La Coupe du Monde 2026 s’apprête à entrer dans l’histoire non seulement par son format inédit, mais aussi par ses implications géopolitiques, sportives et culturelles. Jamais un événement footballistique n’aura été aussi ambitieux : une compétition élargie à 48 nations, organisée conjointement par trois pays aux identités distinctes, et marquée par des exclusions qui résonnent bien au-delà du terrain. Ce tournoi incarne une transformation profonde du football mondial, entre ouverture et tensions, entre rêve sportif et réalités politiques. À travers les regards croisés d’acteurs du terrain, d’organisateurs et de passionnés, plongeons dans les enjeux de cette édition charnière.
Comment une Coupe du Monde à trois devient-elle possible ?
L’idée d’une Coupe du Monde partagée entre les États-Unis, le Canada et le Mexique semblait utopique il y a encore quelques années. Pourtant, cette co-organisation reflète une volonté stratégique de la FIFA : inscrire le football dans des territoires où il n’est pas encore roi. La logistique, toutefois, reste un défi colossal. Transporter équipes, supporters, matériel et arbitres entre des stades distants de milliers de kilomètres exige une coordination sans faille.
Élodie Rivière, coordinatrice logistique basée à Montréal, raconte : « On travaille sur des corridors aériens spécifiques, des protocoles sanitaires harmonisés et des systèmes de billetterie transfrontaliers. Chaque pays a ses règles, mais le tournoi doit se vivre comme une seule et même expérience. » Son équipe collabore avec des ingénieurs mexicains de Guadalajara et des spécialistes américains de Dallas pour synchroniser les flux.
Le volet culturel n’est pas en reste. Chaque pays organisateur met en avant son identité : le Canada avec ses communautés francophones et autochtones, le Mexique avec ses racines préhispaniques et sa fièvre footballistique, les États-Unis avec leur diversité ethnique et leur culture du spectacle. Le stade olympique de Montréal, réaménagé pour l’occasion, accueillera une cérémonie d’ouverture mêlant musique inuite, jazz afro-américain et rythmes nahuas. « Ce n’est pas juste un match, c’est un dialogue entre mondes », insiste Élodie.
Un format à 48 équipes : révolution ou dilution ?
Le passage de 32 à 48 équipes est l’une des décisions les plus audacieuses de la FIFA depuis des décennies. L’objectif est clair : démocratiser l’accès à la plus haute compétition du football. L’Afrique passe de 5 à 9 places, l’Asie de 4 à 8, et l’Amérique du Nord voit sa représentation grimper à 6 nations, dont 3 automatiques pour les pays hôtes.
Pour Samuel Koffi, journaliste sportif à Abidjan, cette ouverture est une victoire : « En 2026, on pourrait voir le Togo, le Rwanda ou le Népal jouer un match officiel en Coupe du Monde. Ce sont des rêves qui deviennent concrets. » Il se souvient d’avoir interviewé un jeune joueur togolais, Amaury Dagnon, qui, après la qualification de son pays, lui a dit : « J’ai grandi en regardant Drogba. Aujourd’hui, c’est moi qui vais inspirer les enfants. »
Pourtant, les critiques ne manquent pas. À Lisbonne, le consultant technique Rui Mendes s’inquiète : « Le risque, c’est que des matchs du premier tour manquent de rythme, de qualité. On pourrait assister à des inégalités flagrantes entre une nation comme l’Argentine et une équipe émergente qui joue son premier match international depuis dix ans. »
La FIFA a répondu en repensant le format : trois groupes de quatre par poule, avec les deux premiers et les huit meilleurs troisièmes qualifiés. Un système complexe, mais conçu pour garder l’intensité. « Le football doit grandir, pas se replier sur ses élites », tranche Valérie Leblanc, historienne du sport à Paris. « En 1930, il n’y avait que 13 équipes. L’élargissement a toujours fait évoluer le jeu. »
Pourquoi la Russie, le Congo et le Pakistan sont-ils exclus ?
Alors que le tournoi s’ouvre à de nouveaux venus, trois nations sont tenues à l’écart : la Russie, le Congo et le Pakistan. Ces exclusions, bien que justifiées par la FIFA, ont fait couler beaucoup d’encre.
La Russie, exclue en raison de son implication dans le conflit en Ukraine, ne participe à aucune compétition internationale depuis 2022. « C’est une décision politique, pas sportive », déplore Dmitri Volkov, entraîneur adjoint de l’équipe féminine russe. « Nos joueurs n’ont rien à voir avec la guerre. Beaucoup sont opposés au régime. Nous avons vu des jeunes talents contraints de quitter le pays pour continuer à jouer. »
Le cas du Congo est différent. La Fédération congolaise a été suspendue en 2024 après l’intervention du gouvernement dans la nomination du sélectionneur national. « L’ingérence politique est contraire aux statuts de la FIFA », rappelle Fatima Ndiaye, juriste spécialisée en droit du sport. « Quand un ministre décide qui doit entraîner l’équipe nationale, cela compromet l’intégrité de la compétition. »
Le Pakistan, quant à lui, souffre d’un effondrement interne de sa fédération. Depuis 2023, plusieurs fédérations régionales se disputent le contrôle, et les comptes sont gelés par les autorités. « C’est triste », confie Ali Raza, ancien capitaine de l’équipe junior. « On a eu une génération prometteuse, mais sans financement, sans structure, les joueurs partent dans d’autres pays. On nous dit qu’on n’est pas prêts. Mais comment le serions-nous sans soutien ? »
La FIFA doit-elle se mêler de politique ?
