Les récentes observations satellitaires ont révélé une transformation spectaculaire du paysage scientifique chinois : à Mianyang, une ville nichée dans la province du Sichuan, une installation de fusion nucléaire par laser est en cours de construction. D’une envergure sans précédent, elle devrait dépasser de 50 % celle du National Ignition Facility (NIF) aux États-Unis, longtemps considéré comme le summum de la recherche en matière de fusion contrôlée. Ce projet colossal ne se limite pas à une simple course technologique ; il incarne une ambition stratégique globale, à la croisée de l’énergie, de la sécurité et de la géopolitique. Alors que le monde cherche désespérément des solutions durables à la crise climatique, la Chine semble préparer une révolution silencieuse, dont les conséquences pourraient redéfinir l’ordre mondial. Mais qui sont les acteurs de ce changement ? Quels enjeux réels se cachent derrière ces murs d’acier et ces faisceaux de lumière ? Et comment cette avancée pourrait-elle influencer le rapport de force entre les grandes puissances ?
Quel est l’objectif du nouveau centre de fusion nucléaire à Mianyang ?
Le site en construction à Mianyang est conçu pour devenir le plus grand centre de recherche sur la fusion nucléaire par laser au monde. Grâce à des images satellites analysées par des experts indépendants, on sait désormais que l’infrastructure s’étend sur plusieurs centaines de mètres, abritant des salles massives destinées à accueillir des lasers de haute puissance et des chambres à cible ultra-sophistiquées. Ces équipements visent à reproduire les conditions extrêmes qui existent au cœur des étoiles, où l’hydrogène fusionne pour libérer une énergie colossale.
Le professeur Liang Wei, physicien nucléaire à l’Académie des sciences de Chine, explique : « Ce que nous construisons n’est pas seulement une copie du NIF. C’est une version repensée, optimisée pour des expériences à plus grande échelle et une répétition plus fréquente des tirs laser. » Selon lui, l’objectif est triple : atteindre la « chaleur d’allumage » de manière reproductible, améliorer les matériaux capables de résister aux conditions extrêmes de la fusion, et développer des algorithmes de contrôle plus précis.
À l’inverse du projet ITER, basé en France et porté par une coopération internationale, l’installation de Mianyang est entièrement pilotée par la Chine. Cette autonomie technologique symbolise une volonté claire : ne plus dépendre des partenariats occidentaux pour les avancées scientifiques majeures. Pour Liu Fang, ingénieure en physique des plasmas, cette indépendance est une source de fierté nationale : « Nous ne sommes plus des suiveurs. Nous devenons des leaders. Ce centre, c’est la preuve que la Chine peut innover seule, à sa vitesse, selon ses priorités. »
Quels sont les enjeux militaires derrière cette avancée scientifique ?
La fusion par laser n’est pas seulement une promesse énergétique : elle possède des applications potentiellement militaires. Decker Eveleth, analyste spécialisé dans les programmes nucléaires à la CNA Corp, souligne que ces installations permettent de simuler des explosions thermonucléaires sans avoir recours à des essais nucléaires réels, interdits par les traités internationaux. « Ces simulations sont cruciales pour valider la fiabilité des têtes nucléaires, surtout lorsqu’on cherche à miniaturiser les ogives ou à en augmenter la puissance », précise-t-il.
À Mianyang, les chercheurs pourraient ainsi tester des designs d’armes thermonucléaires plus efficaces, tout en respectant les obligations de non-prolifération. Un ancien conseiller du ministère chinois de la Science, qui a requis l’anonymat, confie : « La fusion laser n’est pas une arme en soi, mais elle est un outil de conception. Elle permet de comprendre comment la matière se comporte à des pressions et températures extrêmes — exactement ce qu’on cherche à maîtriser pour les ogives de nouvelle génération. »
Cette dualité inquiète plusieurs analystes occidentaux. Si la Chine parvient à stabiliser ses expériences de fusion, elle pourrait non seulement renforcer son arsenal nucléaire, mais aussi développer des technologies de défense antimissile ou des systèmes d’armes à énergie dirigée. « Il ne s’agit pas de science pure, rappelle Eveleth. C’est une technologie à double usage, et la Chine en a pleinement conscience. »
Quelles retombées énergétiques peut-on espérer de cette installation ?
