pas toujours possible, mais cela mérite d’être discuté avec le service des ressources humaines.
Faut-il s’attendre à d’autres mesures fiscales à l’avenir ?
Le gel du barème 2026 n’est probablement pas un épisode isolé. Dans un contexte de pression budgétaire, le gouvernement pourrait être tenté de recourir à d’autres mécanismes similaires : gel des seuils de la CSG, réforme des niches, ou encore suppression progressive des décotes. La tentation de la fiscalité silencieuse est forte, car elle évite les coups de projecteur.
On entre dans une ère de la fiscalité par ajustement technique, prévient Camille Lenoir. Ce n’est plus la grande réforme, c’est la petite entaille répétée. Moins visible, mais tout aussi douloureuse.
Le gel du barème de l’impôt sur le revenu en 2026 n’est pas une simple question technique. C’est un choix politique qui redistribue discrètement la charge fiscale, au détriment des ménages aux revenus modestes et moyens. Entre 200 000 et 300 000 nouveaux imposés, des dizaines de milliers de foyers confrontés à une hausse d’impôt sans augmentation réelle de pouvoir d’achat : les effets seront concrets, même s’ils restent diffus.
Alors que les débats parlementaires s’annoncent tendus, cette mesure pourrait devenir un symbole : celui d’un État qui, pour boucler ses comptes, préfère puiser dans les poches de ceux qui progressent lentement, plutôt que de réformer en profondeur son modèle de financement. La rentrée fiscale 2026 risque d’être froide. Pour les contribuables, l’hiver commence tôt.
A retenir
Qu’est-ce que le gel du barème de l’impôt sur le revenu ?
Il s’agit de la suspension du réajustement annuel des tranches d’imposition à l’inflation. Les seuils restent figés, tandis que les salaires augmentent, ce qui pousse certains contribuables dans des tranches plus élevées.
Qui est concerné par cette mesure ?
Les foyers dont le revenu net imposable augmente en 2025, notamment ceux situés près des seuils de non-imposition ou de passage à une tranche supérieure. Cela inclut les célibataires, les familles monoparentales, les jeunes retraités et les classes moyennes.
Quel est l’impact financier pour un ménage ?
La hausse d’impôt varie selon les profils, mais elle peut aller de quelques dizaines à plusieurs centaines d’euros par an. Pour certains, cela signifie basculer du statut de non-imposé à celui d’imposé.
Pourquoi le gouvernement choisit-il cette mesure ?
Pour augmenter les recettes publiques sans modifier les taux d’imposition officiels. Le rendement attendu est d’environ 2,2 milliards d’euros, un montant significatif dans un contexte budgétaire tendu.
Peut-on faire quelque chose pour limiter l’impact ?
Oui. Il est crucial de bien déclarer toutes les déductions et crédits d’impôt possibles, et de surveiller son revenu imposable, notamment en évitant les primes concentrées sur une seule année. Le conseil d’un expert-comptable ou d’un gestionnaire patrimonial peut s’avérer utile.