Pommes ternes cet automne ? La raison oubliée par les jeunes agriculteurs

En cette fin d’automne 2025, une promenade dans un verger de campagne dévoile un spectacle étrange : les pommes pendent aux branches, bien formées, charnues, mais comme décolorées. Leur peau, habituellement vive et brillante, arbore des teintes pâles, entre vert d’eau et jaune terne, loin des rouges flamboyants que l’on associe aux récoltes d’antan. Ce phénomène, loin d’être anecdotique, interroge. Pourquoi ces fruits, pourtant sains, semblent-ils avoir perdu leur éclat ? Est-ce un simple effet du climat, ou un signe plus profond d’un déséquilibre dans notre rapport à la nature ? En s’inspirant des savoirs oubliés et en observant les gestes simples des jardiniers d’hier, il est possible de comprendre – et surtout de corriger – ce manque de couleur, sans renoncer à la beauté ni au goût des pommes de nos vergers.

Pourquoi certaines pommes ne rougissent-elles plus malgré une bonne maturité ?

Le phénomène des pommes pâles n’est pas nouveau, mais il devient de plus en plus fréquent. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas nécessairement d’un problème de santé du pommier ou d’une carence en nutriments. La plupart du temps, les fruits sont sains, bien sucrés, et leur texture n’a rien à envier aux récoltes des années passées. Ce qui manque, c’est la couleur.

L’absence de rougissement ou de brillance est principalement liée à la photosynthèse et à la synthèse des anthocyanes, ces pigments responsables des teintes rouges et violettes. Or, leur production dépend fortement de conditions environnementales précises : alternance marquée entre les journées ensoleillées et les nuits fraîches, exposition directe au soleil, et un certain niveau de stress thermique modéré. En 2025, l’automne a été particulièrement doux, avec des températures nocturnes bien au-dessus des normales saisonnières. Ce manque de contraste jour/nuit perturbe le signal naturel de coloration, même si le fruit atteint sa maturité botanique.

Camille Laroche, maraîchère bio dans l’Orne depuis trente ans, observe ce changement depuis plusieurs saisons : J’ai vu des années où les pommes étaient si rouges qu’on les croyait vernies. Aujourd’hui, même sur mes Golden Delicious, qui ne sont pas censées rougir, je remarque un aspect terne. Ce n’est pas une maladie, mais un signe que le climat nous parle.

Quels sont les autres facteurs qui influencent la couleur des pommes ?

Au-delà de la température, plusieurs éléments peuvent amplifier ou atténuer ce phénomène. L’humidité excessive, par exemple, favorise l’apparition de feutres ou de taches superficielles sur la peau, rendant les fruits moins brillants. Un arrosage irrégulier en été peut aussi provoquer un stress hydrique, qui limite la croissance des cellules superficielles et affecte la pigmentation.

De même, une ramure trop dense empêche la lumière de pénétrer jusqu’aux fruits. J’ai un vieux pommier Reinette du Canada dans mon jardin , raconte Thomas Berthier, jardinier amateur dans le Lot-et-Garonne. Cette année, j’ai oublié de l’éclaircir en août. Résultat : les pommes du milieu de l’arbre sont vertes, presque immatures, alors qu’elles sont parfaites à l’intérieur.

Enfin, la baisse de l’activité des pollinisateurs due aux intempéries printanières peut indirectement affecter la qualité du fruit, en réduisant la fertilité des fleurs. Moins de graines, moins de signaux hormonaux pour le développement complet du fruit – y compris sa couleur.

Quels enseignements les anciens jardiniers nous ont-ils transmis ?

Avant l’ère des pesticides et des variétés hyper-productives, les jardiniers de campagne s’appuyaient sur l’observation fine des saisons et des cycles naturels. Ils ne disposaient pas de thermomètres ni de capteurs, mais ils savaient lire les signes : la couleur des feuilles, la texture de l’écorce, la manière dont les fruits s’attachaient à la branche.

La tradition orale jouait un rôle central. Ma grand-mère disait toujours : “Les pommes rougissent quand elles ont froid le soir” , se souvient Élise Moreau, aujourd’hui retraitée dans les Vosges. Elle attendait les premières gelées légères pour cueillir ses Reinettes. Elle disait que c’était ce petit choc thermique qui “réveillait” la couleur.

Les gestes étaient simples, mais appliqués avec rigueur : éclaircir les branches en fin d’été pour laisser passer la lumière, pailler autour du tronc pour maintenir une humidité constante, et surtout, choisir les variétés adaptées au microclimat du jardin.

Quelles pratiques anciennes sont encore utiles aujourd’hui ?

La taille d’éclaircissage, pratiquée fin août ou début septembre, reste l’un des gestes les plus efficaces. En supprimant quelques branches intérieures, on permet à la lumière du soleil de toucher directement les fruits, ce qui stimule la production d’anthocyanes. C’est comme offrir une dernière cure de soleil aux pommes avant l’hiver , sourit Camille Laroche.

Le paillage organique, souvent fait avec du foin, des feuilles mortes ou du broyat, protège les racines des variations brutales de température et conserve l’humidité du sol. Je n’arrose jamais en automne, mais je paille toujours , explique Thomas Berthier. C’est comme une couverture pour l’arbre. Il respire mieux, et ses fruits aussi.

