À partir d’octobre 2025, une nouvelle réglementation entrera en vigueur en France, imposant à toutes les enseignes commerciales de réduire ou d’éteindre leurs éclairages publicitaires entre minuit et six heures du matin. Cette mesure, qui s’inscrit dans une politique nationale de lutte contre la pollution lumineuse, vise à préserver l’environnement, économiser l’énergie et protéger la biodiversité nocturne. Si elle suscite des inquiétudes chez certains commerçants, elle ouvre également des perspectives inattendues, tant sur le plan économique qu’écologique. À travers des témoignages, des analyses sectorielles et des retours d’expériences anticipées, cet article explore les multiples facettes de cette transition.
Quelle est l’origine de cette réglementation nocturne ?
La décision de réguler l’éclairage publicitaire la nuit découle d’une prise de conscience progressive des effets néfastes de la lumière artificielle en excès. Depuis plusieurs années, des études scientifiques mettent en évidence l’impact de la pollution lumineuse sur les rythmes biologiques des êtres vivants, y compris les humains. En milieu urbain, les ciels constamment éclairés empêchent la visibilité des étoiles, mais surtout perturbent les cycles naturels des animaux nocturnes : chauves-souris, insectes, oiseaux migrateurs. Des travaux menés par l’Observatoire de la pollution lumineuse ont montré que certaines espèces fuient les zones trop éclairées, rompant ainsi les chaînes alimentaires.
Par ailleurs, la surconsommation d’électricité liée à l’éclairage extérieur représente un poste non négligeable dans le bilan énergétique national. Selon l’Agence de la transition écologique, près de 2 % de l’électricité consommée en France serait utilisée pour des éclairages inutiles la nuit. La nouvelle loi vise donc à corriger ce gaspillage, en alignant les pratiques commerciales sur les objectifs de sobriété énergétique fixés dans le cadre de la loi Climat et résilience.
Comment les commerçants perçoivent-ils cette obligation ?
Les réactions dans le monde du commerce sont contrastées. Certains propriétaires d’enseignes, notamment dans les zones périphériques ou les quartiers sensibles, redoutent une baisse de la fréquentation nocturne. L’éclairage publicitaire est souvent perçu comme un signal de sécurité et d’activité économique. « Quand tout s’éteint, on a l’impression que la ville dort, et les clients hésitent à s’y aventurer », confie Camille Lefèvre, gérante d’un café-librairie à Bordeaux. Son établissement, ouvert jusqu’à 1h du matin les vendredis et samedis, attire une clientèle jeune sensible à l’ambiance. Elle craint que l’obscurité ne nuise à cette attractivité.
En revanche, d’autres entrepreneurs adoptent une vision plus pragmatique. Étienne Rouvier, qui dirige une chaîne de supérettes indépendantes à Marseille, a déjà testé une extinction partielle de ses enseignes pendant un mois d’essai. « On a constaté une baisse de 18 % sur nos factures d’électricité, sans impact notable sur les ventes. Les clients de nuit, ce sont souvent les mêmes, ils savent où on est. La lumière n’est pas le seul facteur », analyse-t-il. Pour lui, la réglementation tombe à point nommé : elle l’oblige à repenser son modèle, tout en lui offrant des marges de gain.
Quels sont les secteurs les plus touchés ?
Les commerces situés en zones périurbaines ou sur des axes routiers fréquentés la nuit sont les plus directement concernés. Les stations-service, les fast-foods, les hôtels et les pharmacies de garde dépendent fortement de leur visibilité nocturne. Cependant, des solutions techniques existent : affichages dynamiques programmés, panneaux rétroéclairés à faible consommation, ou encore signalétique non lumineuse mais bien positionnée.
À Toulouse, Amina Belkacem, responsable d’un drive de restauration rapide, a investi dans un système d’éclairage intelligent. « Nos enseignes s’éteignent à minuit, mais un petit halo reste allumé pour indiquer la présence du point de retrait. On a aussi mis en place un QR code scannable depuis la voiture, qui active un signal lumineux temporaire. Les clients apprécient, c’est moderne et économe », explique-t-elle.
