Ce prêtre bénit chiens, chats et poules en Sarthe — une tradition surprenante qui touche les habitants

Parfois, un simple rayon de soleil suffit à transformer une journée ordinaire en moment d’exception. C’est exactement ce qu’a ressenti la petite foule rassemblée ce samedi 4 octobre 2025, à La Flèche, dans la Sarthe, alors que les nuages gris d’un matin d’automne cédaient soudainement la place à un ciel d’un bleu éclatant. Ce jour-là, la fête de saint François d’Assise tombait non seulement juste après une averse, mais aussi juste avant un événement inattendu : un prêtre sur un vélo, pédalant joyeusement au milieu des rues, avec pour seul but d’inviter chacun à franchir le seuil d’une église ouverte à tous. Loin des sermons solennels et des rituels figés, ce geste simple, presque enfantin, a résonné comme un appel sincère à une spiritualité accessible, humble et vivante. Rencontre avec un homme qui croit que l’Église n’a pas besoin de murs pour toucher les cœurs.

Qui est le père Christian du Halgouët ?

Originaire d’une famille bretonne aux racines profondément ancrées dans la tradition catholique, le père Christian du Halgouët a toujours été marqué par une foi à la fois exigeante et chaleureuse. Ordonné prêtre il y a plus de trente ans, il a servi dans plusieurs paroisses rurales avant d’être nommé à La Flèche en 2018. Très vite, il s’est distingué par son approche décalée : pas de soutane rigide, mais une veste en tweed, des bottes de marche, et surtout, une prédilection pour les moyens de transport atypiques. Quand j’ai vu qu’il arrivait en vélo à la messe de Pâques, j’ai cru à une blague , raconte Élodie Ricard, habitante du quartier Saint-Jean. Mais non. Il disait que Jésus marchait partout, alors pourquoi pas moi à vélo ?

Pour le père Christian, la proximité est une forme de mission. Il refuse que l’église devienne un musée de la foi, un lieu réservé aux seuls fidèles réguliers. Il y a des gens qui ont souffert de l’Église, qui ont été blessés par des jugements, des silences, des dogmes mal compris , confie-t-il. Moi, je veux qu’ils sachent qu’ici, on ne leur demande rien, sauf d’être eux-mêmes.

Pourquoi pédaler pour une église ouverte à tous ?

Le 4 octobre, jour de la fête de saint François d’Assise, est traditionnellement consacré à la fraternité, à la simplicité et à la protection de la création. Pour le père Christian, ce n’est pas un hasard si ce saint, souvent représenté avec des oiseaux ou pieds nus sur les chemins, incarne une spiritualité proche des humbles. François n’avait pas de bureau, pas de planning serré. Il parlait aux gens dans les champs, dans les rues, aux marginaux. Moi, j’ai un vélo. C’est mon champ.

Ce matin-là, malgré la pluie battante, il décide de partir en tournée. Equipé d’un petit porte-voix, d’un panier rempli de tracts invitant à une messe festive, et d’un sourire inébranlable, il sillonne les rues de La Flèche. Je passais devant chez moi, j’étais en train d’éplucher des pommes de terre, et je l’ai vu passer, tout trempé, en criant “L’église est ouverte ! Venez comme vous êtes !” , témoigne Marianne Le Guen, 68 ans, retraitée. J’ai posé mon couteau, j’ai enfilé un manteau, et je l’ai suivi. Je n’étais pas entrée dans une église depuis la mort de mon mari. Mais ce jour-là… quelque chose m’a poussée.

Le geste du père Christian n’est pas seulement symbolique. Il s’inscrit dans un projet plus vaste : ouvrir l’église Saint-Louis non seulement aux horaires de messe, mais comme un lieu de vie, d’échange, de silence. Des ateliers de méditation, des concerts de guitare acoustique, des permanences d’écoute y sont désormais proposés. On ne vient pas forcément pour prier, mais pour respirer , explique-t-il. Et parfois, respirer, c’est déjà un acte spirituel.

Comment transformer une paroisse en espace d’accueil ?

Transformer une église en lieu d’ouverture, ce n’est pas seulement changer les horaires ou organiser des événements. C’est une mutation culturelle. Au début, certains m’ont regardé de travers , admet le père Christian. Pour eux, un prêtre, c’est quelqu’un qui reste dans son presbytère, qui dit la messe, et qui ne fait pas de vagues. Moi, je fais des vagues.

Pour convaincre, il a d’abord fallu écouter. Il a rencontré les anciens, les jeunes, les indifférents, les croyants en colère. Avec chacun, des conversations simples, sans arrière-pensée. Je ne voulais pas imposer une vision, mais comprendre ce que l’église représentait pour eux. Parfois, c’était un souvenir d’enfance, parfois une douleur.

Il a ensuite lancé des initiatives concrètes : une bibliothèque ouverte à tous, un café solidaire où l’on paie ce que l’on peut, des ateliers d’écriture sur la gratitude. On a même accueilli une exposition de photos sur les sans-abri , raconte Thomas Véron, bénévole de l’association “La Porte Ouverte”. Des gens sont venus, ont vu les visages, lu les témoignages. Certains pleuraient. D’autres disaient : “Je ne savais pas qu’on pouvait faire ça ici.”

L’église n’est plus seulement un lieu de culte, mais un carrefour. Un endroit où l’on peut croiser un prêtre en vélo, un adolescent en skateboard, un retraité en train de tricoter, ou une famille qui vient simplement se réchauffer. Ce n’est pas moi qui ai changé l’église, corrige le père Christian. Ce sont tous ceux qui ont osé franchir la porte, malgré leurs doutes, malgré leurs peurs. Eux, ils l’ont rendue vivante.