Un autre geste oublié : la rotation des cultures autour du verger. Les anciens évitaient de planter des légumes ou des massifs trop proches des pommiers, pour ne pas créer d’ombre ou de concurrence pour l’eau. Aujourd’hui, avec l’essor des jardins denses et décoratifs, cette règle est souvent négligée.

Comment adapter son verger aux nouvelles conditions climatiques ?

Le climat change, et les vergers doivent évoluer avec lui. Plutôt que de lutter contre les saisons, il s’agit de s’y adapter intelligemment. Le premier pas ? Réfléchir à l’emplacement et à l’agencement des arbres.

Les plantations en quinconce, par exemple, permettent une meilleure circulation de l’air et une exposition optimale au soleil. J’ai replanté cinq pommiers l’année dernière en suivant ce principe , raconte Élise Moreau. Même si l’automne a été doux, mes Gala ont bien coloré. La différence est nette par rapport à mon ancien alignement.

Le choix des variétés est tout aussi crucial. Certaines, comme la Fuji ou la Gala, sont plus tolérantes aux automnes tièdes. D’autres, comme la Reinette grise du Canada, nécessitent un vrai coup de froid pour exprimer leur potentiel gustatif et visuel. Je conseille toujours de diversifier , insiste Camille Laroche. Avoir trois ou quatre variétés, c’est s’assurer qu’au moins une donnera bien chaque année.

Existe-t-il des solutions techniques simples et durables ?

Oui, et certaines sont même inspirées des anciennes pratiques. Les filets réflecteurs, par exemple, sont des bâches argentées que l’on installe au sol sous les arbres. Elles renvoient la lumière vers la face inférieure des fruits, favorisant un rougissement plus uniforme. C’est un peu comme un miroir pour pommes , rigole Thomas Berthier, qui a testé cette méthode avec succès.

Un autre levier : l’orientation du verger. Un pommier planté face au sud, loin des murs ou des haies hautes, recevra plus de lumière directe. J’ai déplacé un jeune arbre l’année dernière , témoigne Élise Moreau. Il était à l’ombre d’un noyer. Depuis, ses fruits sont plus brillants, même si le climat n’a pas changé.

Enfin, limiter l’usage des engrais chimiques est essentiel. Un sol trop riche en azote favorise la croissance végétative au détriment de la maturation des fruits. J’ai arrêté les engrais il y a dix ans , confie Camille Laroche. Mes pommes sont peut-être un peu plus petites, mais elles ont plus de goût, et cette année, elles ont mieux coloré que celles de mes voisins.

Comment retrouver la beauté et le goût des pommes d’autrefois ?

La nostalgie des pommes d’antan est compréhensible, mais elle ne doit pas nous aveugler. Le monde change, et nos vergers aussi. L’enjeu n’est pas de reproduire exactement le passé, mais de s’inspirer de sa sagesse pour créer des jardins plus résilients, plus vivants.

La beauté d’un verger ne réside pas seulement dans la couleur des fruits, mais dans l’équilibre qu’il incarne. Un pommier bien entretenu, en harmonie avec son environnement, donne des pommes savoureuses, même si elles ne sont pas parfaitement rouges. Cette année, j’ai eu des pommes pâles, mais incroyablement sucrées , raconte Thomas Berthier. Je les ai utilisées pour un cidre doux. Le résultat était magnifique.

Le jardin paysager du XXIe siècle doit intégrer cette nouvelle réalité : accepter les variations, jouer avec les contrastes, et privilégier la biodiversité. Remplacer une pelouse gourmande en eau par des couvre-sols vivaces, intégrer des massifs de plantes mellifères, ou planter des haies fruitières basses : autant de gestes qui renforcent la vitalité globale du jardin.

Comme le dit si bien Élise Moreau : Le verger, c’est une conversation avec la nature. Parfois, elle répond par des pommes rouges. Parfois, par des pommes pâles. Il faut savoir l’écouter.

A retenir

Pourquoi mes pommes ne rougissent-elles pas cette année ?

Le manque de rougissement est principalement dû à des automnes trop doux, avec des nuits sans fraîcheur suffisante. Ce contraste thermique jour/nuit est essentiel à la production des pigments rouges. D’autres facteurs comme une ramure trop dense, un excès d’humidité ou un mauvais ensoleillement peuvent également jouer.

Les pommes pâles sont-elles moins bonnes ?

Non. L’absence de couleur est souvent purement esthétique. Les pommes peuvent être parfaitement mûres, sucrées et savoureuses, même si leur peau reste verte ou jaune pâle. Le goût et la texture ne sont généralement pas affectés.

Quels gestes simples peuvent améliorer la couleur des pommes ?

Pratiquez une taille d’éclaircissage fin été pour exposer les fruits au soleil, utilisez un paillis organique pour stabiliser l’humidité du sol, et installez des filets réflecteurs si votre verger est bien exposé. Choisissez aussi des variétés adaptées à votre climat local.

Faut-il changer de variétés de pommiers ?

Il peut être judicieux de diversifier. Certaines variétés comme Gala, Fuji ou Reinette grise du Canada réagissent mieux aux automnes doux. Avoir plusieurs variétés permet de s’assurer une récolte de qualité chaque année, malgré les variations climatiques.

Peut-on faire quelque chose en automne pour améliorer la récolte ?

Il est trop tard pour influencer la coloration une fois l’automne avancé. En revanche, on peut préparer le verger pour l’année suivante : nettoyer les feuilles tombées pour éviter les maladies, pailler autour des arbres, et planifier une taille d’hiver pour améliorer l’aération et l’exposition.