Quels bénéfices environnementaux attendus ?
Les retombées écologiques de cette mesure pourraient être significatives. La pollution lumineuse est reconnue comme un facteur de désorientation pour de nombreuses espèces. À Lyon, des biologistes de l’université Claude Bernard ont suivi les déplacements de chauves-souris insectivores dans plusieurs quartiers. Leurs relevés montrent que, même à l’intérieur des villes, les zones moins éclairées voient une activité nocturne accrue des espèces sauvages. « Éteindre les enseignes, c’est redonner du territoire aux animaux. Ce n’est pas un détail », souligne le docteur Julien Mercier, écologue spécialisé en urbanisme durable.
En parallèle, la réduction de la consommation d’électricité aura un effet direct sur les émissions de gaz à effet de serre. Si chaque enseigne économise en moyenne 500 kWh par an, le cumul national pourrait représenter plusieurs dizaines de milliers de tonnes de CO2 évitées. Un gain modeste à l’échelle globale, mais symboliquement fort : il montre que des mesures simples, appliquées massivement, peuvent contribuer à la transition écologique.
La biodiversité urbaine peut-elle vraiment en profiter ?
Oui, selon les experts. Les insectes, particulièrement sensibles à la lumière, sont désorientés par les néons et les panneaux lumineux. Leur disparition affecte toute la chaîne alimentaire : oiseaux, amphibiens, chauves-souris. En limitant l’éclairage, on permet à ces populations de se rétablir localement. À Nantes, un projet pilote a été mené dans un parc périphérique : les lampadaires et enseignes alentour ont été éteints après minuit pendant six mois. Résultat : une augmentation de 35 % des espèces d’insectes nocturnes observés, et un retour de hulottes dans les arbres voisins.
« Ce n’est pas une révolution, mais une réhabilitation du cycle naturel. La nuit doit redevenir la nuit », affirme Élodie Vasseur, naturaliste et coordinatrice du projet. Elle espère que cette réglementation servira de tremplin à d’autres initiatives, comme l’adoption de lampadaires orientés vers le sol ou l’utilisation de lumières à spectre réduit, moins intrusives pour la faune.
Quels impacts économiques pour les commerces ?
Le coût de l’adaptation varie selon la taille des enseignes. Les petites structures devront parfois investir dans de nouveaux systèmes de programmation ou de gestion énergétique. Cependant, les aides locales et les crédits d’impôt pour la transition écologique peuvent couvrir une partie de ces dépenses. À Rennes, la mairie a lancé un appel à projets pour accompagner les commerçants dans cette mutation, avec des subventions pouvant atteindre 30 % du coût des équipements.
Pour certains, l’opportunité dépasse les seules économies d’électricité. Léa Nguyen, fondatrice d’une boutique de cosmétiques bio à Montpellier, voit dans cette mesure une chance de renforcer son image de marque. « Nos clients sont sensibles à l’écologie. Le fait d’afficher que nous éteignons nos lumières la nuit, c’est un engagement visible. C’est du marketing durable, authentique. » Elle envisage même de communiquer sur son « heure sombre », en invitant ses clients à participer à des soirées « sans lumière », avec lectures à la bougie ou ateliers de pleine conscience.
Les grandes enseignes s’adaptent-elles déjà ?
Plusieurs chaînes nationales anticipent la réglementation. Carrefour, Decathlon ou encore Boulanger ont annoncé des plans de sobriété énergétique incluant l’extinction programmée des enseignes. Certaines ont même dépassé la demande : extinction totale après 22h dans certaines villes, ou utilisation exclusive de LED basse consommation. Pour ces groupes, l’enjeu n’est pas seulement légal, mais aussi sociétal. « Nos clients nous demandent d’agir. Cette mesure s’inscrit dans une logique globale de responsabilité », déclare Mathieu Cottin, directeur du développement durable d’un grand distributeur.
