L’émotion, chez un enfant, est comme un oiseau fragile : elle hésite à sortir de son nid, surtout si personne ne lui montre qu’il est sûr de voler. En tant que grand-parent, on ne cherche pas à devenir un psychologue, ni à remplacer les parents. On aspire simplement à être ce port d’attache, ce grand-père ou cette grand-mère auprès de qui l’enfant peut poser son sac lourd de peurs, de joies maladroites ou de chagrins qu’il ne comprend pas encore. Aider un petit-enfant à nommer ce qu’il ressent, c’est lui offrir une boussole intérieure. Ce n’est pas inné, mais c’est apprenable. Et l’expérience, la bienveillance, le temps qu’ont souvent les aînés en plus, en font des alliés précieux dans ce cheminement.
Comment créer un espace où l’enfant ose parler de ses émotions ?
Le premier pas n’est pas de parler, mais d’écouter. Pas d’écouter en attendant son tour de parole, mais d’écouter avec tout son être. C’est ce que l’on appelle l’écoute active, une posture d’accueil qui ne juge pas, ne presse pas, ne corrige pas. Elle consiste à être pleinement présent, à capter les silences, les regards fuyants, les gestes hésitants. C’est dans ces interstices que se logent souvent les émotions les plus profondes.
Quelle posture adopter pour instaurer une véritable connexion ?
Il y a un moment, dans la vie d’Élodie, grand-mère de 68 ans, où elle a compris que sa petite-fille de 5 ans, Camille, traversait une période de tristesse. Ce n’était pas dans ses mots, mais dans sa façon de s’asseoir, les genoux repliés contre la poitrine, les yeux fixés sur un point invisible. Élodie, sans un mot, s’est assise par terre, à côté d’elle, dos au mur, et a simplement dit : Tu as l’air d’avoir quelque chose sur le cœur. Je suis là, si tu veux en parler. Elle n’a pas insisté. Elle a attendu. Et au bout de dix minutes, Camille a murmuré : J’ai peur que maman parte comme papa. Ce moment, Élodie le considère comme un tournant. Elle n’avait rien fait d’extraordinaire, sinon se mettre à la hauteur de son enfant, physiquement et émotionnellement.
Se baisser, s’asseoir, croiser les jambes, regarder l’enfant dans les yeux sans insistance : ces gestes simples transmettent un message puissant. Celui d’un adulte qui ne domine pas, qui ne sermonne pas, mais qui accompagne. C’est dans ces instants-là que l’enfant sent qu’il peut être vu, entendu, sans risque de se faire gronder ou minimiser.
Comment répondre quand l’enfant ne trouve pas ses mots ?
Parfois, les émotions sont si confuses qu’elles n’ont pas de nom. C’est là que la reformulation devient un outil précieux. Plutôt que de demander : Qu’est-ce qui ne va pas ? , ce qui peut sembler une interrogation, on peut dire : On dirait que tu es un peu tendu aujourd’hui. Ou encore : Tu as l’air déçu, comme si quelque chose ne s’était pas passé comme tu voulais.
Théo, 7 ans, avait refusé de descendre de la voiture devant l’école. Son grand-père, Henri, ne l’a pas grondé. Il a attendu, puis doucement dit : Il y a quelque chose qui te fait peur, là-dedans ? Théo a hoché la tête. C’est la maîtresse ? Les copains ? Henri a énuméré sans pression. C’est… le bruit , a fini par lâcher Théo. Henri a répondu : Le bruit, c’est dur à supporter parfois. Moi aussi, quand j’étais petit, je trouvais que la cour de récréation criait trop fort. Cette reconnaissance a apaisé Théo. Il n’était plus seul avec son malaise.
Valider, c’est dire : Ce que tu ressens est normal. Tu as le droit d’être triste, fâché, excité, effrayé. Rassurer, ce n’est pas dire tout va bien , mais je suis là, tu n’es pas seul .
Pourquoi les livres jeunesse sont-ils des alliés précieux pour parler des émotions ?
