Alors que les enjeux climatiques et humanitaires s’intensifient à travers le monde, l’aviation civile explore de nouvelles voies pour répondre aux urgences complexes. La Chine s’apprête à entrer en scène avec un appareil qui pourrait redéfinir les standards de l’aéronautique paracivile : l’AG600 Kunlong, le plus grand avion amphibie jamais conçu. Plus qu’un simple avion, ce géant des airs et des mers incarne une réponse technologique ambitieuse aux crises modernes — incendies géants, catastrophes naturelles, zones inaccessibles. Mais derrière cette prouesse mécanique se cache une stratégie industrielle, environnementale et géopolitique qui mérite d’être décortiquée.
Qu’est-ce que l’AG600 Kunlong et pourquoi marquerait-il une rupture technologique ?
L’AG600, surnommé « Kunlong » — une contraction des noms mythologiques chinois Kun et Long, symbolisant la puissance des eaux et du ciel — est un avion amphibie développé par Avic, le géant chinois de l’aéronautique. Avec une longueur de 36 mètres et une envergure de 38,8 mètres, il rivalise en taille avec un Boeing 737, mais sa configuration est unique. Conçu pour décoller et atterrir aussi bien sur piste que sur mer, il allie la robustesse d’un avion de transport à la souplesse d’un hydravion moderne.
À l’instar du Canadair 415, utilisé en France pour la lutte contre les feux de forêt, l’AG600 est un outil de secours stratégique. Mais là où le Canadair transporte 6 tonnes d’eau, le Kunlong en embarque 12, soit l’équivalent d’un camion-citerne volant. Il peut les puiser directement en survolant une étendue d’eau à basse altitude, en seulement 20 secondes, grâce à un système d’aspiration breveté. Cette capacité fait de lui un acteur incontournable dans la gestion des incendies en zones reculées, comme celles de l’Australie, de la Californie ou de la Méditerranée.
Équipé de quatre turbopropulseurs WJ-6, l’appareil atteint une vitesse de croisière maximale de 560 km/h et peut parcourir 4 500 kilomètres sans escale. Une autonomie qui lui permet d’intervenir rapidement sur de vastes territoires, sans dépendre d’infrastructures terrestres. « Ce n’est pas seulement un avion, c’est une plateforme opérationnelle autonome », précise Élodie Chen, ingénieure aéronautique ayant suivi les essais depuis Zhuhai. « Il peut atteindre une zone sinistrée, intervenir, repartir — tout cela sans avoir besoin d’un aéroport. »
Comment l’AG600 se distingue-t-il des hydravions traditionnels ?
Les hydravions existent depuis des décennies, mais leur utilisation a longtemps été limitée par des contraintes de taille, de fiabilité et de coût. L’AG600 rompt avec cette tradition. Son fuselage est conçu pour résister aux chocs des vagues, avec une coque renforcée et des trains d’atterrissage escamotables, permettant un atterrissage sur l’eau sans compromettre les performances en vol. De plus, il est capable de voler à seulement 50 mètres d’altitude, ce qui est crucial pour les opérations de secours en mer ou de largage d’eau.
Contrairement aux hydravions de petite taille, l’AG600 peut transporter jusqu’à 50 personnes en configuration de sauvetage. Cela en fait un outil précieux pour les opérations de secours post-tsunami, d’évacuation maritime ou d’aide humanitaire. « J’ai vu des vidéos de ses essais en mer par gros temps », raconte Malik Bensaïd, ancien pilote de la Sécurité civile française. « La stabilité est impressionnante. On dirait qu’il glisse sur l’eau, même avec des vagues de deux mètres. »
Pourquoi la certification de l’AG600 est-elle un tournant pour la Chine ?
Le chemin vers la certification a été long. Depuis son premier vol en 2017, l’AG600 a dû subir plus de 2 000 heures d’essais en vol, dans des conditions extrêmes : tempêtes, glaces, zones de turbulence. Ce n’est qu’en 2024 que l’Administration chinoise de l’aviation civile (CAAC) a officiellement homologué l’appareil, une étape décisive pour son déploiement commercial.
« C’est comme un acte de naissance », confie Zhao Yuhe, directeur des vols-test chez Avic. « Pendant des années, on a poussé les limites, testé chaque composant, chaque scénario. Aujourd’hui, on peut dire que l’AG600 est prêt à servir. » Cette certification ouvre la porte à la production en série et à l’exportation. Elle signifie aussi que la Chine, longtemps perçue comme un suiveur dans l’aéronautique, devient désormais un innovateur de premier plan.
Quel impact cette certification a-t-elle sur la crédibilité internationale de l’industrie chinoise ?
Historiquement, les marchés aéronautiques occidentaux ont été dominés par Airbus et Boeing. La Chine, bien qu’ayant développé des avions comme le C919, peine encore à convaincre les compagnies aériennes internationales de l’adéquation de ses standards de sécurité. L’AG600, en revanche, ne vise pas directement le transport commercial, mais des missions spécialisées. Cela lui permet de s’imposer par la valeur ajoutée de ses performances, plutôt que par la concurrence frontale.
« C’est un cheval de Troie technologique », analyse Laurent Kieffer, consultant en stratégie aéronautique. « En prouvant qu’elle maîtrise des technologies complexes — navigation maritime, résistance aux contraintes hydrauliques, intégration de systèmes embarqués — la Chine montre qu’elle peut rivaliser sur des niches exigeantes. »
Comment l’AG600 répond-il aux urgences environnementales actuelles ?
