En Mayenne, la crise en psychiatrie inquiète les patients et les soignants

En Mayenne, comme dans de nombreuses zones rurales françaises, l’accès aux soins psychiatriques connaît une dégradation profonde, affectant particulièrement les enfants et les adolescents. Ce recul, silencieux mais implacable, se traduit par des délais d’attente allongés, un manque criant de professionnels et une souffrance psychique croissante parmi les jeunes. Jean-Bernard Brière, ancien délégué départemental de l’Unafam 53, n’hésite pas à parler d’un déclin marqué de la psychiatrie sur le territoire. Pendant sept ans, il a porté la voix des familles confrontées à l’absence de prise en charge adéquate. Aujourd’hui, il témoigne d’un système en crise, où les besoins explosent alors que les moyens diminuent. À travers des récits concrets, des témoignages de soignants et de parents, cet article dresse un état des lieux sans concession de la situation en Mayenne, tout en explorant les pistes de solutions possibles.

Quel est l’état actuel des soins psychiatriques en Mayenne ?

Le constat de Jean-Bernard Brière n’est pas isolé. Depuis plusieurs années, les professionnels du secteur et les associations alertent sur la désertification des services de psychiatrie, notamment en ce qui concerne les jeunes. En trente ans, le nombre de psychiatres en activité a chuté de manière significative. Dans certaines zones, il n’existe plus aucun praticien spécialisé en pédopsychiatrie. Les consultations sont saturées, les délais d’attente pour un premier rendez-vous peuvent dépasser six mois, et les hospitalisations sont de plus en plus rares, faute de lits disponibles.

Le centre hospitalier de Laval, principal établissement du département, peine à maintenir une offre de soins adaptée. Les unités de pédopsychiatrie fonctionnent en sous-effectif, avec des équipes surchargées. On ne parle plus de prévention, mais de gestion des urgences , confie Élodie Rousset, infirmière en psychiatrie depuis quinze ans. Les enfants arrivent en crise, parfois après des tentatives de suicide, et on doit faire avec des moyens insuffisants.

Les conséquences se font sentir dans les écoles, les familles et les services sociaux. Les enseignants signalent une hausse des troubles du comportement, de l’anxiété et des troubles alimentaires chez les élèves. Pourtant, les structures d’accompagnement sont débordées. On nous demande d’être des premiers aidants, mais on n’a pas la formation ni le temps pour ça , regrette Antoine Favier, professeur de français dans un collège de Château-Gontier.

Pourquoi la pédopsychiatrie est-elle particulièrement touchée ?

La pédopsychiatrie, branche de la psychiatrie dédiée aux enfants et aux adolescents, est l’un des secteurs les plus fragiles. En Mayenne, comme ailleurs, elle souffre d’un double handicap : un manque de praticiens formés et une faible attractivité des postes en milieu rural. De jeunes psychiatres préfèrent s’installer en ville, là où les réseaux de soins sont plus denses et où la charge de travail est mieux répartie , explique le Dr Claire Ménard, psychiatre à Rennes, qui suit quelques patients mayennais par téléconsultation.

Le problème est aussi structurel. Les financements publics pour la santé mentale restent insuffisants, et les politiques de prévention sont souvent sous-évaluées. Or, les troubles du comportement chez les jeunes ne se déclarent pas du jour au lendemain. Ils résultent de facteurs complexes : isolement familial, précarité, harcèlement scolaire, usage précoce des écrans, etc. Sans accompagnement précoce, ces signaux faibles deviennent des crises majeures.

Le témoignage de Solène et son fils Lucas, 14 ans, est éloquent. Il a commencé à refuser d’aller en cours à la fin de l’année de cinquième. On a vu le médecin traitant, qui nous a orientés vers un psychologue scolaire. Mais il n’avait qu’une demi-journée par mois dans l’établissement. Ensuite, on nous a envoyés à Laval, mais la liste d’attente était de huit mois. Entre-temps, Lucas s’est automutilé. On a fini par le faire hospitaliser à Rennes, à 100 km de chez nous.

