Quand le ciel s’assombrit tôt, que le givre dessine des arabesques sur les vitres et que l’air pique les joues, une certaine forme de magie s’installe. L’hiver, souvent perçu comme une saison de repli, peut devenir une invitation au voyage — non pas vers des contrées lointaines, mais vers des terres françaises où la nature revêt ses plus beaux atours. Alors que certains rêvent de Laponie, d’aurores boréales et de nuits polaires, d’autres, comme Clémentine Royer, une graphiste lyonnaise, ont découvert une alternative tout aussi envoûtante, à deux heures de chez eux. J’ai toujours pensé que la féerie hivernale ne pouvait exister qu’au-delà du cercle polaire, confie-t-elle. Puis je suis allée au Jura en janvier. Le silence, la neige, les sapins chargés comme des gâteaux de Noël… J’ai eu l’impression de traverser une frontière invisible vers un autre monde. Ce monde, il est ici, en France, et il s’appelle Vercors, Jura, ou plus simplement, l’hiver à la française.
Où trouver l’âme du grand nord sans quitter la métropole ?
Le Jura et le Vercors, deux massifs souvent en retrait des circuits touristiques traditionnels, se transforment à l’arrivée des premières neiges. Leurs vallées s’enfoncent sous un silence ouaté, leurs forêts de conifères se couvrent d’un linceul blanc, et leurs petits villages, aux toits pentus et aux façades en bois, semblent surgir d’un conte nordique. À Morez ou à Saint-Claude, dans le Jura, les rues étroites bordées de maisons anciennes exhument une atmosphère d’antan, tandis que, plus haut, les plateaux de Retord ou des Rousses s’étendent à perte de vue, balisés par des croix de neige et des sentiers fantômes.
Le surnom de Petite Laponie française n’est pas usurpé. Les paysages évoquent les Carpates ou les Alpes norvégiennes, sans pour autant sacrifier le charme à la française : ici, on ne parle pas de survivalisme, mais de bien-vivre. Ce qui m’a frappée, c’est l’équilibre entre nature sauvage et confort humain , raconte Thomas Lefèvre, un enseignant en géographie parti en raquettes dans le Vercors avec ses deux enfants. On se sent seul au monde pendant des heures, puis on tombe sur un refuge où une dame nous sert un chocolat chaud maison et un morceau de mont d’or fondu. C’est à la fois grandiose et intime.
Comment vivre une aventure nordique sans visa ni jetlag ?
Le rêve nordique ne repose pas seulement sur le décor, mais sur les expériences qu’il permet. Et c’est là que le Jura et le Vercors brillent. Avec plus de 1 000 kilomètres de pistes de ski nordique rien qu’au sein de l’Espace Nordique Jurassien, les amateurs de glisse trouvent leur bonheur loin des stations bondées. Le ski de fond, à la fois sportif et contemplatif, permet de traverser des forêts cristallisées, de croiser des traces de lièvres ou de renards, de s’arrêter au bord d’un lac gelé pour écouter le craquement de la glace.
Pour ceux qui préfèrent garder les pieds au sol, la raquette est une révélation. C’est une forme de méditation en mouvement , estime Élodie Berthier, une naturopathe de Grenoble qui pratique des randonnées hivernales chaque hiver. Chaque pas dans la neige est un retour à l’essentiel. On oublie les écrans, les urgences, les notifications. Il n’y a plus que le bruit de ses pas, le souffle, et parfois, le cri d’un corbeau dans les hauteurs.
Et pour les plus audacieux, les mushers locaux proposent des balades en traîneau à chiens. À Champagnole, Mathieu Delacroix, ancien informaticien devenu éleveur de huskies, accueille petits et grands pour des sorties de deux heures à travers les bois. Ces chiens ont une énergie incroyable, sourit-il. Ils ne connaissent pas le froid comme nous. Pour eux, c’est un jeu. Et quand on voit les yeux des enfants s’illuminer au moment du départ… c’est ce que je préfère.
Et après l’effort, le réconfort ?
La journée hivernale ne se termine pas avec la tombée du jour. Elle se prolonge au coin du feu, dans un chalet en bois massif où le sauna fume doucement sous la neige. De plus en plus d’hébergements, comme le gîte L’Échappée Blanche près de Métabief, proposent des bains nordiques extérieurs, où l’on s’immerge dans une eau chaude à 38 °C, entouré de blanc, sous un ciel étoilé. C’est une sensation presque spirituelle , décrit Camille Dumas, une journaliste venue seule pour une semaine de déconnexion. Le contraste entre le froid de l’air et la chaleur de l’eau, le silence complet… J’ai pleuré de bien-être.
Quelle est la cuisine de l’hiver franc-comtois et alpin ?
Si l’hiver se vit aussi avec les sens, alors la gastronomie en est l’un des piliers. Dans le Jura, la fondue au comté, relevée d’un peu de vin jaune, est un rituel. Mais c’est surtout le mont d’or, ce fromage à pâte molle servi chaud dans son panier de bois, qui émeut les convives. On l’ouvre comme un trésor, on y plonge les croûtons… c’est une cérémonie , rigole Thomas Lefèvre.
