Un matin d’automne, alors que le givre léchait encore les feuilles des arbres et que l’air portait cette odeur caractéristique de terre humide et de feuilles mortes, Éléonore Berthier, maraîchère amateur dans un petit quartier de Saint-Cyr-sur-Mer, a eu un geste anodin qui allait tout changer. En triant les restes de son potager après la cueillette hebdomadaire, elle a regardé ses fanes de carottes, ses épluchures de betteraves et les queues de haricots avec un œil nouveau. Pourquoi les jeter ? Pourquoi ne pas en faire autre chose que du compost ? Ce jour-là, une idée a germé : et si ces déchets devenaient des œuvres ? Pas des œuvres d’art éphémères, mais des éléments vivants, intégrés au jardin, porteurs de sens, de beauté, et de convivialité. Ce simple changement de perspective a déclenché une onde de créativité dans tout le voisinage, transformant peu à peu un coin de verdure en galerie d’art végétal.
Comment une simple observation peut-elle révolutionner un jardin ?
Éléonore n’est pas artiste. Elle est professeure de sciences au collège, passionnée de botanique et d’agriculture raisonnée. Ce matin-là, en observant les fanes de carottes encore fraîches, elle a été frappée par leur couleur vive, leur texture délicate, leur forme aérienne. Elle les a lavées, les a laissées sécher quelques heures, puis, sur un coup d’inspiration, elle les a tressées. Rien de très compliqué : trois brins entrelacés, comme on tresse les cheveux. Elle a suspendu cette guirlande sous sa pergola, entre deux poutres de bois. Le résultat a été immédiat : un passant s’est arrêté, intrigué. C’est du plastique ? , a-t-il demandé. Non, a répondu Éléonore en souriant, c’est fait avec les fanes de mes carottes. Le visage de l’homme s’est illuminé. Vous avez fait ça avec des déchets ? C’est incroyable ! Ce simple échange a été le début d’un mouvement plus large.
Pourquoi les fanes de carottes sont-elles devenues une star du jardin décoratif ?
Les fanes de carottes, longtemps considérées comme des déchets inutiles, ont trouvé une seconde vie inattendue grâce à leur légèreté, leur souplesse et leur couleur vert tendre. Éléonore a rapidement perfectionné sa technique : choisir les fanes les plus fraîches, les tresser serré pour éviter qu’elles ne s’effilochent, et les vaporiser légèrement d’eau tous les deux jours. Au début, je pensais que ça ne tiendrait pas plus de trois jours, confie-t-elle. Mais en les maintenant humides et à l’abri du soleil direct, elles ont tenu plus de deux semaines. Elle a ensuite expérimenté des mélanges : fanes de carotte, feuilles de céleri, brins de persil. Le résultat ? Une guirlande plus dense, plus résistante, et surtout plus esthétique. C’est comme si on créait une tresse végétale vivante, qui respire, qui change de couleur au fil des jours. Bientôt, d’autres habitants du quartier ont commencé à lui demander des conseils. J’ai même vu des enfants venir avec des petits ciseaux, récupérer des fanes dans mon bac de compost, et essayer de faire leurs propres guirlandes , raconte-t-elle, émue.
Comment transformer des tiges de légumes en œuvres suspendues ?
Après les fanes, Éléonore s’est penchée sur d’autres éléments souvent jetés : les tiges de poireaux, les queues de haricots, les queues de courgettes. Solides, longues, parfois torsadées naturellement, elles se prêtent parfaitement à la création de mobiles. Avec l’aide de son voisin, Théo Lassalle, menuisier à la retraite, elle a conçu de petits cadres en bois récupéré, sur lesquels elle attache ces tiges avec des fils de jute. C’est comme une sculpture vivante, explique Théo. Quand le vent passe, tout bouge doucement, ça danse. Mais le vrai plus, c’est l’ajout d’herbes aromatiques. On attache de petits fagots de thym, de romarin ou de sauge aux mobiles, précise Éléonore. Quand on passe dessous, on sent une odeur fraîche, presque médicinale. C’est un parfum naturel, gratuit, et qui dure des semaines. Certains habitants ont même commencé à suspendre ces mobiles à leurs portes d’entrée, ou autour de leurs terrasses, créant une ambiance à la fois champêtre et sophistiquée.
Peut-on créer un paillage décoratif avec des épluchures ?
La réponse est oui, et c’est même l’une des innovations les plus spectaculaires. Lorsqu’Éléonore a commencé à sécher des épluchures de légumes — betteraves, oignons rouges, carottes, potimarrons — elle n’imaginait pas l’effet qu’elles allaient produire. Disposées en cercle autour des pieds d’arbres ou en bordure de massifs, ces écorces colorées forment un paillage à la fois fonctionnel et esthétique. Le paillage classique, c’est souvent du bois ou des copeaux, explique Camille Vercel, voisine d’Éléonore et enseignante en écologie. Mais là, on a quelque chose de plus vivant, de plus personnel. Chaque couleur raconte une récolte, une saison. Les épluchures sont séchées à l’air libre ou au four à très basse température (50°C pendant deux heures), puis disposées en couches fines. Elles protègent le sol du froid, limitent l’évaporation, et en se décomposant, elles enrichissent la terre , ajoute Camille. Le plus impressionnant ? Le contraste visuel : un massif bordé de pelures violettes d’oignon rouge et de bandes jaunes de carotte attire immédiatement le regard. On dirait un tableau de Monet fait avec des déchets , sourit-elle.
Comment passer d’un geste individuel à une dynamique collective ?