Quelles sont les conséquences pour les familles ?

Les familles se retrouvent souvent seules face à la souffrance de leurs enfants. Elles doivent jongler entre les rendez-vous, les déplacements, les démarches administratives et la gestion du quotidien. Le sentiment d’abandon est fréquent. On se sent coupables, comme si on avait mal élevé notre enfant , confie Solène. Mais en même temps, on sait qu’il a besoin d’aide. Le plus dur, c’est d’attendre.

Le manque de coordination entre les différents acteurs – médecins, écoles, services sociaux, hôpitaux – aggrave la situation. Chaque fois, on doit tout recommencer : raconter l’histoire, remplir des formulaires, convaincre qu’on n’est pas des parents négligents , raconte Julien Lemoine, père d’une adolescente diagnostiquée avec un trouble anxieux sévère.

Les conséquences financières et psychologiques sont lourdes. Certaines familles doivent s’endetter pour payer des consultations privées, d’autres doivent renoncer à travailler pour accompagner leur enfant. Le risque de rupture familiale est réel, surtout dans les milieux précaires.

Quelles solutions sont envisageables ?

Face à cette crise, plusieurs pistes sont explorées. La première concerne le renforcement des équipes de soins. Le recrutement de psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux en pédopsychiatrie est une priorité. Des incitations financières, des logements de fonction ou des parcours de formation spécifiques pourraient aider à attirer des professionnels en Mayenne.

La mutualisation des ressources entre départements voisins est également une piste. Des réseaux de soins interrégionaux, comme ceux mis en place dans l’Ouest, permettent de mutualiser les compétences et d’assurer une continuité des soins. Le télépsychiatrie, bien que limitée pour les jeunes enfants, peut jouer un rôle important pour les adolescents et les familles éloignées des centres urbains.

La prévention est un autre levier essentiel. Des campagnes d’information dans les écoles, des formations pour les enseignants et les personnels éducatifs, des espaces d’écoute jeunesse en milieu scolaire ou associatif : autant de mesures qui permettent d’agir en amont. Il faut sortir de la logique de la crise , insiste Jean-Bernard Brière. La santé mentale, c’est comme la santé physique : elle se préserve.

Des initiatives locales existent déjà. À Laval, une association propose des ateliers d’expression artistique pour adolescents en difficulté. À Mayenne ville, un dispositif pilote de maison des adolescents a vu le jour, offrant un espace d’écoute pluridisciplinaire. Mais ces projets restent fragiles, dépendants de subventions ponctuelles et de la bonne volonté des acteurs.

Comment les professionnels du secteur perçoivent-ils cette situation ?

Les soignants, eux aussi, sont affectés par cette dégradation des conditions de travail. On fait notre possible, mais on se sent impuissants , confie Élodie Rousset. On voit des enfants souffrir, et on ne peut pas les aider parce qu’il n’y a pas de place, pas de temps, pas de moyens.

Le turnover est élevé, et le risque de burn-out très présent. On a perdu trois psychiatres en deux ans , indique un cadre du CH de Laval, qui préfère garder l’anonymat. Les remplaçants sont difficiles à trouver, et les jeunes recrutés partent souvent au bout de quelques mois.

Pourtant, la motivation reste forte. Ce métier, on le fait parce qu’on y croit , affirme le Dr Claire Ménard. Mais il faut que les pouvoirs publics prennent la mesure de l’urgence. Sinon, on va vers une catastrophe sanitaire.

Quel rôle peuvent jouer les associations comme l’Unafam ?

L’Unafam 53 joue un rôle crucial d’accompagnement, de relais et de porte-voix. Depuis des années, l’association forme les familles, organise des groupes de parole, et milite pour une meilleure prise en charge. On n’est pas des soignants, mais on connaît la souffrance , dit Jean-Bernard Brière. On peut écouter, orienter, et surtout, rappeler aux institutions que derrière chaque dossier, il y a une personne.