Les enfants ne parlent pas toujours directement. Mais ils s’identifient, s’imaginent dans les histoires. Un personnage triste, un petit ours en colère, un lapin qui a peur du noir : ce sont des miroirs. Et les livres jeunesse, surtout ceux publiés ces dernières années, ont su s’emparer de ces sujets avec une finesse remarquable.
Quels albums choisir pour aborder les émotions avec un enfant ?
Il existe des livres qui, comme des clés, ouvrent des portes. Le Livre de la jungle des émotions, par exemple, propose une métaphore animale pour chaque sentiment : le lion pour la colère, le chat pour la peur, le dauphin pour la joie. D’autres, comme Grignote a peur du noir ou Le petit chaperon rouge et la jalousie, abordent des situations concrètes.
Chloé, grand-mère de deux petits-fils, a découvert Le Monstre des couleurs grâce à sa fille. Elle l’a lu avec Lucas, 6 ans, qui traversait une période d’agitation. Après la lecture, Lucas a dit : Moi, je suis un peu comme le monstre. Tout est mélangé dans ma tête. Ce livre lui a permis de nommer ce qu’il ressentait : un mélange de fatigue, d’excitation et de tristesse. Depuis, ils utilisent une roue des émotions fabriquée maison, que Lucas tourne chaque soir.
Le choix d’un album doit tenir compte de l’âge, mais aussi du tempérament de l’enfant. Certains préfèrent les histoires douces, d’autres les récits drôles. L’important est que le livre parle à l’enfant, pas seulement à l’adulte.
Comment transformer la lecture en moment d’échange ?
Lire un livre, c’est bien. En parler, c’est mieux. Après la lecture, quelques questions simples peuvent ouvrir la discussion : Et toi, tu as déjà ressenti ça ? , Qu’est-ce que tu aurais fait à la place du héros ? , Tu crois qu’il va s’en sortir ? .
Parfois, les enfants ne répondent pas tout de suite. Mais quelques jours plus tard, ils reviennent sur une scène. C’est ce qui est arrivé à Nadia, grand-mère de Lina, 5 ans. Après avoir lu une histoire sur un petit garçon triste parce que son copain avait changé d’école, Lina a dit, une semaine plus tard, en jouant : Moi aussi, j’ai perdu une copine. Elle est partie en vacances. Nadia n’a rien forcé. Elle a juste dit : C’est dur de dire au revoir, même pour un peu de temps. Ce moment a permis à Lina de nommer sa mélancolie.
Et pourquoi ne pas inventer la suite du livre ensemble ? Et si le monstre avait rencontré un autre monstre, plus calme ? Ces jeux d’imagination aident l’enfant à explorer ses émotions sans pression.
Quels rituels simples peuvent aider l’enfant à exprimer ce qu’il ressent ?
Les rituels sont des ancres. Ils donnent un cadre, une régularité. Ils ne résolvent pas les émotions, mais ils les rendent familières. Et quand on connaît ses émotions, on les craint moins.
Comment mettre en place le météo des émotions ?
Ce rituel, simple comme un jeu, consiste à demander chaque jour à l’enfant : Quel temps fait-il dans ton cœur aujourd’hui ? Soleil pour la joie, nuage pour la tristesse, éclair pour la colère, arc-en-ciel pour un mélange d’émotions.
Julien, grand-père de 70 ans, a instauré ce rituel avec son petit-fils Émile, 8 ans, lors des week-ends passés chez lui. Chaque vendredi soir, ils dessinent ensemble la météo du jour sur un petit tableau aimanté. Un jour, Émile a dessiné un orage avec un petit soleil caché derrière. Pourquoi le soleil est là ? a demandé Julien. Parce que j’étais fâché contre mon frère, mais j’aime quand même jouer avec lui , a répondu Émile. Ce rituel a permis à Julien de comprendre que la colère et l’amour peuvent coexister.
Avec les plus petits, on peut utiliser des pictogrammes ou des poupées émotionnelles. L’idée est de rendre visible ce qui est invisible.
Quelles activités créatives favorisent l’expression des émotions ?
Pour certains enfants, parler est difficile. Dessiner, modeler, jouer, c’est leur langage. Offrir des activités créatives, c’est leur ouvrir une porte dérobée vers l’expression.