Quel impact sur la communauté locale ?

Les effets de cette démarche se sont fait sentir progressivement. Les messes ne sont pas devenues bondées, mais elles ont changé d’atmosphère. Avant, on était une trentaine, souvent les mêmes têtes , note Solène Mével, organiste de la paroisse. Maintenant, il y a des gens qui entrent, restent dix minutes, repartent. D’autres qui viennent pour le chant, pas pour la foi. Et c’est bien. La musique, elle, ne juge personne.

Des liens se sont tissés. Un homme sans emploi a trouvé un job grâce à un réseau formé dans l’église. Une jeune femme en dépression a été accompagnée par un groupe de prière informel. Je ne croyais plus en rien , confie Clémence Arnaud, 34 ans. Mais ici, personne ne m’a dit “prie plus fort”. On m’a juste écoutée. Et petit à petit, j’ai senti que je pouvais à nouveau respirer.

Le père Christian insiste : il ne s’agit pas de créer une nouvelle secte ou un mouvement à la mode. Je ne veux pas de disciples. Je veux des passants. Des curieux. Des blessés. Des rieurs. Des silencieux.

La foi peut-elle se vivre autrement qu’à l’intérieur d’un édifice religieux ?

La question traverse toute cette aventure. Pour le père Christian, la réponse est claire : oui, et même, elle doit souvent se vivre ailleurs. Dieu n’habite pas dans les pierres, mais dans les rencontres.

Il cite souvent une phrase de saint Augustin : Tu as fait notre cœur pour toi, Seigneur, et il est sans repos tant qu’il ne repose en toi. Mais pour lui, ce repos ne se trouve pas nécessairement au fond d’une nef. Parfois, il est sur un vélo, sous la pluie, en train de rire avec un voisin. Parfois, il est dans une main tendue, dans un regard qui ne juge pas.

C’est cette vision qu’il essaie de transmettre, sans prosélytisme, sans pression. Je ne veux pas convertir, je veux réconcilier. Avec soi, avec les autres, avec ce qu’on appelle Dieu, ou le sens, ou la beauté, peu importe le nom.

Quelles leçons tirer de cette initiative ?

L’expérience de La Flèche n’est pas unique, mais elle est rare. Dans un contexte de désaffection croissante envers les institutions religieuses, elle montre qu’une autre voie est possible : humble, incarnée, joyeuse. Ce n’est pas un modèle qu’on peut copier-coller , tempère le père Christian. Chaque paroisse, chaque ville, chaque prêtre a sa manière. Mais une chose est sûre : si on veut que les gens reviennent, il faut aller vers eux. Pas les attendre.

Il pense en particulier aux jeunes, souvent absents des églises. Ils ne cherchent pas des discours parfaits. Ils cherchent de l’authenticité. De la bienveillance. Des gestes simples.

Et si l’avenir de la foi passait par des vélos sous la pluie, des rires dans les allées, des mains tendues sans arrière-pensée ?

Quel avenir pour ce type de paroisse ?

Le père Christian ne se voit pas comme un pionnier, mais comme un passeur. Je ne resterai pas ici éternellement. Un jour, je partirai, ou je prendrai ma retraite. Ce qui compte, c’est que cette manière d’être église survive.

Il travaille donc à former des laïcs, à décentraliser les initiatives, à laisser de la place à l’imprévu. L’église ne doit pas dépendre d’un seul homme. Elle doit être un lieu où chacun peut s’exprimer, proposer, essayer. Même si ça rate.

Des jeunes du quartier ont déjà commencé à organiser des veillées musicales. Un groupe de femmes a lancé un atelier de jardinage sur un terrain adjacent à l’église. On fait pousser des légumes, mais aussi des idées , plaisante Aurore Fanchon, l’une des animatrices. Et puis, quand on creuse la terre, on creuse aussi en soi.

A retenir

Quel est le sens du geste du père Christian du Halgouët ?

Ce geste symbolise une volonté de rendre l’Église accessible, proche et humaine. En pédalant sous la pluie pour inviter les gens, le père Christian incarne une spiritualité de proximité, qui va vers les autres sans attendre qu’ils franchissent le seuil d’un lieu sacré.

L’ouverture de l’église à tous concerne-t-elle aussi les non-croyants ?

Oui, c’est même l’un des principes fondamentaux de cette démarche. L’église Saint-Louis à La Flèche accueille tout le monde, indépendamment de ses croyances, comme un espace de paix, d’écoute et de rencontre.

Le vélo est-il devenu un outil de mission ?

Pour le père Christian, le vélo est bien plus qu’un moyen de transport : c’est un symbole de simplicité, de respect de la création, et un pont vers les habitants. Il permet des échanges spontanés, des sourires, des conversations de rue.

Cette initiative a-t-elle inspiré d’autres paroisses ?

Plusieurs prêtres d’alors ont pris contact avec le père Christian pour s’inspirer de son approche. Des échanges ont lieu entre paroisses, notamment dans les régions Pays de la Loire et Bretagne, pour partager des expériences similaires d’ouverture et d’incarnation.

Peut-on concilier tradition et innovation dans l’Église ?

Oui, selon le père Christian. La tradition n’est pas un musée, mais une source. En s’appuyant sur les valeurs profondes du christianisme — accueil, compassion, fraternité —, on peut inventer de nouvelles formes, adaptées à notre temps, sans trahir l’essentiel.

Le 4 octobre 2025, le soleil a fini par percer. Et dans les rues de La Flèche, un prêtre en vélo a semé bien plus que des sourires. Il a semé l’espérance qu’une autre Église est possible : ouverte, vivante, humaine.