La rentrée scolaire est souvent synonyme de changements, mais pour Eliot Doll, adolescent de 16 ans originaire de Plouzané, cette transition marque bien plus qu’un simple passage en classe supérieure. Elle incarne une étape cruciale dans son parcours d’élève en situation de handicap, confronté à des enjeux d’accessibilité, d’inclusion et d’autonomie. Alors que le lycée Amiral-Ronarc’h, à Brest, s’apprête à vivre une transformation majeure avec d’importants travaux d’accessibilité, Eliot entame sa scolarité dans un établissement encore imparfaitement adapté à ses besoins. Son histoire, celle d’un jeune homme déterminé malgré les obstacles, illustre les défis auxquels sont confrontés de nombreux élèves en situation de handicap dans l’enseignement secondaire français.
Quel est le parcours d’Eliot Doll avant son entrée au lycée ?
Eliot Doll a grandi à Plouzané, une commune paisible du Finistère, où il a suivi une scolarité ordinaire tout en bénéficiant d’un accompagnement médical et éducatif intensif. Diagnostiqué avec une paralysie cérébrale, il présente une faiblesse musculaire notable au niveau du dos, ce qui limite sa mobilité et nécessite un soutien constant. Dès le collège, il a été pris en charge par un Sessad — Service d’éducation spéciale et de soins à domicile — structure essentielle dans le parcours des jeunes en situation de handicap. Ce dispositif, composé d’une équipe pluridisciplinaire, lui a permis de rester intégré dans un cadre scolaire ordinaire, tout en recevant des soins adaptés à ses besoins spécifiques.
Le Sessad intervenait régulièrement dans son établissement : kinésithérapeute pour renforcer sa posture, psychologue pour accompagner son bien-être émotionnel, ergothérapeute pour adapter son environnement de travail, et médecin de rééducation pour suivre l’évolution de sa condition. Ce dispositif a été un pilier dans la réussite scolaire d’Eliot, qui a toujours tenu à être considéré comme un élève à part entière, et non comme un cas particulier. Ce que je voulais, c’était apprendre, participer, avoir des amis, comme tout le monde , confie-t-il, assis dans la salle d’étude du lycée, entouré de ses affaires soigneusement organisées.
Pourquoi l’entrée au lycée représente-t-elle un défi majeur ?
Le passage du collège au lycée marque souvent une rupture dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap. Contrairement au collège, où les aides sont généralement bien intégrées, le lycée peut révéler des lacunes structurelles importantes. Pour Eliot, ce changement s’est traduit par une perte d’accompagnement direct. Son Sessad, actif jusqu’alors, ne suit pas automatiquement les élèves au-delà de la troisième. À la place, c’est désormais la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) qui doit évaluer ses besoins et mettre en place un Projet personnalisé de scolarisation (PPS).
On nous dit : “Vous êtes au lycée, maintenant, vous devez devenir plus autonome.” Mais quand on a besoin d’aide pour monter un escalier, pour s’asseoir correctement, ou même pour prendre des notes, l’autonomie, c’est un mot un peu vide , souligne Eliot avec une pointe d’ironie. Son père, Guillaume Doll, ajoute : On a l’impression que, d’un seul coup, le système vous lâche. On passe d’un accompagnement quotidien à des rendez-vous trimestriels. C’est comme si on nous demandait de sauter du haut d’un immeuble en nous disant : “Vous allez apprendre à voler en chemin.”
Quelles sont les difficultés d’accessibilité au lycée Amiral-Ronarc’h ?
Le lycée Amiral-Ronarc’h, malgré ses efforts, n’est pas encore entièrement accessible. Les bâtiments anciens, construits avant l’entrée en vigueur des normes d’accessibilité renforcées, posent de nombreux problèmes. Les escaliers, les salles de classe dispersées sur plusieurs niveaux, l’absence d’ascenseurs dans certaines ailes, et des toilettes inadaptées rendent la circulation d’Eliot compliquée. Certaines journées, je passe plus de temps à me déplacer qu’à apprendre , confie-t-il. Il m’arrive de rater le début des cours parce que je dois attendre un agent d’entretien pour m’aider à monter les marches.
Sophie Lemoal, enseignante de français et référente handicap du lycée, reconnaît les limites actuelles : Nous faisons de notre mieux, mais l’infrastructure ne suit pas. Nous avons demandé un plan d’accessibilité depuis des années. Heureusement, des travaux sont enfin programmés. Ces travaux, financés en partie par la région Bretagne, devraient permettre l’installation d’ascenseurs, la création de rampes, et l’aménagement de salles de classe et de sanitaires adaptés. Mais leur mise en œuvre prend du temps, et Eliot ne pourra en bénéficier qu’en cours d’année, voire l’année suivante.
Comment l’équipe éducative accompagne-t-elle Eliot ?
Malgré les contraintes, l’équipe du lycée fait preuve d’une grande implication. Une auxiliaire de vie scolaire (AVS) a été attribuée à Eliot, mais son temps d’intervention est limité à 18 heures par semaine, alors que ses besoins sont quotidiens et parfois imprévisibles. Quand il y a une sortie pédagogique, un changement d’emploi du temps, ou un contrôle surprise, on doit tout réajuster , explique Camille Rivoalen, l’AVS d’Eliot. Mon rôle, c’est de l’aider à se déplacer, à prendre des notes, parfois même à porter ses livres. Mais je ne suis pas kiné, ni psychologue.
