Alors que l’épargne des Français connaît une mutation profonde, les chiffres récents livrés par France Assureurs dessinent un nouveau paysage financier. En mars, la collecte nette sur les contrats d’assurance-vie a franchi la barre des 4 milliards d’euros, un niveau inédit depuis quinze ans. Un signal fort, corroboré par des versements totaux atteignant 15,5 milliards d’euros, légèrement supérieurs au précédent record établi en mars 2024. Ce mouvement massif reflète une recomposition des priorités des épargnants, qui redéfinissent leurs stratégies face à un contexte économique en pleine évolution. Entre baisse des taux sur les livrets réglementés, recherche de rendements plus attractifs et montée en puissance des unités de compte, les comportements d’épargne révèlent une volonté de s’adapter, voire de se réinventer.
Qu’est-ce qui pousse les Français vers l’assurance-vie ?
L’un des principaux moteurs de ce mouvement réside dans l’affaiblissement des rendements des livrets réglementés. Le 1er février, le taux du livret A est passé de 3 % à 2,4 %, celui du Livret d’Épargne Populaire (LEP) de 4 % à 3,5 %, et le Livret de Développement Durable et Solidaire (LDDS) a suivi la même trajectoire. Une baisse qui, bien qu’apparemment modeste, a des répercussions importantes sur les choix des ménages. “C’est un tournant psychologique autant qu’économique”, explique Philippe Crevel, économiste reconnu pour ses analyses du marché de l’épargne. “Les Français voient désormais leurs placements les plus sûrs rapporter moins, et ils cherchent des alternatives qui préservent leur pouvoir d’achat.”
Le livret A, longtemps perçu comme le pilier de l’épargne de précaution, perd de son aura. En témoigne le cas de Camille Leroy, enseignante en région parisienne, qui a transféré 20 000 euros de son livret A vers un contrat d’assurance-vie mixte. “Je ne supportais plus de voir mon argent dormir alors que l’inflation ronge mon pouvoir d’achat. Même si je ne suis pas une grande investisseuse, je voulais au moins essayer de faire fructifier mes économies.”
La décision de la Banque centrale européenne de réduire ses taux directeurs a également pesé sur les dépôts à terme, dont les rendements ont chuté en dessous de 3 % en moyenne. Dans ce contexte, l’assurance-vie apparaît comme une solution intermédiaire : plus souple que les livrets, plus sécurisée que les marchés actions, et surtout, capable d’offrir des perspectives de rendement supérieures dans un environnement de taux bas.
Pourquoi les livrets réglementés perdent-ils de leur attrait ?
Les livrets réglementés, bien que toujours populaires, subissent les effets combinés de la baisse des taux et de la perte de compétitivité face à d’autres produits. Le livret A, par exemple, bien qu’exonéré d’impôts et garanti par l’État, ne permet plus de suivre le rythme de l’inflation, qui s’établit autour de 2,8 % sur les douze derniers mois. “Il y a une prise de conscience progressive”, note Philippe Crevel. “Les Français réalisent que garder trop d’argent sur un livret A, c’est en réalité en perdre, en termes réels.”
Cette prise de conscience se traduit par un désengagement progressif. Les encours du livret A ont baissé de 1,2 % sur les trois derniers mois, selon les données de la Caisse des Dépôts. En parallèle, les transferts vers des placements plus dynamiques se multiplient. Le cas de Thomas Ngala, ingénieur en Bretagne, illustre cette transition. “J’avais 40 000 euros sur mon livret A, accumulés pendant des années. Je me suis dit que c’était du capital inactif. J’ai commencé par débloquer 15 000 euros pour les placer en fonds en euros, puis j’ai exploré les unités de compte avec l’aide d’un conseiller.”
La perte d’attrait n’est pas uniquement économique : elle est aussi culturelle. Une génération plus informée, habituée à comparer les offres en ligne et à consulter des plateformes d’éducation financière, cherche à optimiser chaque euro placé. Les livrets, bien qu’utiles pour la trésorerie courante, ne répondent plus aux attentes de performance à long terme.
Les unités de compte : une montée en puissance malgré les risques
Un autre phénomène marquant est la progression des unités de compte (UC), qui ont enregistré une hausse de 8 % des versements en mars. Contrairement aux fonds en euros, qui investissent principalement en obligations et garantissent le capital, les UC permettent d’investir en actions, en immobilier coté, en fonds alternatifs ou en produits structurés. Leur rendement est potentiellement plus élevé, mais accompagné d’un risque de perte en capital.
“Les épargnants sont de plus en plus conscients que la sécurité absolue a un coût : la stagnation”, observe Philippe Crevel. “Beaucoup acceptent désormais de prendre un peu de risque, à condition de bien comprendre où va leur argent.”
Le profil type de l’investisseur en UC évolue. Autrefois réservé aux profils expérimentés, ce type de placement attire désormais des ménages plus larges. C’est le cas de Léa Ferrand, 38 ans, cadre dans une entreprise de logistique, qui a récemment alloué 30 % de son assurance-vie aux UC. “Je n’ai pas fait fortune en bourse, mais j’ai appris à diversifier. J’ai choisi des fonds actions européens, un peu d’immobilier REIT, et un fonds vert. C’est risqué, mais j’ai un horizon de 10 à 15 ans, donc je peux absorber les fluctuations.”
Les assureurs ont d’ailleurs adapté leur offre : produits structurés à capital partiellement protégé, fonds thématiques (transition énergétique, santé, numérique), ou encore accès simplifié aux ETF. Ces innovations rassurent les nouveaux investisseurs tout en offrant des perspectives de performance.