Le tournant a eu lieu lors d’un goûter organisé par Éléonore dans son jardin. Elle a invité voisins, amis, et quelques élèves curieux. Le thème ? Créer ensemble avec ce qu’on jette . Tables installées sous la pergola, paniers remplis de fanes, épluchures, fils, ciseaux. Chaque participant a pu tresser, assembler, suspendre. C’était magique, se souvient Lina, 12 ans, venue avec sa mère. J’ai fait une couronne avec des fanes de carotte et des pommes de pin. Je l’ai accrochée à ma porte, et ma grand-mère a dit que c’était la plus belle qu’elle ait jamais vue. Ce jour-là, une véritable culture du partage s’est installée. Les voisins ont commencé à échanger leurs surplus : J’ai trop de fanes, tu en veux ? , Tiens, j’ai des épluchures de betterave, elles sont parfaites pour le paillage. Une boîte en bois a même été installée au coin de la rue, où chacun dépose ses matériaux récupérables. On appelle ça la boîte à créativité , rigole Théo.
Pourquoi cette démarche séduit-elle autant ?
Plusieurs raisons expliquent ce succès. D’abord, le côté économique : tout est gratuit, issu du quotidien. Ensuite, l’aspect écologique : on réduit ses déchets, on valorise ce qu’on produit, on limite l’achat de décorations artificielles. Mais surtout, c’est l’aspect humain. On parle plus, on se croise, on échange , constate Éléonore. Ce jardinage décoratif devient un prétexte à la rencontre, à la transmission. Des enfants apprennent à reconnaître les légumes à partir de leurs restes. Des seniors redécouvrent des gestes oubliés — tresser, assembler, créer. C’est une forme de résistance douce à la société du jetable , affirme Camille. On ne jette plus, on transforme. On ne consomme plus, on invente.
Le composteur est-il jaloux ?
Presque. Alors que le bac à compost recevait autrefois toutes les chutes de cuisine, une partie est désormais détournée pour la décoration. On a appris à trier intelligemment, explique Éléonore. Ce qui est abîmé, mouillé, ou trop petit va au compost. Ce qui est beau, coloré, solide, devient décor. Le composteur n’est pas oublié : il reçoit les épluchures une fois desséchées, ou après qu’elles ont servi de paillage. Rien ne se perd, tout circule , résume Théo. Et cette circulation, elle n’est pas seulement matérielle : elle est aussi sociale, affective, poétique.
Comment ce mouvement peut-il s’étendre au-delà du quartier ?
La réponse est dans la simplicité du geste. Il ne faut ni matériel coûteux, ni compétence particulière. Juste un regard neuf sur ce qu’on jette. Ce n’est pas une mode, c’est une philosophie , insiste Éléonore. Déjà, des écoles du coin ont intégré ces ateliers dans leurs programmes de sciences ou d’arts plastiques. Des associations locales proposent des formations gratuites. On ne veut pas breveter l’idée, on veut la partager , dit-elle. Le but ? Que chaque jardin, chaque balcon, chaque terrasse devienne un lieu de création, de respect, de beauté.
Quels sont les bénéfices concrets de cette approche ?
- Réduction des déchets organiques : jusqu’à 30 % de moins dans la poubelle de cuisine.
- Enrichissement du sol : les paillages colorés se décomposent lentement, nourrissant la terre.
- Économie sur les décorations : plus besoin d’acheter des guirlandes ou des couronnes.
- Renforcement des liens sociaux : les ateliers créatifs rassemblent familles, voisins, générations.
- Éducation à l’éco-citoyenneté : les enfants apprennent à valoriser les ressources.
Conclusion : un jardin, une œuvre, une communauté
Ce qui a commencé comme un simple geste anti-gaspi s’est transformé en mouvement de terrain. Grâce à des personnes comme Éléonore, Théo ou Camille, le jardin n’est plus seulement un lieu de production, mais un espace de création, de partage, de résilience. Transformer des restes en décorations, ce n’est pas seulement joli : c’est un acte politique, doux, joyeux. Un rappel que la beauté peut naître de l’humilité, que l’art peut être fait avec rien, et que la solidarité commence dans son propre potager. Alors, à la prochaine récolte, qui osera tresser ses fanes, suspendre ses tiges, pailler avec ses épluchures ? Le jardin attend.
A retenir
Quels matériaux peut-on utiliser pour ces décorations naturelles ?
Les fanes de carottes, les tiges de poireaux ou de haricots, les épluchures colorées de betterave, oignon rouge, carotte, potimarron, ainsi que des herbes aromatiques comme le thym ou le romarin sont idéaux. Il suffit qu’ils soient frais, solides et propres.
Comment conserver ces créations dans le temps ?
En les vaporisant légèrement d’eau tous les deux ou trois jours, en les installant à l’abri du soleil direct et du vent violent. Les paillages, eux, se conservent plusieurs semaines avant de se décomposer naturellement.
Faut-il sacrifier son compost pour décorer ?
Non. Il s’agit de trier intelligemment : les éléments les plus beaux et les plus stables servent à la décoration, les autres continuent leur cycle dans le compost. Le tout est de trouver un équilibre.
Peut-on faire participer les enfants à ces ateliers ?
Absolument. Ces activités sont ludiques, éducatives et accessibles dès 6 ans. Elles permettent d’apprendre le nom des légumes, les saisons, et le principe du recyclage de manière concrète.
Cette démarche est-elle applicable en ville ?
Oui. Même sur un balcon ou dans une cour, il est possible de créer des guirlandes, des mobiles ou des paillages en pots. L’essentiel est d’avoir un regard créatif sur ce qu’on produit chaque jour.