Les auberges locales, souvent tenues par des familles depuis des générations, proposent des menus simples mais généreux : charcuterie maison, potée au lard, gratin de crozets, et tartiflette revisitée avec du fromage de chèvre. Les vins du Jura — le vin jaune, la poulsard, le trousseau — apportent une touche singulière, loin des clichés viticoles. Un vin jaune avec du poulet au comté, c’est une révélation , confie Clémentine Royer. Je n’aurais jamais osé l’essayer en ville. Ici, tout prend du sens.
Les marchés d’hiver, souvent installés dans des granges ou des salles communales, offrent aussi une immersion dans l’artisanat local. Miels de sapin, confitures de myrtilles sauvages, liqueurs à base d’épices des bois, bougies en cire d’abeille parfumées à la résine… Chaque produit raconte un savoir-faire. J’ai rapporté une bouteille de ratafia de prune , témoigne Élodie Berthier. Je ne l’ai pas encore ouverte. Je la garde pour un moment spécial. Comme un souvenir liquide de cet hiver.
Comment préparer son escapade sans se ruiner ?
L’un des atouts majeurs de ces destinations, c’est leur accessibilité. Pas besoin de billet d’avion à plusieurs centaines d’euros : le TGV dessert Bourg-en-Bresse, Bellegarde ou Grenoble, et en moins d’une heure de voiture, on atteint les premiers massifs enneigés. Je suis parti un vendredi soir en voiture, j’étais sur place à minuit, raconte Mathieu Delacroix. Le lendemain, j’étais en raquettes à 9 heures. Aucun stress, aucun transit.
Le Pass nordique Montagnes du Jura est une innovation pratique et économique : environ 110 € pour la saison, et un accès illimité à plus de 1 000 km de pistes et sentiers. Un bon plan pour les familles ou les passionnés de ski de fond. Pour le prix d’un seul forfait à Chamonix, on a tout l’hiver pour profiter , souligne Camille Dumas.
Les hébergements, quant à eux, varient du gîte rural à l’hôtel design, en passant par les chambres d’hôtes authentiques. Beaucoup proposent la demi-pension, avec des repas préparés à partir de produits du terroir. On a mangé un plateau de fromages chaque soir, avec des légumes du jardin de la propriétaire , raconte Clémentine Royer. Et le matin, des œufs de poules élevées à 50 mètres. C’est ça, le luxe discret.
Quels lieux ne pas manquer dans ces régions ?
Le lac des Rousses, lorsqu’il gèle, devient un miroir naturel où les photos prennent des allures de cartes postales. Les familles y viennent pour la balade, les photographes pour la lumière matinale.
Le plateau de Retord, moins fréquenté, offre des panoramas vastes et une sensation de solitude bienvenue. C’est là que Thomas Lefèvre a vu son fils, pour la première fois, faire une glissade sur un tronc d’arbre recouvert de glace.
Enfin, Font d’Urle, dans le Vercors, est un lieu presque secret. Entouré de falaises, souvent enseveli sous la neige, il attire les amateurs de nature intacte. On s’y sent comme au bout du monde , confie Élodie Berthier. Et pourtant, on est à deux heures de Lyon.
Et si l’hiver devenait votre saison préférée ?
L’hiver n’est pas qu’une saison d’attente. Il peut être une saison d’intensité, de beauté, de lenteur retrouvée. Dans le Jura et le Vercors, il ne s’agit pas de fuir le froid, mais de l’embrasser. De s’émerveiller devant un lever de soleil qui teinte la neige en rose pâle, de savourer un silence si profond qu’on entend battre son propre cœur, de se laisser bercer par le crépitement du feu dans une cheminée.
Comme le dit Camille Dumas : J’ai longtemps cru que le bonheur était dans l’été, au bord de la mer. Mais cet hiver, j’ai compris qu’il pouvait aussi tenir dans une tasse de thé fumant, dans une couverture en laine, dans le regard d’un renne empaillé dans un refuge — et dans la certitude que, dehors, la neige continue de tomber, doucement, infiniment.
A retenir
Peut-on vraiment vivre une expérience nordique en France ?
Oui, les massifs du Jura et du Vercors offrent des paysages, des activités et une ambiance proches de celles des régions nordiques. Avec des forêts enneigées, des lacs gelés, des chalets en bois et des expériences comme le traîneau à chiens ou le ski de fond, ces régions permettent une immersion totale dans une atmosphère hivernale authentique.
Quelles sont les activités incontournables en hiver dans ces régions ?
Le ski nordique, la raquette, les balades en traîneau à chiens, les randonnées contemplatives et les séances de bien-être en sauna ou bain nordique sont parmi les expériences les plus prisées. Chaque activité s’inscrit dans un rythme lent et respectueux de la nature.
Est-ce une destination abordable ?
Très abordable comparée aux voyages vers les pays nordiques. Les hébergements, les forfaits d’activités comme le Pass nordique, et les déplacements en train ou en voiture restent dans des budgets raisonnables, même en haute saison.
Quand partir pour profiter de la neige et des paysages ?
La période idéale s’étend de décembre à mars. Dès novembre, les premières chutes de neige peuvent apparaître, mais c’est entre janvier et février que les massifs atteignent leur apogée hivernal, avec un enneigement stable et des journées plus claires.
Peut-on y aller en famille ou en solo ?
Absolument. Ces régions conviennent aussi bien aux familles qu’aux voyageurs en solo. Les itinéraires sont variés, adaptés à tous les niveaux, et l’ambiance chaleureuse des villages et refuges favorise les rencontres ou la solitude choisie.