En 2024, une révélation glaçante a ébranlé le monde médical breton : des centaines de patients, dont une majorité d’enfants, ont été surexposés aux rayonnements ionisants lors d’examens radiologiques au centre hospitalier de Saint-Brieuc. Ce scandale, longtemps resté invisible, a éclaté au grand jour quand des familles ont commencé à recevoir des courriers alarmants. Parmi elles, Marion Salaün, dont le fils a subi plusieurs examens critiques entre 2017 et 2024. Ce cas, loin d’être isolé, met en lumière une faille profonde dans la surveillance des équipements médicaux et dans la prise en charge des risques liés aux rayonnements. Derrière les chiffres — 667 patients touchés, dont 451 mineurs — se cachent des vies bouleversées, des angoisses silencieuses, et un système qui, malgré les alertes, a mis des années à réagir.
Qu’est-ce que la surexposition aux rayons X et pourquoi est-elle dangereuse ?
Les rayons X sont une forme de rayonnement ionisant utilisée couramment en imagerie médicale pour visualiser les structures internes du corps. Bien maîtrisés, ils sont essentiels au diagnostic. Toutefois, une exposition excessive peut endommager l’ADN des cellules, augmentant à long terme le risque de développer des cancers, notamment chez les enfants, dont les tissus sont plus sensibles et en pleine croissance. La cystographie, examen au cœur de l’affaire de Saint-Brieuc, consiste à injecter un produit de contraste dans la vessie pour évaluer le système urinaire. Elle implique une irradiation ciblée, mais prolongée, surtout lorsqu’elle est répétée.
Les effets à long terme sont-ils prouvés ?
Les conséquences d’une surexposition ne sont pas immédiates. Elles peuvent se manifester des années, voire des décennies plus tard. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), chaque dose de rayonnement augmente légèrement le risque de cancer, de manière cumulative. Pour les enfants, ce risque est multiplié par trois à cinq par rapport aux adultes, selon les études épidémiologiques. C’est cette vulnérabilité qui rend l’affaire de Saint-Brieuc particulièrement inquiétante.
Quel est le seuil de sécurité pour les patients ?
Les normes fixent des limites strictes d’exposition, calculées en millisieverts (mSv). Un examen standard de cystographie ne devrait pas dépasser 1 à 3 mSv. Or, dans certains cas à Saint-Brieuc, les doses mesurées ont atteint des niveaux bien supérieurs, selon les premières expertises. Le problème, selon les experts, ne vient pas seulement de la dose ponctuelle, mais de la répétition des examens sur une même machine défaillante, sans que les protocoles de contrôle ne détectent l’anomalie.
Comment des erreurs de ce type ont-elles pu se produire pendant douze ans ?
La durée du dysfonctionnement — douze ans, entre 2012 et 2024 — est l’un des aspects les plus troublants de cette affaire. Elle soulève des questions sur la fiabilité des contrôles techniques, la formation du personnel, et la culture de la sécurité dans les établissements de santé. Selon une source interne du CH de Saint-Brieuc, qui a requis l’anonymat, des alertes internes ont été émises dès 2018, mais elles n’ont pas été remontées aux instances de supervision . Une défaillance systémique, donc, plutôt qu’un simple accident technique.
La machine était-elle défectueuse ou mal utilisée ?
Les premières analyses pointent vers une combinaison des deux. L’appareil concerné, un équipement de fluoroscopie utilisé pour les cystographies, aurait présenté un défaut de calibration, entraînant une émission de rayons plus intense que prévu. Mais les opérateurs, souvent des techniciens non spécialisés en radioprotection, n’auraient pas été suffisamment formés pour détecter ces écarts. On nous a appris à faire l’examen, pas à surveiller les doses , confie un ancien technicien du service, qui a travaillé sur cette machine entre 2015 et 2020.
Pourquoi les patients n’ont-ils pas été informés plus tôt ?
Le silence des autorités sanitaires pendant des années est un des points noirs de l’affaire. En théorie, les centres hospitaliers doivent alerter les patients en cas de dépassement de dose. Pourtant, aucune alerte n’a été lancée avant 2024. Ce retard, selon le syndicat SUD Santé, s’explique par une culture du secret, une peur de l’image, et une absence de transparence institutionnelle . Ce n’est qu’après une inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) que le dossier a été ouvert.
Quel impact psychologique sur les familles touchées ?
Apprendre qu’un enfant a été exposé à des radiations excessives, parfois à plusieurs reprises, provoque un choc profond. Pour Marion Salaün, le courrier reçu en septembre 2024 a été un déclencheur d’angoisse. J’ai tout de suite pensé au cancer. J’ai revu chaque examen, chaque anesthésie, chaque fois où il est sorti de la salle en pleurant. Et je me suis demandé : est-ce que tout ça était nécessaire ? Est-ce que quelqu’un savait ? Son fils, aujourd’hui âgé de 11 ans, est suivi régulièrement pour une maladie rénale chronique. Il a subi au moins dix cystographies sur la machine défectueuse.
Les parents se sentent-ils trahis par l’institution médicale ?
La réponse est quasi unanime : oui. Jeanne Lefebvre, mère d’un garçon de 8 ans également concerné, exprime une colère froide : On fait confiance aux médecins, on signe les consentements, on croit que tout est sous contrôle. Et là, on découvre qu’un appareil nous irradiait sans qu’on le sache. Pendant des années. Elle a lancé une pétition pour exiger une commission d’enquête parlementaire, soutenue par plusieurs dizaines de familles.
Y a-t-il des cas de maladies déjà observés ?