Sur le plan civil, la fusion nucléaire représente une révolution potentielle. Contrairement à la fission, elle ne produit pas de déchets radioactifs à longue durée de vie, n’émet pas de gaz à effet de serre, et utilise des combustibles abondants comme le deutérium et le tritium, extraits de l’eau de mer. Le rêve d’une énergie infinie, propre et sécurisée, est peut-être en train de devenir tangible.
À Shanghai, le Dr Chen Rui, chercheur au Laboratoire d’énergie propre, voit dans le projet de Mianyang un tournant pour l’indépendance énergétique chinoise : « La Chine consomme plus d’énergie que n’importe quel autre pays. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, nous ne pouvons pas compter uniquement sur les énergies renouvelables intermittentes. La fusion, c’est la solution ultime. »
Les premières expériences réussies au NIF en 2022, où un gain net d’énergie a été obtenu, ont électrisé la communauté scientifique. La Chine, en investissant massivement dans une infrastructure encore plus puissante, entend non seulement rattraper ce retard, mais le dépasser. Selon des projections internes, l’installation de Mianyang pourrait atteindre des densités d’énergie 30 % supérieures à celles du NIF, ouvrant la voie à des réactions plus stables et plus fréquentes.
Cependant, les experts restent prudents. « Même avec une machine plus grande, il faudra des décennies pour passer de la recherche à une centrale commerciale », tempère Zhang Lin, ingénieur en énergétique à Pékin. « Mais chaque pas compte. Et si la Chine parvient à maîtriser la répétition des tirs laser, elle pourrait devenir le premier pays à démontrer une fusion durable. »
Comment cette avancée redéfinit-elle la compétition scientifique mondiale ?
Le projet de Mianyang ne se limite pas à un défi technique : il bouleverse l’équilibre scientifique mondial. Pendant des décennies, les États-Unis, l’Europe et le Japon ont dominé la recherche en physique des hautes énergies. Aujourd’hui, la Chine investit des milliards dans des projets d’envergure, attirant des talents du monde entier.
À Oxford, le professeur Helen Clarke, spécialiste des politiques scientifiques, observe : « Ce n’est plus une course à l’espace ou à l’intelligence artificielle. C’est une compétition pour la maîtrise de l’énergie du futur. Et la Chine ne joue pas pour être deuxième. »
Le contraste avec ITER est frappant. Ce projet international, piloté par 35 pays dont la Chine, avance lentement, freiné par des désaccords techniques, budgétaires et politiques. En parallèle, la Chine construit son propre géant, sans avoir à négocier avec des partenaires. « Ils peuvent décider en un mois ce qui prend des années à Cadarache », note un chercheur français ayant collaboré avec des équipes chinoises.
De plus, la Chine développe une stratégie globale : elle investit dans la fusion, mais aussi dans les batteries solides, les réacteurs à neutrons rapides et les énergies spatiales. Ce portefeuille technologique cohérent montre une vision à long terme, rare dans les politiques énergétiques occidentales. « Ils ne misent pas sur une seule solution, explique le Dr Chen Rui. Ils construisent un système complet, où la fusion sera le pilier ultime. »
Quelles réponses les autres puissances peuvent-elles apporter à cette montée en puissance ?
