Savor fabrique du beurre à partir de CO2 : révolution alimentaire en 2025

Alors que le monde cherche désespérément des solutions pour réduire son empreinte carbone, une petite start-up américaine émerge comme un acteur inattendu du changement. Savor, fondée en 2022, ne cultive ni palmiers ni vaches, et pourtant elle produit du beurre, de l’huile de palme et même des alternatives au lard. Son secret ? Transformer du gaz à effet de serre en matières grasses comestibles. Cette innovation, à la croisée de la biotechnologie, de la chimie industrielle et de l’écologie, pourrait bien redéfinir notre rapport à l’alimentation et à la cosmétique. Derrière cette révolution silencieuse, des scientifiques, des investisseurs visionnaires et des consommateurs curieux tentent de comprendre ce que signifie, concrètement, manger du beurre fabriqué à partir de CO2.

Comment transformer du gaz en beurre ?

Le procédé de Savor repose sur une chimie de pointe, à la frontière entre la catalyse et la synthèse organique. L’entreprise capte du dioxyde de carbone et du méthane – deux gaz à effet de serre majeurs – pour les soumettre à des conditions extrêmes de pression et de température. Sous ces contraintes, les molécules de carbone se réorganisent, formant des chaînes longues et stables qui constituent la base des acides gras. Ces acides gras, une fois assemblés, deviennent des lipides fonctionnels, chimiquement proches de ceux trouvés dans le beurre de vache ou l’huile de palme.

Le laboratoire de Savor, installé dans une zone industrielle près de Chicago, ressemble davantage à une usine chimique qu’à une ferme. Les réacteurs en acier inoxydable ronronnent sans relâche, alimentés par des flux de gaz recyclés. Le processus, encore en phase pilote, produit actuellement quelques kilos de matière grasse par semaine. Mais l’ambition est claire : atteindre 100 kilogrammes par semaine d’ici mi-2025, grâce à un site de 2300 mètres carrés financé en partie par Breakthrough Energy, le fonds d’investissement fondé par Bill Gates.

« Ce que nous faisons, ce n’est pas de la magie, c’est de la chimie appliquée à l’urgence climatique », explique Elias Rostan, chimiste en chef chez Savor. « Nous ne cultivons pas, nous synthétisons. Et cette matière grasse, une fois purifiée, est indiscernable, à l’analyse comme au goût, de ses homologues naturels. »

Quels produits sont déjà en développement ?

La gamme ciblée par Savor est stratégiquement choisie : beurre de vache, beurre de cacao et huile de palme. Ces trois produits sont à la fois très consommés et très controversés en termes d’impact environnemental. L’huile de palme, par exemple, est responsable de la déforestation massive en Asie du Sud-Est. Le beurre de cacao, quant à lui, dépend de cultures vulnérables aux aléas climatiques. Quant au beurre de vache, il est associé à l’élevage intensif, source majeure de méthane.

« Nous ne voulons pas simplement remplacer un produit par un autre, mais offrir une alternative qui ne pèse pas sur la planète », précise Léa Chambon, responsable R&D. « Le beurre que nous avons produit en laboratoire a été testé dans des pâtisseries parisiennes lors d’un essai privé. Les chefs n’ont rien remarqué. »

C’est justement lors d’un tel test, organisé à Lyon avec le chef pâtissier Antonin Féraud, que l’un des premiers retours concrets a été observé. « J’ai utilisé leur beurre dans une pâte feuilletée. La texture était parfaite, la dorure impeccable. Si on me disait que c’est du beurre de vache, je le croirais », confie-t-il. Ce type de validation par des professionnels est crucial pour rassurer à la fois les industriels et les consommateurs.

En parallèle, Savor explore des dérivés plus complexes : des matières grasses hybrides, combinant leurs lipides synthétisés avec des extraits végétaux. Ces « acides gras hybrides » pourraient permettre de conserver certains arômes ou textures propres aux produits naturels, tout en réduisant l’empreinte écologique.

Quel est l’impact environnemental réel de cette technologie ?

Le principal argument de Savor repose sur la réduction drastique de l’empreinte carbone. En évitant la déforestation, l’irrigation intensive et les émissions liées à l’élevage, la start-up affirme que ses produits génèrent jusqu’à 90 % moins de gaz à effet de serre que leurs équivalents traditionnels.

« Chaque tonne de CO2 que nous capturons et transformons, c’est une tonne qui ne va pas dans l’atmosphère », souligne Elias Rostan. « Et nous n’utilisons pas d’eau douce, pas de pesticides, pas de terres agricoles. »

Le modèle économique de Savor repose sur une boucle vertueuse : le CO2 peut provenir de sources industrielles (cimenteries, centrales thermiques), et le méthane, souvent émis par les décharges ou l’élevage, peut être capté localement. En recyclant ces déchets gazeux, la start-up transforme un problème en ressource.

Un exemple parlant : la production d’un kilo d’huile de palme conventionnelle nécessite environ 7500 litres d’eau et détruit 0,1 mètre carré de forêt tropicale. Pour un kilo de « palme synthétique » de Savor, il faut seulement de l’énergie – que l’entreprise s’efforce de tirer de sources renouvelables – et des gaz recyclés.

Pour Yann Levasseur, agronome et consultant en transition alimentaire, cette technologie « ouvre une voie inédite, mais elle ne doit pas devenir une excuse pour continuer à polluer ». « Il faut voir cela comme un complément, pas comme un miracle », ajoute-t-il.

Quels sont les obstacles à la commercialisation ?

Malgré les promesses, Savor doit encore franchir plusieurs étapes critiques avant de voir ses produits dans les supermarchés. Le premier défi est réglementaire. Aux États-Unis, l’agence FDA doit certifier la sécurité des nouveaux aliments. En Europe, l’EFSA impose des procédures encore plus strictes, notamment pour les « aliments du futur ».