Pour l’heure, aucune étude épidémiologique n’a établi de lien direct entre les surexpositions et des cas de cancer ou autres pathologies. Mais les médecins insistent sur la nécessité d’un suivi à long terme. Le CH de Saint-Brieuc a mis en place un dispositif de surveillance, en partenariat avec l’Institut Gustave Roussy, pour proposer des consultations spécialisées aux patients touchés. On ne peut pas prédire l’avenir, mais on doit tout faire pour minimiser les risques , explique le Dr Élise Berthier, spécialiste en radioprotection.
Quelles sont les responsabilités en jeu ?
La chaîne des responsabilités est complexe. Elle implique le personnel technique, les responsables du service d’imagerie, la direction de l’hôpital, mais aussi les autorités de contrôle. L’ASN a reconnu que les visites de routine n’avaient pas permis de détecter l’anomalie, en raison d’un protocole insuffisant. Quant à la direction du CH, elle affirme avoir agi dès qu’elle a été informée, mais reconnaît un défaut de vigilance collective .
Des sanctions sont-elles à prévoir ?
Une enquête administrative est en cours, menée par l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne. Elle pourrait aboutir à des mesures disciplinaires, voire à des poursuites pénales si une faute caractérisée est avérée. Par ailleurs, plusieurs familles ont engagé des recours devant la Commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (Ciam), qui pourrait reconnaître un dommage anormal de l’acte médical et ouvrir droit à une indemnisation.
Les fabricants d’équipements sont-ils concernés ?
L’appareil incriminé est fabriqué par une entreprise européenne, dont le nom n’a pas été rendu public. Une expertise technique est en cours pour déterminer si le défaut relève d’un vice de conception, d’un problème d’entretien, ou d’une mauvaise utilisation. Si un vice de fabrication est établi, des recours contre le constructeur pourraient être envisagés.
Comment éviter que cela ne se reproduise ?
Cette affaire a relancé le débat sur la modernisation des systèmes de surveillance des équipements médicaux. En France, la réglementation impose des contrôles annuels, mais ceux-ci ne sont pas toujours effectués avec des outils assez sensibles pour détecter des écarts subtils. Des experts appellent à l’instauration de dosimètres en temps réel, capables de mesurer précisément la dose reçue par chaque patient, comme cela existe déjà dans certains hôpitaux suisses ou allemands.
Faut-il repenser la formation des techniciens ?
Oui, selon plusieurs syndicats de radiologues. Les techniciens sont en première ligne, mais ils manquent souvent de formation en radioprotection , souligne Lucien Moreau, représentant du syndicat des manipulateurs en électroradiologie médicale (SMER). Il propose de renforcer la formation initiale et de mettre en place des audits réguliers sur les pratiques.
Peut-on faire confiance aux hôpitaux aujourd’hui ?
Malgré cet incident, les professionnels insistent sur le fait que la majorité des établissements fonctionnent correctement. Un accident comme celui-ci est extrêmement rare , affirme le Dr Berthier. Mais il appelle à une culture du signalement plus forte : Il faut que chaque anomalie, même minime, soit remontée, analysée, et corrigée. Sans crainte de représailles.
Quelles suites pour les victimes ?
Les 667 patients concernés, dont 451 mineurs, vont bénéficier d’un suivi médical renforcé. Un registre national pourrait être créé pour suivre l’évolution de leur santé sur plusieurs décennies. En parallèle, une cellule d’accompagnement psychologique a été mise en place au CH de Saint-Brieuc. Ce n’est pas seulement une histoire de dose ou de machine. C’est une rupture de confiance. Et cette confiance, il faut la reconstruire , déclare le directeur de l’hôpital, Olivier Tessier, dans un communiqué.
A retenir
Qui sont les victimes de la surexposition à Saint-Brieuc ?
Entre 2012 et 2024, 667 patients ont été surexposés aux rayons X au centre hospitalier de Saint-Brieuc, dont 451 étaient mineurs. La majorité a subi des cystographies rénales sur un appareil de fluoroscopie défectueux, entraînant des doses de rayonnement anormalement élevées.
Quel type d’examen est à l’origine du problème ?
Les examens concernés sont principalement des cystographies, utilisées pour diagnostiquer des troubles urinaires, notamment chez les enfants. Ces examens, réalisés en fluoroscopie, impliquent une exposition prolongée aux rayons X, ce qui augmente les risques en cas de dysfonctionnement de l’appareil.
Les patients ont-ils été informés à temps ?
Non. Les patients n’ont été informés qu’en 2024, après une inspection de l’ASN. Aucune alerte n’avait été donnée auparavant, malgré des signes de dysfonctionnement observés dès 2018. Ce retard a alimenté la colère des familles et des associations de patients.
Y a-t-il eu des conséquences médicales avérées ?
À ce jour, aucune conséquence médicale directe n’a été officiellement liée à ces surexpositions. Cependant, en raison des risques cancérigènes à long terme, un suivi médical spécifique a été mis en place pour tous les patients concernés.
Des indemnisations sont-elles possibles ?
Oui. Les familles peuvent saisir la Ciam, qui évalue les cas d’accidents médicaux. Si un dommage anormal est reconnu, une indemnisation peut être accordée. Des recours individuels sont également envisageables, notamment en cas de preuve de négligence.
Conclusion
L’affaire de Saint-Brieuc n’est pas seulement un incident technique. C’est un révélateur de failles profondes dans la chaîne de sécurité médicale : des équipements mal surveillés, un manque de formation, une culture du silence, et une communication tardive. Elle interpelle l’ensemble du système de santé sur la nécessité de renforcer la transparence, la vigilance, et l’accompagnement des patients. Pour Marion Salaün, comme pour des centaines d’autres parents, la confiance est ébranlée. Mais elle espère que cette tragédie évitera d’autres souffrances : Mon fils n’a rien fait de mal. Il était malade, il a subi des examens pour aller mieux. Il ne méritait pas ça. Et personne ne le mérite.