À 70 ans, une visite médicale tous les 5 ans pourrait vous retirer le permis en 2025

À Janvry, dans l’Essonne, Gisèle Benoît, 76 ans, a mis dix jours pour se décider : « J’ai enfin pris rendez-vous chez l’ophtalmo pour voir si je peux encore conduire jusqu’à ma maison de campagne. » Comme elle, près de six millions de Français de plus de 70 ans attendent l’issue d’un texte examiné en ce moment même à l’Assemblée nationale. Le pari est simple conserver l’autonomie tout en réduisant les 24 % de tués sur les routes que représentent les seniors en 2024. La réforme pourrait plonger dans l’obligation une visite médicale tous les cinq ans. Objectif affiché : éprouver vue, ouïe, réflexes et jugement avant de reconduire – ou pas – l’autorisation de rouler.

Quelle est l’étendue réelle du risque routier chez les personnes âgées ?

En 2024, 93 % des plus de 65 ans prennent encore le volant chaque semaine. Mais les secouristes constatent un fait : après 75 ans, la part des conducteurs impliqués dans des accidents mortels grimpte, surtout sur les routes départementales sinueuses ou à l’entrée des villages où la vitesse varie brutalement. Nathalie Auvray, infirmière en lien avec les pompiers de Saumur, raconte : « Je vois passer des patients qui ont quitté la route après avoir confondu frein et accélérateur. Chaque interrogatoire met en lumière une baisse de vision ou un temps de réaction allongé. » Non, les seniors ne roulent pas plus vite : ils mettent cinq secondes de plus que la moyenne nationale pour doubler, mais un obstacle qui surgit les surprend davantage, tout comme les virages serrés.

Que contient exactement la proposition de loi en cours ?

Le texte, soutenu par une quinzaine de députés issus de quatre groupes, soumet chaque conducteur de plus de 70 ans à une visite médicale obligatoire tous les cinq ans. Elle comportera :

  • Un examen visuel complet (vision de loin, de près et perif.
  • Un test auditif dans une cabine insonorisée.
  • Un disque de réaction au pied et à la main pour mesurer le temps de freinage virtuel.
  • Une épreuve d’attention soutenue sur grand écran pendant laquatreneuf secondes.

Un médecin agréé remettra un certificat de trois couleurs : vert « passe pour cinq ans », orange « passe avec restrictions » ou rouge « suspendu en attendant un avis spécialisé ». Le projet prévoit même un stage obligatoire de six heures de remise à niveau pour les conducteurs pensionnés de la catégorie orange.

Comment vont être accompagnés les seniors en cas de restrictions ?

Guillaume Mateo, 81 ans, retraité vigneron bordelais, a expérimenté pour Le Monde une version pilote du contrôle en janvier dernier : « J’ai obtenu un avis orange parce que mon champ visuel gauche est réduit. J’ai suivi trois journées de formation à Bacalan. On m’a appris à caler mon rétroviseur plus bas et à faire une rotation du buste avant tout changement de file. Depuis, ma femme est plus sereine quand je pars à la cave. »

L’avantage est d’adapter la conduite : interdiction de rouler de nuit ou sur autoroute, limitation d’usage aux jours de marché uniquement, ou encore installation gratuite d’un avertisseur de franchissement de ligne. La première idée n’est pas le retrait mais l’ajustement. Enfin, en référence à l’Allemagne voisine, une carte grise spéciale « senior adapté » sera délivrée pour visualiser les limitations en une seconde.

Pouvons-nous parler de discrimination au vu du seul critère d’âge ?

À la sortie d’un supermarché de Tours, Colette Lelandais, 73 ans, agite son ticket de caisse : « On ne fait pas passer ce test aux trentenaires fatigués ! » Pourtant, le Conseil d’État a déjà validé le principe lors de consultations en 2021 : l’âge lié à un risque physiologique mesurable n’entre pas dans la définition stricte de la discrimination lorsqu’il est proportionné et accompagné d’exceptions médicales. En d’autres termes, un marathonien de 72 ans obtiendra le même certificat vert qu’un sportif de 35 ans s’il remplit les critères. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle la liberté de circulation, mais aussi le droit à la dignité : perdre la vie ou en prendre une autre sur la chaussée voit sa balance peser lourd.