La question divise. Pour certains, le sport doit rester un espace neutre, un terrain d’unité. Pour d’autres, comme le sociologue canadien Elias Tremblay, « le football n’existe pas hors du monde réel. Quand un pays viole les droits humains ou sabote ses institutions sportives, la FIFA a une responsabilité morale ». Il cite l’exemple de l’Afrique du Sud en 1961, exclue de la Coupe du Monde à cause de l’apartheid : « À l’époque, certains disaient que le sport ne devait pas se politiser. Aujourd’hui, personne ne regrette cette exclusion. »
Cependant, le risque d’un traitement inéquitable subsiste. Pourquoi sanctionner la Russie et pas d’autres nations impliquées dans des conflits ? Pourquoi le Congo et pas d’autres fédérations sous influence gouvernementale ? « Il faut des critères clairs et appliqués de manière uniforme », insiste Fatima Ndiaye. « Sinon, la FIFA perd sa crédibilité. »
Quel avenir pour les nations exclues ?
La porte n’est pas fermée. La FIFA a indiqué que les pays exclus pourraient être réintégrés dès la prochaine édition, à condition de régulariser leur situation. Pour la Russie, cela signifierait un retrait des zones de conflit et une reconnaissance internationale du cessez-le-feu. Pour le Congo, la restauration de l’autonomie de la fédération. Pour le Pakistan, la réunification de ses instances et un audit financier transparent.
Des signes d’espoir émergent. À Islamabad, un collectif de jeunes entraîneurs a lancé « Football sans frontières », un programme de développement local financé par des diasporas. « On ne peut pas attendre que les institutions se réparent », explique Samira Khan, coordinatrice du projet. « On forme des joueuses, on construit des terrains en terre battue, on diffuse des matchs sur des écrans de fortune. Le football, c’est aussi ça : la résilience. »
En Russie, des clubs comme Zenit Saint-Pétersbourg ont commencé à recruter des joueurs étrangers issus de pays non-alignés, créant une ligue parallèle reconnue par certaines fédérations asiatiques. « Ce n’est pas la Coupe du Monde, mais c’est un début », admet Dmitri Volkov.
Un tournant pour le football en Amérique du Nord ?
L’un des objectifs majeurs de cette Coupe du Monde est de faire basculer le football dans le paysage sportif nord-américain. Aux États-Unis, malgré la popularité croissante de la MLS, le football reste derrière le basket, le baseball et surtout le football américain. Le Super Bowl attire 100 millions de téléspectateurs ; la finale de la MLS, 3 millions.
« Mais tout change », affirme Javier Morales, entraîneur d’une académie à El Paso, à la frontière mexicaine. « Mes jeunes joueurs, fils d’immigrés, grandissent avec Messi et Mbappé, pas seulement avec Tom Brady. Ils portent des maillots du Mexique, du Maroc, du Sénégal. Le football, c’est leur lien avec le monde. »
Le gouvernement américain a investi massivement dans les infrastructures : stades rénovés, réseaux de transport améliorés, programmes scolaires de découverte du jeu. Une étude de l’université de Toronto prévoit que 2,3 millions de spectateurs assisteront aux matchs sur le sol nord-américain, dont 40 % de nouveaux fans.
« Ce n’est pas qu’une compétition, c’est une campagne de sensibilisation mondiale », résume Élodie Rivière. « On ne construit pas seulement des stades. On construit une culture. »
A retenir
Qu’est-ce qui rend la Coupe du Monde 2026 historique ?
Cette édition est la première organisée par trois pays simultanément — les États-Unis, le Canada et le Mexique — et la première à accueillir 48 équipes. Elle marque un tournant dans l’accessibilité du football mondial et dans sa dimension géopolitique, avec des exclusions sans précédent.
Pourquoi la Russie est-elle exclue ?
La Russie est exclue en raison de son implication dans le conflit en Ukraine, conformément aux décisions de la FIFA visant à protéger l’intégrité du sport face aux actions des États en temps de guerre.
Quelles sont les chances de retour des pays exclus ?
Les pays exclus peuvent postuler à une réintégration pour les prochaines compétitions, à condition de répondre aux critères de gouvernance, d’indépendance fédérale et de respect des droits internationaux fixés par la FIFA.
Le format à 48 équipes va-t-il dégrader la qualité du jeu ?
Certaines voix s’inquiètent d’un niveau inégal, mais la FIFA a mis en place un système de qualification par groupes et de repêchage des meilleurs troisièmes pour maintenir l’intensité. L’objectif est d’allier excellence sportive et diversité géographique.
Le football va-t-il devenir un sport majeur en Amérique du Nord ?
L’organisation de la Coupe du Monde 2026 est un levier puissant pour accélérer l’ancrage du football dans la culture nord-américaine. Avec des investissements massifs et une mobilisation populaire croissante, surtout dans les communautés migrantes, le sport a toutes les chances de franchir un cap.
Conclusion
La Coupe du Monde 2026 ne sera pas seulement un tournoi. Elle sera un miroir du monde contemporain : ses tensions, ses espoirs, ses inégalités et ses solidarités. Entre logistique titanesque, ambitions inclusives et dilemmes politiques, elle incarne un football en mutation. Les stades seront pleins, les émotions à leur comble, mais ce qui restera, c’est peut-être cette idée simple : que le ballon, plus que jamais, traverse les frontières — même quand les hommes ne le peuvent pas.