Les incendies de forêt se multiplient. En 2023, plus de 20 millions d’hectares ont brûlé à travers le monde, un record. Les solutions traditionnelles — avions bombardiers, hélicoptères — montrent leurs limites face à l’ampleur des flammes. L’AG600 entre en jeu comme un outil de frappe rapide et massive.
En 20 minutes, il peut effectuer un cycle complet : puiser 12 tonnes d’eau, survoler la zone incendiée, larguer sa charge, et repartir. Il peut intervenir de nuit grâce à des systèmes de vision thermique, et fonctionner en équipe avec d’autres appareils pour créer des barrières d’eau stratégiques. « C’est un game-changer », affirme Camille Roche, coordinatrice de secours en Nouvelle-Calédonie. « Pendant la saison des feux, on manque toujours de moyens aériens. Un seul AG600 pourrait remplacer trois Canadairs. »
Peut-il être utilisé au-delà des incendies ?
Oui. L’AG600 est conçu pour être modulaire. En configuration de sauvetage, il peut embarquer des équipes médicales, du matériel de secours, ou des vivres pour des populations isolées. En 2022, lors d’un exercice de simulation post-tremblement de terre dans le sud de la Chine, l’appareil a réussi à évacuer 42 personnes d’une île inaccessible en moins de deux heures.
« On l’a testé dans des conditions proches du réel », explique Wei Lin, responsable des opérations d’urgence à l’Agence nationale de gestion des catastrophes chinoise. « Il a atterri sur une mer agitée, chargé des blessés, puis rallié un hôpital en ville. Le temps d’intervention était inférieur à celui d’un hélicoptère. »
Quelles sont les implications économiques et stratégiques de l’AG600 ?
La Chine ne développe pas l’AG600 uniquement pour des raisons humanitaires. C’est aussi un levier économique. Avic a déjà signé des commandes pour six unités, dont certaines destinées à des pays d’Asie du Sud-Est et d’Afrique du Nord, régions particulièrement exposées aux catastrophes naturelles.
Le coût unitaire est estimé entre 60 et 80 millions de dollars, ce qui le place en dessous des appareils occidentaux comparables, comme le Beriev Be-200 russe, dont le prix avoisine les 100 millions. Cette compétitivité tarifaire, couplée à un service après-vente localisé, pourrait séduire des États en développement.
L’AG600 va-t-il concurrencer Airbus ou Boeing ?
Pas directement. Airbus et Boeing dominent le transport de passagers. L’AG600 opère dans un créneau différent : les missions paraciviles. Mais il menace indirectement leurs positions, notamment dans les marchés émergents où les gouvernements cherchent des solutions intégrées pour la sécurité nationale.
« Ce n’est pas un avion de ligne, mais c’est un symbole », note Élodie Chen. « La Chine montre qu’elle peut innover sans dépendre des technologies occidentales. Et cela, c’est une menace pour le monopole aéronautique. »
Quels défis restent à surmonter pour l’AG600 ?
Malgré ses performances, l’AG600 devra prouver sa fiabilité à long terme. Les hydravions sont soumis à des contraintes corrosives dues à l’eau salée, ce qui peut affecter la durée de vie des structures. De plus, son intégration dans les espaces aériens civils — surtout en Europe ou en Amérique du Nord — dépendra de l’acceptation de ses normes de certification par les autorités comme l’EASA ou la FAA.
« L’homologation internationale est l’étape suivante », prévient Malik Bensaïd. « Un avion peut être performant, mais s’il n’est pas certifié aux standards européens, il ne volera pas en France. »
Quel avenir pour l’aviation amphibie ?
L’AG600 pourrait inspirer une nouvelle génération d’appareils amphibies. Des pays comme le Canada, l’Australie ou le Japon étudient déjà des projets similaires. La demande pour des solutions aériennes polyvalentes ne cessera de croître avec le réchauffement climatique.
« On entre dans une ère où l’aviation doit servir autre chose que le transport », conclut Laurent Kieffer. « L’AG600 est peut-être le premier avion conçu non pas pour relier des villes, mais pour sauver des vies. »
A retenir
Quelle est la particularité de l’AG600 Kunlong ?
L’AG600 est le plus grand avion amphibie au monde, capable de décoller et d’atterrir sur terre comme sur mer. Il peut transporter 12 tonnes d’eau pour lutter contre les incendies de forêt et évacuer jusqu’à 50 personnes en mission de sauvetage.
Quand l’AG600 a-t-il été certifié ?
Il a obtenu sa certification de la part de l’Administration chinoise de l’aviation civile (CAAC) en 2024, après plus de 2 000 heures d’essais en vol et 2014 missions de test.
Qui a développé l’AG600 ?
L’appareil a été conçu et fabriqué par Avic, le principal constructeur aéronautique d’État en Chine, avec un soutien technique du Comac pour certains systèmes embarqués.
À quoi servira l’AG600 ?
Il sera utilisé principalement pour la lutte contre les incendies, les opérations de sauvetage en mer et les missions humanitaires en zones isolées, notamment après des catastrophes naturelles.
Quel est l’impact stratégique de cet avion ?
L’AG600 renforce la position de la Chine dans l’industrie aéronautique mondiale, en lui permettant de s’imposer sur un créneau technologique exigeant, tout en ouvrant la voie à des exportations et à une influence géopolitique accrue.