Comment les pays européens ont-ils réglé la question ?

Depuis 2013, le Portugal oblige un check-up tous les cinq ans après 65 ans ; le résultat est sans appel : les accidents mortels chez les seniors ont reculé de 19 %. En Slovaquie, on pratique un entretien vidéo depuis cinq ans auprès des plus de 70 ans : le conducteur peut y raconter son parcours hebdomadaire, ce qui aide à détecter des signes de début de démence. Dans le nord de l’Italie, des médecins spécialisés se rendent directement dans les maisons de retraite pour minimiser le stress du trajet. Chaque nation a gardé sa marge locale : l’Espagne applique le test tous les deux ans après 80 ans, la France opte pour le seuil plus large de 70, histoire d’anticiper plutôt que de guérir.

Comment se préparer concrètement à cette visite médicale ?

Julien Rossignol, ophtalmologiste à Mulhouse, conseille trois étapes :
1. « Dormir sept heures la veille : la fatigue diminue la réaction pupillaire. »
2. « Remplacer le café par un thé juste avant le test ; la caféine surestime la réaction nerveuse puis fait chuter brutalement. »
3. « S’entraîner à lire immobile des panneaux de signalisation à trente mètres grâce aux applications gratuites « Signal Senior » et « Road Eye » disponibles sur smartphone.

À Montauban, une association de retraités offre des séances collectives tous les lundis. Chaque participant reçoit une fiche de reprise du code incluant les feux clignotants modifiés par les récents décrets. Résultat : sur 210 personnes testées, 83 % repartent avec le feu vert.

Si le permis venait à être suspendu, comment rester mobile ?

Quand le verdict tombe rouge, le métro n’attend pas. À Dieppe, la communauté urbaine lance des bus « Allô voisin » réservables la veille via une ligne vocale : 3 € le trajet quelle que soit la distance intra-muros. À Caen, le service « Communauto Senior » loue des voitures électriques aux familles sans permis pour des trajets de moins de 50 km. Les quatre premières heures sont offertes chaque mois. La solution se place à mi-chemin entre taxi et transport collectif. L’association « Routes sans voiture » propose même des accompagnateurs bénévoles pour les grandes courses.

Quelle attitude adopter dès aujourd’hui pour conduire plus sûr ?

Sur la route des Baronnies, Bernard Laroche, 79 ans, double enfin une caravane après avoir suivi une session « bonus sécurité » financée par AXA : « On m’a appris à rouler à 75 km/h tout en gardant 35 m de distance. Je suis arrivé à Crest dix minutes plus tard qu’avant, mais sans sueur froide. » L’accent est mis sur les gestes simples : tourner la tête avant tout croisement, bloquer le volant avant de freiner en côte, et verrouiller l’allumage dès l’arrêt. L’entraînement régulier dans un parking vide les dimanches suffit à rafistoler la mémoire musculaire.

Pourquoi ne pas attendre la loi pour bouger dès maintenant ?

Un simple test en ligne gratuit, celui de la préfecture de l’Isère, permet déjà de savoir si l’on vaut plutôt la catégorie verte ou orange : 15 paysages routiers simulés pour 89 % de fiabilité. « J’ai compris que ma vision de nuit déclinait juste en voyant mes fautes sur l’écran », avoue Christophe Anglade, 71 ans, conducteur Uber Eats occasionnel. Son diagnostic rapide l’a convaincu d’acheter des lunettes à verres jaunes filtrants, passée sur le test oranje aux Pays-Bas. Le coût : 47 €, bien moins cher qu’un accident.

A retenir

À quel âge le contrôle médical deviendra-t-il obligatoire ?

À partir de 70 ans, tous les cinq ans, même en bonne santé.

Combien coûtera cette visite ?

Environ 90 €, non remboursée par la Sécurité sociale, mais certaines mutuelles seniors proposent déjà une prise en charge partielle.

Puis-je conduire tranquillement en attendant la loi ?

Oui, le texte ne s’appliquera qu’à partir de 2025 et sera déployé progressivement par département.

Mon conjoint peut-il m’accompagner à la visite ?

Absolument, la présence d’un proche est même recommandée pour calmer l’angoisse et retenir les conseils du médecin.