Les groupes de parole, en particulier, sont souvent décrits comme des espaces de réconfort. Entendre d’autres parents vivre la même chose, ça fait du bien , témoigne Julien Lemoine. On ne se sent plus seul.

L’association milite aussi pour une meilleure reconnaissance des troubles psychiques dans l’espace public. Il faut sortir de la honte, de la stigmatisation , insiste Brière. Un enfant qui souffre psychiquement a autant besoin d’aide qu’un enfant malade physiquement.

Quelle est la réponse des pouvoirs publics ?

À ce jour, la réponse des autorités sanitaires reste insuffisante. Bien que des plans nationaux pour la santé mentale aient été lancés, leur mise en œuvre sur le terrain est inégale. En Mayenne, les annonces restent souvent vagues, les moyens limités. On nous parle de transformation du système, mais concrètement, rien ne change , déplore Jean-Bernard Brière.

Le Conseil territorial de santé a reçu ses alertes, mais les décisions tardent. Il faut du temps pour monter des projets, mobiliser les financements , reconnaît un représentant de l’Agence régionale de santé (ARS). Mais on est conscient de l’urgence. Des recrutements sont en cours, et des partenariats avec des centres spécialisés sont en discussion.

Reste que le temps presse. Chaque mois de retard coûte cher aux jeunes en souffrance. On ne peut pas attendre que les choses empirent pour agir , conclut Brière. La santé mentale des enfants, c’est l’avenir du département.

Conclusion

Le déclin de la psychiatrie en Mayenne est un phénomène profond, qui touche au cœur du système de santé. Il met en lumière des failles structurelles, des inégalités territoriales criantes, et une urgence sociale que les institutions peinent à saisir. Pourtant, des solutions existent. Elles passent par un engagement fort des pouvoirs publics, une meilleure coordination des acteurs, et une reconnaissance pleine et entière de la souffrance psychique des jeunes. Les témoignages de familles, de soignants et d’acteurs associatifs montrent qu’il est encore temps d’agir. Mais cela suppose une volonté politique claire, des moyens réels, et une attention soutenue portée à ceux qui, aujourd’hui, crient dans le silence.

FAQ

Qu’est-ce que l’Unafam ?

L’Unafam (Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) est une association qui accompagne les familles confrontées aux troubles psychiques d’un proche. Elle propose des groupes de parole, des formations, et mène des actions de sensibilisation et de défense des droits.

Combien de temps attend-on en moyenne pour une consultation de pédopsychiatrie en Mayenne ?

Les délais varient selon les secteurs, mais ils peuvent atteindre six à huit mois pour un premier rendez-vous en secteur public. Certains patients se tournent alors vers le privé, où les coûts sont plus élevés.

Qu’est-ce que la télépsychiatrie ?

La télépsychiatrie consiste à assurer des consultations à distance, via visioconférence. Elle est particulièrement utile en zone rurale, mais elle ne peut pas remplacer tous les types de prise en charge, notamment pour les jeunes enfants ou les situations de crise.

Quels sont les signes d’un trouble du comportement chez l’enfant ou l’adolescent ?

Les signes peuvent inclure des changements d’humeur importants, des troubles du sommeil ou de l’alimentation, des difficultés scolaires, des retraits sociaux, des comportements auto-agressifs ou des idées suicidaires. Toute modification durable du comportement mérite une attention.

Comment obtenir de l’aide en cas de crise psychologique ?

En cas de crise, il est possible de contacter le 3114 (numéro national de prévention du suicide), de se rendre aux urgences, ou de solliciter un professionnel de santé. Des espaces d’écoute jeunesse et des associations locales peuvent aussi orienter.

A retenir

Quel est le message principal à retenir ?

La psychiatrie en Mayenne est en crise, notamment en ce qui concerne les enfants et adolescents. Le manque de professionnels, les délais d’attente et l’isolement des familles aggravent une situation déjà fragile. Des solutions existent, mais elles nécessitent une mobilisation urgente des pouvoirs publics et une reconnaissance accrue de la santé mentale comme priorité de santé publique.