Les fonds en euros, toujours plébiscités mais en recul
Malgré la montée des UC, les fonds en euros restent un pilier de l’assurance-vie. Ils ont collecté 11,2 milliards d’euros en mars, mais leur part relative diminue : les versements ont baissé de 4 % par rapport au mois précédent. Leur principal atout ? La garantie du capital, un critère essentiel pour les épargnants prudents, les seniors ou ceux qui préparent un projet à moyen terme (retraite, transmission, achat immobilier).
“Les fonds en euros ne sont pas démodés, ils ont simplement perdu de leur monopole”, précise Philippe Crevel. “Ils restent un excellent outil de stabilité dans un portefeuille, mais ils ne doivent plus être le seul placement.”
Le cas d’Émilie Vasseur, retraitée dans le Sud-Ouest, illustre cette fidélité prudente. “J’ai 80 % de mon assurance-vie en fonds en euros. Je ne cherche pas à gagner gros, je veux juste que mon argent soit en sécurité pour mes petits-enfants.”
Comment repenser sa stratégie d’épargne aujourd’hui ?
Face à ces évolutions, la clé réside dans la personnalisation. Il n’existe plus de solution unique. Chaque épargnant doit évaluer son profil : appétence au risque, horizon de placement, objectifs financiers (retraite, transmission, projet immobilier, etc.).
Philippe Crevel insiste sur l’importance de la diversification : “Un portefeuille équilibré aujourd’hui, c’est un mélange judicieux entre sécurité et potentiel de croissance. On peut avoir 70 % en fonds en euros et 30 % en UC, ou l’inverse selon son profil. L’essentiel est de ne pas tout miser sur un seul type de placement.”
La fiscalité joue également un rôle central. L’assurance-vie bénéficie d’un régime favorable après huit ans, avec un abattement de 152 500 euros sur les bénéfices et un taux d’imposition plafonné à 30 %. Ce levier incite à la longévité du placement, en particulier pour la transmission. “J’ai ouvert un contrat pour mes deux enfants il y a dix ans”, raconte Samuel Kaboré, entrepreneur en région lyonnaise. “Ils ne toucheront rien avant leurs 30 ans, mais ils auront un socle solide. C’est ma manière de leur transmettre de la valeur sans passer par la case donation immédiate.”
Quels placements choisir selon son profil ?
Les choix d’investissement doivent être alignés sur le profil de chaque épargnant. Pour les profils prudents, les fonds en euros et les OPCVM monétaires restent pertinents. Pour les profils dynamiques, les UC offrent des opportunités, notamment via des fonds thématiques ou des ETF bien sélectionnés. Les profils intermédiaires peuvent opter pour des contrats dits “équilibrés”, intégrant des fonds diversifiés ou des produits structurés à capital garanti partiellement.
Il est également crucial de ne pas négliger la trésorerie. Garder une partie de son épargne liquide, sur un compte courant ou un livret à taux rémunéré (comme certains livrets bancaires à 3 %), permet de faire face aux imprévus sans toucher aux placements longs.
Quel avenir pour l’épargne des Français ?
Les tendances actuelles laissent présager une évolution durable. Si les taux des livrets réglementés continuent de baisser – ce que redoutent plusieurs économistes en cas de nouvelle baisse des taux directeurs –, l’assurance-vie devrait renforcer sa position de placement phare. La montée des UC pourrait s’accélérer, surtout si les marchés actions se stabilisent et que les rendements obligataires restent faibles.
Le défi pour les années à venir sera d’accompagner les épargnants dans cette transition. “Il faut plus de pédagogie, moins de jargon”, plaide Philippe Crevel. “Les gens veulent comprendre, pas se faire vendre un produit.”
Les banques, les assureurs et les plateformes digitales ont un rôle clé à jouer. Proposer des outils clairs, des simulations personnalisées, et un accompagnement humain ou digital pertinent permettra de transformer cette vague d’épargne vers des placements plus adaptés, plus performants, et surtout, plus alignés avec les besoins réels des Français.
A retenir
Quelle est la raison principale du regain d’intérêt pour l’assurance-vie ?
La baisse des taux d’intérêt sur les livrets réglementés, notamment le livret A, le LDDS et le LEP, a poussé les épargnants à chercher des alternatives plus rentables. L’assurance-vie, grâce à sa fiscalité avantageuse et sa capacité à offrir des rendements supérieurs, s’impose comme une solution de remplacement stratégique.
Les unités de compte sont-elles risquées ?
Oui, les unités de compte comportent un risque de perte en capital, car elles investissent sur des marchés financiers volatils comme les actions ou l’immobilier coté. Cependant, sur le long terme, elles offrent un potentiel de rendement supérieur aux fonds en euros. Leur intégration dans un portefeuille diversifié permet de concilier prudence et ambition.
Les fonds en euros sont-ils encore pertinents ?
Absolument. Les fonds en euros restent une valeur refuge pour les épargnants soucieux de préserver leur capital. Ils sont particulièrement adaptés aux objectifs de moyen terme ou aux profils prudents. Leur rendement, bien que modeste, reste attractif dans un contexte de taux bas, surtout quand ils sont combinés à une fiscalité favorable.
Faut-il sortir tout son argent du livret A ?
Non, il n’est pas nécessaire de tout retirer. Le livret A garde toute sa place pour l’épargne de précaution, grâce à sa liquidité et sa garantie. En revanche, il est judicieux de ne pas y concentrer l’ensemble de son épargne. Une partie peut être transférée vers des placements plus dynamiques, selon son profil et ses objectifs.
Comment bien choisir son contrat d’assurance-vie ?
Le choix doit se faire en fonction de plusieurs critères : la qualité des fonds en euros (rendement, stabilité), la variété et la performance des unités de compte, les frais de gestion, la flexibilité du contrat, et le niveau d’accompagnement proposé. Un comparatif indépendant ou un entretien avec un conseiller neutre peut aider à faire le bon choix.