« Nous avons commencé les démarches, mais cela peut prendre des années », reconnaît Léa Chambon. « Il faut démontrer l’innocuité, la stabilité, la composition exacte. Et chaque pays a ses propres règles. »

Un autre obstacle, tout aussi redoutable, est psychologique. Comment convaincre les consommateurs de manger un beurre fabriqué à partir de CO2, un gaz souvent perçu comme un polluant ?

« C’est une question de communication », estime Clara N’Diaye, spécialiste du marketing alimentaire. « On a déjà vu ça avec les aliments transformés, les protéines végétales, les produits de fermentation. Il faut raconter une histoire crédible, montrer les bénéfices, et surtout, faire goûter. »

Les tests sensoriels menés en 2024 auprès de panels de consommateurs ont montré une ouverture d’esprit croissante, surtout chez les jeunes générations. « Beaucoup étaient sceptiques au départ, mais après avoir goûté, ils ont admis que c’était bon », rapporte Clara N’Diaye. « Le mot “synthétique” reste un frein, mais “fabriqué à partir de CO2 capté” commence à être perçu comme positif. »

Quels marchés cible Savor ?

La stratégie de Savor est claire : commencer par les professionnels. Le secteur de la restauration, notamment la restauration rapide et la pâtisserie industrielle, est une cible idéale. Moins sensible aux étiquettes « naturelles » que les consommateurs individuels, il privilégie la stabilité, la disponibilité et le coût.

« Imaginez une chaîne de fast-food qui peut dire : “Notre friteuse fonctionne à l’huile fabriquée à partir de CO2” », s’enthousiasme Antonin Féraud. « C’est un argument marketing puissant. »

Le deuxième marché visé est celui de la cosmétique. Les huiles végétales sont omniprésentes dans les crèmes, les shampoings, les baumes. Or, la demande en ingrédients durables explose. « Une crème hydratante à base de beurre de cacao synthétique, sans déforestation, c’est un argument éthique fort », analyse Clara N’Diaye.

Savor a déjà entamé des discussions avec plusieurs grands groupes cosmétiques européens. L’un d’eux, basé en Suisse, a testé un prototype de crème contenant 30 % de lipides synthétiques. Résultat : stabilité parfaite, absorption excellente, et un label carbone réduit de 40 %.

Quel rôle joue Breakthrough Energy dans cette aventure ?

Le soutien de Breakthrough Energy, le fonds de Bill Gates, est un atout majeur. Non seulement il apporte des fonds, mais aussi une légitimité. Depuis sa création, le fonds a investi dans des technologies capables de réduire massivement les émissions de CO2 – et Savor correspond parfaitement à cette vision.

« Ils ne cherchent pas seulement des profits, mais des impacts mesurables », explique Elias Rostan. « Grâce à eux, nous avons pu accélérer le développement industriel sans sacrifier la rigueur scientifique. »

Breakthrough Energy a également ouvert des portes auprès de partenaires industriels et de régulateurs. « Leur réseau est inestimable », confie Léa Chambon. « Quand on dit qu’on est soutenus par Gates, les portes s’ouvrent un peu plus vite. »

Quel avenir pour les matières grasses du futur ?

L’ambition de Savor va bien au-delà du beurre. Le procédé est adaptable : en modifiant les conditions de réaction, on peut produire des lipides aux propriétés variées – saturés, insaturés, solides, liquides. Cela ouvre la voie à des huiles pour la friture, des graisses pour la charcuterie, voire des émulsifiants pour les sauces.

« Dans dix ans, on pourrait avoir des alternatives durables à presque tous les lipides industriels », prédit Yann Levasseur. « Le vrai défi sera de les intégrer dans les chaînes alimentaires existantes sans perturber les goûts, les textures, ni les coûts. »

Pour l’instant, le prix de production de Savor est encore élevé – environ trois fois celui du beurre conventionnel. Mais avec l’industrialisation et les économies d’échelle, l’objectif est de devenir compétitif d’ici 2027.

A retenir

Comment Savor produit-elle des matières grasses sans agriculture ?

Savor utilise du dioxyde de carbone et du méthane qu’elle soumet à une transformation chimique sous haute pression et température. Ce processus permet de créer des chaînes de carbone qui forment des acides gras, ensuite assemblés en matières grasses comestibles ou utilisables en cosmétique.

Quels produits seront disponibles en premier ?

Les premiers produits ciblés sont des alternatives au beurre de vache, au beurre de cacao et à l’huile de palme. Ces choix sont motivés par leur forte empreinte environnementale et leur demande croissante dans l’industrie alimentaire et cosmétique.

Les produits de Savor sont-ils sûrs à consommer ?

Les matières grasses produites ont été testées en laboratoire et répondent aux normes de pureté. Toutefois, elles doivent encore passer les certifications réglementaires des agences sanitaires, notamment aux États-Unis et en Europe, avant d’être commercialisées.

Quel est l’impact carbone de cette technologie ?

En évitant l’agriculture intensive et en recyclant des gaz à effet de serre, Savor estime que ses produits réduisent jusqu’à 90 % des émissions comparées aux méthodes traditionnelles. Le processus contribue aussi à la préservation des sols et des écosystèmes menacés par la déforestation.

Quand les consommateurs pourront-ils acheter ces produits ?

Savor vise une commercialisation à grande échelle dès 2025, d’abord auprès des professionnels (restauration, cosmétique). L’accès au grand public dépendra de l’obtention des autorisations réglementaires et de la montée en puissance de la production.

Qui est derrière le financement de Savor ?

La start-up est soutenue notamment par Breakthrough Energy, le fonds d’investissement fondé par Bill Gates, qui finance des innovations climatiques à fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre.