En pleine nuit d’hiver, alors que le vent glacial s’engouffre dans les ruelles désertes d’un petit village de Haute-Loire, Élise Berthier, naturaliste retraitée de 68 ans, observe depuis sa fenêtre une chauve-souris qui effleure le rebord de son toit avant de disparaître dans l’obscurité. Ce simple passage la ramène vingt ans en arrière, à l’époque où, comme beaucoup, elle redoutait ces créatures aux ailes membraneuses, persuadée qu’elles pouvaient s’emmêler dans ses cheveux ou transmettre des maladies mortelles. Aujourd’hui, elle milite pour leur protection, convaincue que derrière cette réputation sulfureuse se cache un animal extraordinaire, discret, essentiel à l’équilibre écologique, et cruellement menacé. À travers son témoignage et ceux d’autres acteurs du monde naturaliste, cet article décrypte les mythes autour des chauves-souris, révèle leur rôle précieux dans notre environnement, et explique comment chacun peut contribuer à leur préservation.
Les chauves-souris sont-elles vraiment des animaux maudits ?
La peur des chauves-souris est ancrée dans l’inconscient collectif depuis des siècles. Associées aux ténèbres, aux cimetières et aux légendes vampiriques, elles ont longtemps été perçues comme des créatures maléfiques. Pourtant, cette image est totalement infondée. Les chauves-souris ne sont ni des oiseaux, ni des souris, mais les seuls mammifères capables de voler. Leur apparence insolite – oreilles pointues, museau allongé, ailes translucides – alimente les fantasmes, mais leur comportement est loin d’être agressif. Comme le souligne Élise Berthier : « J’ai passé des nuits entières à les observer avec des collègues biologistes. Elles fuient la lumière, évitent les humains, et ne s’approchent jamais de nous, sauf si elles sont désorientées. »
Leur réputation de suceuses de sang provient d’une confusion avec les espèces vampiriques d’Amérique du Sud. Or, sur les 1 400 espèces recensées dans le monde, seules trois se nourrissent de sang. En Europe, toutes les chauves-souris sont insectivores. Une seule petite chauve-souris peut consommer jusqu’à 3 000 moustiques par nuit, ce qui en fait un allié précieux contre les nuisibles. Leur rôle écologique est d’autant plus crucial que les pesticides affaiblissent les populations d’insectes bénéfiques, perturbant tout l’écosystème.
Pourquoi les chauves-souris sont-elles en voie de disparition ?
Malgré leur utilité, les chauves-souris sont victimes de nombreuses menaces. La destruction de leurs habitats est l’un des principaux facteurs de leur déclin. Jadis présentes dans les vieux bâtiments, les arbres creux ou les grottes, elles voient leurs refuges disparaître à cause de la rénovation des maisons anciennes, de l’abattage des arbres centenaires ou de la fermeture des caves. « Quand on colmate toutes les fissures d’un grenier, on ne pense pas qu’on emprisonne peut-être une colonie entière », alerte Julien Mercier, ornithologue et bénévole au réseau régional de sauvegarde de la faune sauvage.
L’agriculture intensive et l’usage massif de pesticides réduisent aussi drastiquement leur source de nourriture. En hiver, perturbées par des touristes intrusifs dans les grottes ou par des travaux intempestifs, elles peuvent être réveillées prématurément de leur hibernation. Ce réveil coûte cher en énergie, et certaines ne survivent pas à la suite. Leur mode de reproduction lent – un seul petit par femelle et par an – rend leur population particulièrement vulnérable. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, près de 80 % des espèces européennes sont en régression.
Comment peut-on protéger les chauves-souris chez soi ?
Il est possible de cohabiter pacifiquement avec les chauves-souris, à condition de respecter leurs besoins. Si vous découvrez une colonie dans votre grenier ou votre cave, ne paniquez pas. « Elles ne font aucun dégât », insiste Élise Berthier. « Elles ne rongent pas le bois, ne creusent pas de galeries, et leurs déjections sont inoffensives. » En France, elles sont protégées par la loi, et toute destruction de colonie ou entrave à leur hibernation est passible de 150 000 euros d’amende et de deux ans de prison.
En cas de présence avérée, il est conseillé de ne pas fermer brutalement les accès. Si des travaux sont nécessaires, il faut les planifier en dehors des périodes sensibles : l’hibernation (novembre à mars) et la reproduction (avril à septembre). Il est possible d’installer des grilles spéciales ou des passages dédiés, qui permettent aux chauves-souris de circuler sans pénétrer dans les pièces de vie. Des boîtes à chauves-souris, similaires aux nichoirs à oiseaux, peuvent aussi être fixées à l’extérieur des bâtiments pour leur offrir un refuge alternatif.
Les chauves-souris transmettent-elles des maladies ?
Comme tous les mammifères, les chauves-souris peuvent être porteuses de virus, mais la majorité ne sont pas transmissibles à l’homme. La seule maladie réellement dangereuse est la rage, mais son occurrence est extrêmement rare. Depuis les années 1950, seulement quatre cas de transmission à l’homme ont été recensés en Europe. « Ces animaux ne sont pas agressifs, précise Julien Mercier. Ils ne mordent que s’ils sont manipulés sans précaution. »
Si vous trouvez une chauve-souris au sol, apparemment blessée ou désorientée, ne la touchez jamais à mains nues. Utilisez des gants épais ou un carton pour la placer délicatement dans une boîte aérée, puis contactez un centre de sauvegarde de la faune. En cas de morsure ou de griffure, même minime, une consultation immédiate en centre antirabique est obligatoire. La prudence est de mise, mais la peur irrationnelle n’a pas sa place.
Les déjections de chauves-souris sont-elles dangereuses ?
Dans les régions tropicales, l’accumulation de guano (excréments) dans des grottes chaudes et humides peut favoriser le développement d’un champignon responsable de l’histoplasmose, une infection pulmonaire. Mais en France, ce risque n’existe pas. « Le climat n’est pas propice à ce type de développement », confirme le docteur Léa Dubois, spécialiste en maladies infectieuses. « En revanche, le guano des chauves-souris européennes est un excellent engrais naturel, riche en azote. Dilué à 10 %, il peut fertiliser un potager sans aucun danger. »
Ce paradoxe illustre bien la différence entre perception et réalité : ce qui est perçu comme une nuisance peut en réalité être une ressource. Pour Élise Berthier, c’est aussi un symbole : « On rejette souvent ce qu’on ne comprend pas. Mais quand on apprend à connaître les chauves-souris, on réalise qu’elles sont bien plus utiles que nuisibles. »
Les chauves-souris sont-elles aveugles ?
L’expression « aveugle comme une chauve-souris » est l’un des plus grands contresens de la zoologie. Si certaines espèces ont une vision limitée, elles compensent largement par leur écholocation. En émettant des ultrasons inaudibles pour l’homme, elles perçoivent les échos renvoyés par les obstacles, ce qui leur permet de se déplacer dans l’obscurité totale avec une précision stupéfiante. Des études ont montré qu’elles peuvent détecter un fil de 0,05 mm d’épaisseur à plusieurs mètres de distance.
Cependant, elles utilisent aussi leur vue, notamment en fin de journée pour repérer les zones de chasse. L’éclairage artificiel des villes perturbe leur comportement : il attire les insectes, mais aussi les oiseaux prédateurs. « Les lampadaires modernes, trop puissants, désorientent les chauves-souris », explique Julien Mercier. « Installer des éclairages à faible intensité, orientés vers le sol, peut déjà faire une grande différence. »
Les chauves-souris se prennent-elles dans les cheveux ?
Peut-être l’un des mythes les plus tenaces : l’idée qu’une chauve-souris pourrait s’emmêler dans une chevelure. Cette croyance, souvent utilisée par les parents pour empêcher leurs enfants de sortir le soir, n’a aucun fondement scientifique. Des expériences menées par des chercheurs ont placé des chauves-souris face à des mannequins aux cheveux très longs et bouclés. Aucune ne s’est jamais accrochée. « Elles évitent les obstacles avec une précision chirurgicale », affirme Élise Berthier. « Dire qu’elles se prennent dans les cheveux, c’est comme dire qu’un avion de ligne va percuter une mouche en plein vol. »
Les chauves-souris sont-elles utiles à l’agriculture ?
Leur rôle d’insecticide naturel est aujourd’hui reconnu par les agronomes. En consommant des papillons de nuit, des moustiques et des coléoptères nuisibles, elles réduisent la pression parasitaire sur les cultures. Aux États-Unis, des études ont estimé que les chauves-souris économisent aux agriculteurs plus de 3 milliards de dollars par an en traitements phytosanitaires. En France, ce service écosystémique commence à être pris en compte. « On observe moins de chenilles dans les vergers où les chauves-souris sont présentes », note Julien Mercier. « Elles sont un indicateur de biodiversité saine. »
Des projets de conservation sont menés avec les agriculteurs : installation de boîtes à chauves-souris, préservation des haies et des bosquets, limitation des pesticides. « Ce n’est pas une lutte contre les humains, mais une collaboration », résume Élise Berthier. « Quand on protège les chauves-souris, on protège aussi nos campagnes. »
Conclusion
Les chauves-souris ne sont ni des monstres, ni des parasites, mais des alliés discrets de notre équilibre naturel. Victimes de préjugés tenaces, elles souffrent aussi de la transformation accélérée de leur environnement. Pourtant, leur préservation est à la portée de chacun : en respectant leurs refuges, en adaptant notre éclairage, en évitant les pesticides, ou simplement en apprenant à les connaître. Comme le dit Élise Berthier : « Chaque battement d’ailes dans la nuit est un signe de vie. Protéger les chauves-souris, c’est protéger un peu de notre propre humanité. »
A retenir
Les chauves-souris sont-elles dangereuses pour l’homme ?
Non, elles ne représentent aucun danger en conditions normales. Elles ne s’attaquent pas aux humains, ne transmettent pas de maladies courantes, et fuient systématiquement la présence humaine. La seule précaution à prendre concerne la manipulation d’un individu blessé, qui doit être faite avec des gants ou un outil adapté.
Peut-on avoir des chauves-souris chez soi sans risque ?
Oui, à condition de respecter leurs cycles de vie. Elles ne causent aucun dégât structurel, et leurs déjections sont inoffensives en Europe. Il est recommandé de ne pas fermer brutalement les accès si une colonie est présente, et de prévoir des alternatives comme des boîtes à chauves-souris.
Les chauves-souris sont-elles protégées par la loi ?
Oui, toutes les espèces de chauves-souris en France sont protégées au niveau national et européen. Tout acte de destruction, de perturbation intentionnelle ou d’emprisonnement est passible de sanctions pénales lourdes.
Quel est le rôle écologique des chauves-souris ?
Elles sont des régulateurs naturels des populations d’insectes nuisibles, notamment les moustiques et les chenilles. En agriculture, elles limitent les besoins en pesticides, ce qui préserve la qualité des sols et de l’eau.
Comment aider les chauves-souris en ville ou à la campagne ?
En installant des boîtes à chauves-souris, en limitant l’éclairage nocturne, en préservant les vieux arbres et les bâtiments anciens, et en évitant les produits chimiques. Signaler toute présence inhabituelle à un centre de sauvegarde permet aussi de contribuer à leur suivi scientifique.