Les professeurs, quant à eux, s’adaptent au cas par cas. Le professeur de sciences, Julien Kerdoncuff, a reconfiguré son laboratoire pour permettre à Eliot d’accéder à la paillasse expérimentale. On a baissé la hauteur d’un poste, installé un siège ergonomique. Ce n’était pas grand-chose à faire, mais ça change tout pour lui , précise-t-il. L’inclusion, ce n’est pas juste une question de matériel. C’est une volonté collective.
Quelles solutions sont envisagées pour améliorer la scolarisation des élèves en situation de handicap ?
Le cas d’Eliot n’est pas isolé. Selon la MDPH du Finistère, près de 2 500 jeunes en situation de handicap sont scolarisés dans des établissements ordinaires, dont un tiers rencontrent des difficultés d’accessibilité ou d’accompagnement. Pour y répondre, plusieurs pistes sont explorées. La première : renforcer la coordination entre les Sessad, les MDPH et les établissements scolaires, afin d’assurer une continuité de l’accompagnement. La seconde : accélérer la mise aux normes des lycées, notamment dans les zones rurales ou périurbaines où les infrastructures sont souvent obsolètes.
À Brest, un groupe de travail réunissant enseignants, élus, parents et représentants d’associations a été mis en place. L’un de ses membres, Amandine Le Goff, coordinatrice du réseau École inclusive, insiste sur l’importance de la formation des personnels : Beaucoup d’enseignants veulent aider, mais ils ne savent pas comment. Il faut leur donner des outils, des repères, et surtout du temps. Un dispositif de mentorat entre lycées accessibles et lycées en difficulté est également en cours de test, avec des échanges de bonnes pratiques et des visites d’étude.
Quel est l’impact psychologique de ces défis sur les élèves ?
Au-delà des contraintes matérielles, c’est souvent l’impact psychologique qui est le plus difficile à gérer. Eliot, malgré sa détermination, reconnaît avoir parfois le sentiment d’être un fardeau. Je vois bien les regards, les soupirs quand je ralentis le groupe dans les couloirs. Je sens que je dérange. Ce sentiment est partagé par d’autres élèves, comme Manon Kerjean, 17 ans, atteinte d’un handicap visuel, qui étudie dans un lycée voisin. On me dit “tu es courageuse”, mais ce que je veux, c’est qu’on me traite normalement. Pas comme une héroïne, juste comme une élève.
Le soutien psychologique est donc crucial. À Plouzané, Eliot continue de consulter un psychologue du Sessad, même s’il n’est plus officiellement rattaché au service. Ce suivi, c’est ma bouée , dit-il. Il m’aide à ne pas m’effondrer quand tout semble trop lourd.
Quelles sont les perspectives d’avenir pour Eliot ?
Malgré les obstacles, Eliot ne renonce pas à ses rêves. Passionné d’histoire et de cinéma, il envisage de poursuivre des études en audiovisuel. Je sais que ce ne sera pas facile. Mais j’ai déjà surmonté beaucoup de choses , affirme-t-il avec un sourire calme. Son projet ? Réaliser un documentaire sur la scolarisation des jeunes en situation de handicap, à partir de témoignages comme le sien. Il y a trop de silence autour de ces sujets. Il faut que les gens entendent nos voix.
Le lycée Amiral-Ronarc’h, conscient de son rôle dans cette transformation, souhaite devenir un exemple d’inclusion. Nous ne voulons pas juste être accessibles, mais accueillants , déclare la proviseure, Élise Le Fur. Chaque élève doit se sentir chez lui ici.
A retenir
Qu’est-ce qu’un Sessad et quel est son rôle ?
Un Sessad (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile) est une structure médico-sociale qui accompagne les enfants et adolescents en situation de handicap dans leur milieu ordinaire. Composé de professionnels de santé et d’éducation, il propose un accompagnement pluridisciplinaire visant à maintenir l’élève dans un cadre scolaire classique tout en répondant à ses besoins spécifiques.
Pourquoi le passage au lycée est-il difficile pour certains élèves handicapés ?
Le passage au lycée peut entraîner une rupture dans l’accompagnement, car les Sessad ne suivent généralement pas les élèves au-delà du collège. En outre, de nombreux lycées ne sont pas encore accessibles, et les aides humaines ou techniques peuvent être insuffisantes, ce qui compromet l’autonomie et la continuité de la scolarité.
Quels aménagements sont nécessaires pour une scolarisation inclusive ?
Une scolarisation inclusive exige à la fois des aménagements matériels (ascenseurs, rampes, salles adaptées) et humains (AVS formés, coordination entre les acteurs). Elle repose aussi sur une volonté politique et éducative de considérer chaque élève comme ayant sa place dans l’établissement, sans distinction.
Quel est l’impact de l’inclusion sur la réussite scolaire et personnelle ?
L’inclusion réussie favorise l’estime de soi, l’autonomie et la motivation des élèves en situation de handicap. Elle enrichit également le climat scolaire pour tous, en promouvant la diversité, l’empathie et le vivre-ensemble. Des études montrent que les élèves inclus ont des taux de réussite comparables à ceux de leurs pairs, à condition que les soutiens soient adaptés et stables.