Benoît Duquesne, une voix du journalisme disparue en 2025, dont l’héritage vit à travers sa fille Marie à Nice

Quand une voix disparaît, il reste parfois plus que le silence. Elle laisse derrière elle un sillage fait de principes, de regards croisés, de questions posées sans complaisance. C’est ce que l’on ressent en repensant à Benoît Duquesne, journaliste exigeant, homme discret, figure emblématique du service public. Sa mort, survenue le 4 juillet 2014, a frappé le monde de l’information comme un coup sourd. Mais loin des effets spectaculaires, c’est dans la continuité que son héritage se perpétue – notamment à travers le travail de sa fille, Marie Duquesne, qui, à sa manière, incarne une transmission fidèle et silencieuse.

Qui était Benoît Duquesne, au-delà de l’écran ?

Benoît Duquesne n’était pas de ceux qui cherchent la lumière pour elle-même. Il la cherchait pour éclairer. Depuis ses débuts à France Télévisions, il a incarné une forme de journalisme rare : rigoureux sans être rigide, curieux sans être voyeur, présent sans jamais s’imposer. Entre 1995 et 2001, il a assuré les remplacements aux journaux télévisés de 13 heures et de 20 heures, devenant une figure familière du foyer français. Mais c’est à partir de 2008, à la tête de *Complément d’enquête*, qu’il a trouvé sa pleine dimension.

L’émission, exigeante, documentée, souvent critique, lui allait comme un gant. Il n’y cherchait pas l’audimat tapageur, mais la vérité bien tassée, celle qui résiste à l’épreuve du temps. Son style ? Une sobriété élégante. Il posait les questions comme on tend une main : ferme, mais sans agressivité. Il écoutait, réellement. Et quand il relançait, c’était avec une précision chirurgicale, jamais pour humilier, toujours pour comprendre.

Quel fut son dernier face-à-face ?

Son dernier enregistrement, le 3 juillet 2014, a eu lieu dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, sous les arbres centenaires d’un square proche des cafés mythiques. Ce jour-là, il reçoit Bernard-Henri Lévy, philosophe habitué des plateaux, mais peu enclin aux émissions de fond. Pourtant, BHL accepte. « Je fais confiance à Benoît Duquesne », dira-t-il plus tard. « Parce qu’il ne joue pas. Parce qu’il sait de quoi il parle. »

L’entretien est tendu, intellectuellement dense. Les deux hommes s’affrontent sans se déchirer, comme deux boxeurs qui respectent la règle du jeu. Duquesne, en chemise claire, sourit parfois, mais ne lâche rien. Il cite des documents, relève des contradictions, pousse l’invité à clarifier ses positions. Pas de place pour la langue de bois. À la fin, BHL serre la main du journaliste avec une chaleur inhabituelle. « C’était un vrai échange », murmure-t-il à un technicien. « Pas un spectacle. »

Ce face-à-face, diffusé quelques jours plus tard, devient un testament. Un ultime exemple de ce journalisme d’engagement, où l’intelligence tient lieu d’artifice.

Comment s’est produite sa disparition ?

Le lendemain, vendredi 4 juillet, Benoît Duquesne est retrouvé sans vie sur sa péniche, amarrée à l’Île-Saint-Denis, sur la Seine. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. France 2 confirme : crise cardiaque. Personne ne s’y attendait. Âgé de 56 ans, il semblait en pleine forme. Robuste, sportif, toujours en mouvement. Yvan Martinet, son collègue et ami, témoigne : « On avait bu un café la veille. Il parlait d’un nouveau sujet sur les hôpitaux publics. Rien, absolument rien, n’indiquait un malaise. »

La rédaction de France Télévisions est sous le choc. Les hommages affluent. François Hollande, alors président de la République, rend un hommage appuyé : « Benoît Duquesne incarnait la liberté d’informer avec sérieux et humilité. » Manuel Valls, Premier ministre, évoque « un grand journaliste, passionné de démocratie, attaché à la vérité ». Les confrères, eux, parlent d’un vide. Gilles Bouleau, qui l’a côtoyé pendant des années, dit simplement : « Il n’y avait pas de place pour la tricherie avec lui. Ni dans le métier, ni dans la vie. »

Où s’est déroulée la cérémonie en sa mémoire ?

Le 10 juillet 2014, l’église Jeanne-d’Arc de Versailles accueille une foule dense. Collègues, amis, personnalités du monde politique et médiatique. Jean-Pierre Elkabbach, Laurent Delahousse, David Pujadas sont présents. Mais le cœur de la cérémonie, c’est la famille. Élisabeth, son épouse, entourée de leurs enfants : Pierre, Marie, Mélanie et Mathilde. Aucun discours grandiloquent. Des mots simples, des souvenirs intimes. Une collègue de *Complément d’enquête* raconte : « Il arrivait toujours en avance, avec ses fiches noircies. Il relisait les rushes la veille, parfois deux fois. Il ne voulait jamais trahir le téléspectateur. »

La cérémonie se termine dans un silence respectueux. Pas de standing ovation, pas de larmes spectaculaires. Une dignité à l’image de l’homme.

Comment Marie Duquesne perpétue-t-elle l’héritage paternel ?