Quels défis restent à surmonter ?
La mise en œuvre de la loi soulève des questions pratiques. Comment contrôler le respect de l’obligation ? Qui sanctionne les contrevenants ? Les municipalités, chargées de l’application, redoutent une charge administrative supplémentaire. À Strasbourg, le service des espaces publics a prévu de déployer des drones équipés de capteurs lumineux pour cartographier les zones non conformes. D’autres villes, comme Dijon, misent sur la médiation : des agents de proximité dialoguent avec les commerçants pour les accompagner dans la transition.
Un autre défi concerne les zones rurales ou isolées, où l’éclairage public est rare, et où les enseignes commerciales constituent parfois le seul repère visible. Dans ces cas, une adaptation plus souple pourrait être envisagée, avec des dérogations temporaires ou des seuils d’intensité plutôt qu’une extinction totale.
Quel rôle les citoyens peuvent-ils jouer ?
La réussite de cette mesure dépend aussi de l’adhésion du public. Les consommateurs peuvent encourager les commerçants à adopter ces pratiques en valorisant les démarches écologiques. Des initiatives citoyennes ont déjà vu le jour : à Grenoble, un collectif a lancé un label « Nuit respectueuse », attribué aux commerces qui éteignent leurs lumières après minuit et participent à des actions de sensibilisation.
« C’est une affaire de culture urbaine », estime Thomas Gerbaud, urbaniste et enseignant à l’école d’architecture de Lille. « On a longtemps cru que plus c’était lumineux, plus c’était vivant. Il faut inverser cette logique. La ville peut être sûre, accueillante, sans être aveuglante. »
A retenir
Quand cette réglementation entre-t-elle en vigueur ?
La nouvelle obligation concernant l’éclairage publicitaire des commerces s’appliquera à partir d’octobre 2025. Elle imposera l’extinction ou la réduction significative des enseignes lumineuses entre minuit et six heures du matin sur tout le territoire français.
Quels types d’éclairages sont concernés ?
Tous les dispositifs d’éclairage publicitaire fixes ou mobiles, visibles depuis l’espace public, sont soumis à la réglementation. Cela inclut les néons, les panneaux lumineux, les enseignes LED et les dispositifs d’éclairage dynamique. Les exceptions pourraient être prévues pour certaines activités essentielles, comme les pharmacies ou les services d’urgence, sous conditions.
Les commerçants seront-ils sanctionnés en cas de non-respect ?
Oui, les contrevenants pourraient faire l’objet d’amendes, dont le montant sera défini par les autorités locales. Le contrôle sera assuré par les municipalités, éventuellement aidées par des outils technologiques ou des agents de proximité.
Y a-t-il des aides pour s’adapter ?
Des dispositifs d’aide existent ou sont en cours de déploiement. Certaines villes proposent des subventions pour la modernisation des systèmes d’éclairage. Par ailleurs, des crédits d’impôt pour la transition énergétique peuvent s’appliquer aux investissements réalisés dans des équipements sobres et programmables.
Est-ce que cette mesure concerne aussi l’éclairage intérieur ?
Non, la réglementation porte uniquement sur les éclairages extérieurs visibles depuis l’espace public. Les lumières à l’intérieur des magasins ne sont pas visées, sauf si elles contribuent à une pollution lumineuse indirecte (comme des vitrines très éclairées).
Conclusion
La réglementation de l’éclairage publicitaire nocturne marque un tournant dans la manière dont les villes françaises conçoivent leur rapport à la lumière. Ce n’est pas seulement une contrainte administrative, mais une invitation à repenser l’urbanisme, la consommation d’énergie et la cohabitation avec la nature. Si les ajustements seront nécessaires, les témoignages des premiers acteurs montrent que l’adaptation est possible, voire bénéfique. Entre économies d’énergie, préservation de la biodiversité et reconquête du ciel étoilé, cette mesure incarne une écologie concrète, à portée de tous. Comme le dit Étienne Rouvier, « parfois, éteindre, c’est allumer autre chose ».