Marie, grand-mère d’Élisa, 4 ans, propose chaque samedi un atelier des sentiments . Un jour, elle a donné à Élisa deux morceaux de pâte à modeler : un rouge et un bleu. Le rouge, c’est pour ce qui te met en colère. Le bleu, pour ce qui te rend triste. Élisa a modelé une grosse boule rouge, puis l’a écrasée. C’est quand maman dit non ! , a-t-elle lancé. Le bleu, elle l’a roulé en une petite boule fine : C’est quand papy est parti. Ce moment a permis à Marie de comprendre que la séparation, même brève, laisse des traces.
On peut aussi créer une boîte à secrets : un coffret où l’enfant glisse des dessins, des mots, des objets symboliques. Ou jouer avec des marionnettes : Et si ce petit ours voulait parler à son grand-père, mais il avait peur ? Que dirait-il ?
Ces activités ne sont pas des thérapies. Elles sont des invitations. Et souvent, c’est en modelant un monstre colère que l’enfant commence à en parler.
Quelles erreurs éviter quand on accompagne un enfant dans ses émotions ?
Les intentions sont bonnes, mais certains réflexes peuvent bloquer la parole. Minimiser, par exemple : Ce n’est rien, tu vas voir, demain ça ira mieux. Cela revient à dire : Ce que tu ressens n’a pas d’importance.
Interroger de loin, en criant depuis la cuisine : Tu vas bien ? Cela ne crée pas de lien. Il faut un moment, un regard, une disponibilité.
Négliger l’imaginaire. Un enfant qui parle d’un monstre sous le lit ne ment pas. Il exprime une peur réelle, à travers un langage symbolique. Le prendre au sérieux, c’est l’aider à la traverser.
Et surtout, ne pas attendre que l’enfant parle spontanément. Il faut l’inviter, doucement, régulièrement, sans pression.
Conclusion
Accompagner un petit-enfant dans l’expression de ses émotions, ce n’est pas le guérir, ni le rendre parfaitement heureux. C’est lui apprendre qu’il est légitime d’avoir un cœur qui bat fort, qui se serre, qui s’emballe. C’est lui montrer que les grandes personnes aussi ont connu ces tempêtes. Et que, parfois, un simple regard, une phrase bienveillante, un livre partagé, suffisent à les apaiser.
Chaque grand-parent a son style. Certains parlent peu, mais écoutent beaucoup. D’autres racontent des histoires, inventent des jeux. L’essentiel n’est pas la méthode, mais la sincérité. L’enfant sent quand on est vrai. Et c’est dans cette authenticité qu’il trouve le courage de dire : Aujourd’hui, j’ai mal ici. En pointant son cœur.
A retenir
Quelle est la première chose à faire quand un enfant semble triste ou en colère ?
Prendre le temps de l’accueillir sans chercher à résoudre immédiatement la situation. Se mettre à sa hauteur, physiquement et émotionnellement, et lui signifier qu’il est vu et entendu, même s’il ne parle pas.
Peut-on parler de ses propres émotions d’enfant avec son petit-enfant ?
Oui, et c’est même bénéfique. Raconter une peur, une colère, une joie intense vécue dans son enfance aide l’enfant à se sentir moins seul. Cela crée un lien intergénérationnel basé sur la vulnérabilité partagée.
Comment savoir si un livre est adapté à l’âge de l’enfant ?
Il faut observer la complexité du texte, la densité des émotions abordées, et surtout la réaction de l’enfant. Un bon indicateur est de voir s’il pose des questions, s’il s’identifie au personnage, ou s’il revient spontanément vers l’histoire les jours suivants.
Que faire si l’enfant refuse de participer aux rituels ou activités ?
Ne pas insister. Proposer, mais sans obligation. L’important est que l’enfant sente que l’espace est ouvert, pas qu’il doive le remplir. Parfois, il observe, puis participe des semaines plus tard, à sa manière.
Est-ce que ces approches fonctionnent avec tous les enfants ?
Oui, mais différemment. Chaque enfant a son rythme, son langage. Certains parleront, d’autres dessineront, d’autres resteront silencieux mais absorberont chaque geste de bienveillance. La régularité et la patience sont les clés.