Marie Duquesne n’a jamais cherché à marcher dans les pas de son père. Elle a plutôt choisi de marcher à ses côtés, même après son départ. Journaliste à BFMTV, elle a d’abord couvert l’actualité sur le terrain. En août 2018, elle est sur place dans le Gard après des inondations meurtrières. Elle filme l’évacuation d’un camping, parle aux familles, aux sauveteurs. « Ce n’est pas un reportage, c’est une présence », dira-t-elle plus tard. « Mon père m’a appris ça : être là, d’abord. »

Aujourd’hui secrétaire générale de la rédaction de BFMTV Nice, elle coordonne les sujets, encadre les équipes, veille à la qualité des informations. En mai dernier, elle intervient devant des étudiants de l’École des Journalistes de Nice (EDJ). Pas de grandes phrases. Elle parle méthode : « Préparer, vérifier, relire. Écouter plus que parler. Ne jamais confondre vitesse et précipitation. »

Un étudiant lui demande si le poids du nom la gêne. Elle sourit. « Non. C’est un devoir, pas un fardeau. Mon père n’a jamais brandi ses diplômes. Il a toujours fait son travail, simplement. C’est ce que j’essaie de faire. »

Quelles valeurs du service public perdurent dans son travail ?

Marie Duquesne travaille pour une chaîne privée, mais son approche reste imprégnée de l’éthique du service public. « Ce n’est pas une question de statut, c’est une question de responsabilité », explique-t-elle. « Le public a droit à la vérité, peu importe la case horaire ou la chaîne. »

Elle insiste sur le terrain, sur la vérification, sur le respect des sources comme des téléspectateurs. « Mon père disait souvent : “On n’a pas besoin de dramatiser pour être juste.” Je pense à ça chaque fois que je monte un sujet. »

Un collègue de la rédaction de Nice, Thomas Ravel, témoigne : « Marie n’élève jamais la voix. Mais quand elle dit “ce sujet n’est pas prêt”, on sait qu’il faut tout reprendre. Elle a cette exigence tranquille, comme son père. »

Quel est l’impact durable de Benoît Duquesne sur le journalisme d’aujourd’hui ?

Benoît Duquesne n’a pas laissé derrière lui un empire médiatique ni une école de pensée officielle. Mais il a laissé une empreinte. Celle d’un journalisme qui ne se contente pas de raconter, mais de comprendre. D’un homme qui refusait les raccourcis, les effets d’annonce, les postures. « Il n’était pas “influenceur” avant l’heure », ironise parfois Jean-Pierre Elkabbach. « Il était journaliste. Point. »

Dans un paysage médiatique de plus en plus brouillé, où le buzz prime parfois sur le fond, sa figure revient comme un repère. Pas comme un modèle figé, mais comme une boussole. « Il nous rappelle que l’information n’est pas un produit », dit Laurence Ferrari. « C’est une responsabilité. »

Quel souvenir gardez-vous de Benoît Duquesne ?

Un souvenir, c’est celui d’un homme qui, après un enregistrement difficile, allait s’asseoir sur un banc, seul, avec un cahier. Il notait. Il réfléchissait. Il ne partait jamais sans avoir digéré ce qui venait de se dire. C’était sa manière de rester fidèle : à ses interlocuteurs, à ses convictions, à son métier.

Que dit la postérité de ce journalisme exigeant ?

La postérité, c’est aussi cette transmission silencieuse. Marie Duquesne ne parle pas souvent de son père en public. Mais chaque reportage, chaque décision éditoriale, chaque regard posé sur un sujet en dit long. Ce n’est pas une imitation. C’est une continuité. Une manière de croire que l’information peut encore être un acte de respect.

Conclusion

Benoît Duquesne n’a pas laissé de manifeste. Il n’en avait pas besoin. Son œuvre, c’est une manière d’être : attentive, scrupuleuse, humaine. Il a fait du journalisme un acte de service, pas de spectacle. Et aujourd’hui, à travers ceux qu’il a inspirés, à commencer par sa fille, cette exigence continue de vivre. Pas en grandes déclarations, mais dans les faits. Dans les choix du terrain. Dans la rigueur du montage. Dans la politesse ferme d’un micro tendu. La voix s’est tue. Mais le regard, lui, ne cesse de nous interroger.

A retenir

Quelle était la particularité du style de Benoît Duquesne ?

Son style se caractérisait par une rigueur intellectuelle constante, une écoute authentique et une absence totale de posture. Il privilégiait le fond, la précision des faits et le respect du contradicteur, sans jamais chercher à dominer l’échange.

Pourquoi son dernier entretien avec BHL est-il symbolique ?

Parce qu’il incarne à la perfection sa méthode : un échange dense, préparé, sans concession mais courtois. BHL, peu enclin aux émissions d’investigation, a accepté par respect pour Duquesne, soulignant la sincérité et l’intégrité de son approche.

Comment la profession a-t-elle réagi à sa disparition ?

La réaction a été unanime : stupéfaction et émotion. Confrères et personnalités politiques ont salué un journaliste intègre, attaché au service public et à la vérité, dont la disparition a laissé un vide difficile à combler.

Marie Duquesne suit-elle la même voie que son père ?

Oui, dans l’esprit. Elle travaille dans l’actualité en direct, mais avec les mêmes principes : préparation minutieuse, vérification des faits, respect des sujets et des personnes. Elle incarne une transmission éthique, plus que stylistique.

Quel est le legs de Benoît Duquesne pour le journalisme français ?

Il a redonné du sens à l’exigence journalistique dans un temps de rapidité et de surenchère. Son legs est celui d’un journalisme sobre, profond, humain – un rappel permanent que l’information est d’abord une responsabilité.