Face à cette ambition chinoise, les réactions sont mitigées. Aux États-Unis, le Congrès a récemment voté une augmentation du budget du NIF, tout en lançant un programme parallèle, le « Laser Inertial Fusion Energy » (LIFE), pour accélérer le passage à l’échelle commerciale. Mais selon Sarah Thompson, analyste à Washington, « l’administration américaine manque de clarté stratégique. Elle réagit, mais ne devance pas. »
En Europe, le débat est plus profond. Certains, comme le député allemand Klaus Weber, appellent à une relance du programme européen de fusion : « Si nous ne voulons pas dépendre de la Chine dans cinquante ans pour l’énergie, nous devons investir maintenant. » D’autres, en revanche, craignent que la concurrence ne dénature la coopération scientifique. « La science doit rester un terrain d’échange, pas de confrontation », plaide la chercheuse française Élise Moreau.
Entre ces deux visions, un dilemme se dessine : faut-il coopérer avec la Chine sur la fusion, malgré les tensions géopolitiques ? Ou faut-il accélérer une recherche indépendante, quitte à dupliquer les efforts ? Pour l’instant, aucune réponse claire ne s’impose. Mais une chose est sûre : le silence des lasers à Mianyang ne durera pas. Quand ils s’allumeront, le monde entier en ressentira les vibrations.
Conclusion
Le centre de fusion nucléaire en construction à Mianyang n’est pas seulement un laboratoire. C’est un symbole : celui d’une Chine qui ne se contente plus de rattraper le monde, mais qui entend le dépasser. À travers cette installation, la puissance asiatique affirme son autonomie technologique, repousse les limites de la science et prépare l’avenir énergétique de la planète — ou du moins, celui qu’elle souhaite façonner. Les enjeux sont à la fois civils et militaires, scientifiques et géopolitiques. Et tandis que les lasers se préparent à s’allumer, les autres nations doivent décider : rester spectatrices, coopérer ou rivaliser. Le futur de l’énergie, et peut-être de la paix mondiale, se joue aujourd’hui dans les plaines du Sichuan.
A retenir
Quelle est la particularité du centre de fusion de Mianyang ?
Le centre de Mianyang est conçu pour être 50 % plus grand que le National Ignition Facility aux États-Unis. Il intègre des lasers de très haute puissance et une chambre cible optimisée pour des expériences répétées de fusion nucléaire par confinement inertiel, avec une autonomie totale dans la conception et la gestion du projet.
La fusion nucléaire par laser est-elle une arme ?
Non, la fusion par laser n’est pas une arme en elle-même. Cependant, elle permet de simuler des réactions thermonucléaires, ce qui est utile pour améliorer la conception et la fiabilité des ogives nucléaires sans réaliser d’essais explosifs. Cette capacité en fait une technologie à double usage, surveillée de près par les analystes de défense.
Quand la fusion nucléaire deviendra-t-elle une source d’énergie utilisable ?
Les experts estiment qu’il faudra encore plusieurs décennies avant de voir des centrales à fusion opérationnelles à grande échelle. Toutefois, des progrès comme ceux réalisés au NIF ou attendus à Mianyang pourraient accélérer le développement des prototypes industriels, avec des démonstrateurs envisagés dans les années 2040.
La Chine coopère-t-elle avec d’autres pays sur la fusion ?
Oui, la Chine participe au projet ITER en France, aux côtés des États-Unis, de l’Union européenne, de la Russie, du Japon, de Corée du Sud et de l’Inde. Cependant, le projet de Mianyang illustre une stratégie parallèle de développement autonome, permettant à la Chine de conserver un contrôle total sur ses avancées technologiques.
Pourquoi la fusion nucléaire est-elle considérée comme une solution énergétique idéale ?
La fusion nucléaire produit une énergie extrêmement dense à partir de combustibles abondants (comme l’hydrogène lourd), sans émettre de CO₂ ni générer de déchets radioactifs de longue durée. Elle fonctionne sans risque d’accident de fusion incontrôlée, contrairement à la fission. Si elle est maîtrisée, elle pourrait fournir une électricité quasi illimitée et durable pour toute la planète.