Chaque automne, tandis que les feuilles se détachent des arbres et que les branches tombent en silence, une poignée de jardiniers avisés voient dans ce désordre saisonnier bien plus qu’un déchet à évacuer. Pour eux, ce bois mort est une promesse : celle d’un sol vivant, d’un jardin plus résistant, plus luxuriant, et surtout plus autonome. Une pratique venue des Alpes suisses, discrètement transmise de génération en génération, fait aujourd’hui son entrée dans les jardins français avec une efficacité presque magique. Elle s’appelle la hugelkultur, et elle repose sur un principe simple : enterrer du bois pour que la vie s’épanouisse au-dessus. Ce n’est ni une mode éphémère ni un tour de passe-passe, mais une méthode ancienne, intelligente, et profondément en phase avec les lois de la nature.
Quel est le secret des massifs suisses si opulents ?
Une tradition montagnarde née de la contrainte
Dans les vallées escarpées du canton de Vaud, où les sols sont minces et le vent s’engouffre entre les sapins, les jardiniers ont toujours dû composer avec des conditions rudes. C’est là, entre les chalets en bois et les pentes rocailleuses, qu’est née une solution ingénieuse : enterrer des troncs et branches mortes sous les plates-bandes. Ce geste, longtemps ignoré des manuels de jardinage, répondait à une nécessité vitale : retenir l’eau et enrichir une terre naturellement pauvre.
C’est ce qu’a découvert Élise Berthier, maraîchère bio à Annecy, lors d’un échange avec un jardinier de Gstaad. Il m’a montré son potager, en pente, sans arrosage mécanique, et pourtant les courgettes faisaient la taille de mes avant-bras. Il m’a dit : “Regarde sous tes pieds.” J’ai creusé un peu, et là, j’ai vu des racines s’enrouler autour d’un tronc de hêtre en décomposition. C’était comme un moteur silencieux, caché sous la terre. Depuis, Élise a transformé une partie de son terrain en système hugelkultur, et constate une réduction de 70 % de ses besoins en eau.
Pourquoi le bois enterré change-t-il tout ?
À première vue, un tronc enfoui semble inerte. Pourtant, dès qu’il entre en contact avec le sol, il devient un écosystème en soi. Les champignons mycorhiziens s’installent, les bactéries se multiplient, les vers de terre s’y réfugient. Ce réseau microbien transforme lentement le bois en humus riche, libérant azote, potassium et autres nutriments essentiels.
C’est comme si on créait une batterie organique sous terre , explique Julien Mercier, horticulteur et formateur en permaculture. Le bois agit comme une éponge : il capte l’eau de pluie et la restitue progressivement. En été, quand le sol superficiel s’assèche, les racines plongent vers ces réserves profondes. C’est un système autonome, qui fonctionne sans intervention humaine.
Comment fonctionne la hugelkultur ?
Un compost souterrain qui dure des années
La hugelkultur, mot allemand signifiant culture sur monticule de bois , n’est pas une technique instantanée. Elle s’inscrit dans la durée. Lorsqu’on enterre du bois, on ne fertilise pas immédiatement le sol, mais on installe une source de nutriments qui se libérera progressivement sur cinq, dix, voire quinze ans, selon l’essence utilisée.
Le processus débute par la phase d’humidification : le bois sec absorbe l’eau comme une éponge. Ensuite, les micro-organismes s’activent. Les champignons lignivores décomposent la cellulose et la lignine, libérant du carbone et de l’azote. Ce cycle naturel nourrit les plantes sans qu’il soit nécessaire d’ajouter du compost ou des engrais chimiques.
J’ai installé une butte en 2018 avec des branches de noisetier et un vieux tronc de pommier , raconte Camille Lenoir, retraitée et passionnée de jardinage à Dijon. La première année, j’ai eu des résultats corrects. La deuxième, mes tomates ont doublé de taille. Et maintenant, en 2024, je récolte des haricots sans rien ajouter, alors que le reste du jardin demande des apports réguliers.
Quels sont les bienfaits concrets pour le jardin ?
Les avantages de la hugelkultur sont multiples et interconnectés. Tout d’abord, la rétention d’eau : une butte bien construite peut réduire les arrosages de moitié, voire les supprimer en année humide. Ensuite, la structure du sol s’améliore : le bois en décomposition crée des canaux naturels, facilitant l’aération et la circulation des racines.
Autre bénéfice souvent sous-estimé : la biodiversité. Les insectes utiles, les collemboles, les acariens et les vers de terre prolifèrent dans ce milieu riche. J’ai vu des hérissons revenir dans mon jardin après dix ans d’absence , confie Thomas Rey, jardinier à Lyon. Ils adorent ces zones où la terre est souple, chaude, et pleine de petites bêtes.
Comment installer une butte hugelkultur chez soi ?
Quel bois choisir ? Quelles essences éviter ?
Tout bois n’est pas bon à enterrer. Les essences feuillues comme le chêne, le hêtre, le tilleul ou le noisetier sont idéales : elles se décomposent lentement, offrant une fertilisation durable. Les fruitiers, comme le pommier ou le poirier, sont également excellents.
En revanche, les résineux (pin, épicéa, sapin) sont à éviter, car ils contiennent des tanins et des résines qui ralentissent la décomposition et peuvent acidifier le sol. Le robinier, très dur, met des décennies à se dégrader, tandis que le châtaignier peut libérer des substances inhibitrices pour certaines plantes.
J’ai fait l’erreur d’utiliser des branches de pin l’an dernier , avoue Sophie Tran, habitante de Bordeaux. Résultat : au printemps, mes semis ont jauni, et très peu ont survécu. Depuis, je trie soigneusement tout ce que j’enterre.
Étapes clés pour construire une butte efficace
Le moment idéal pour installer une butte hugelkultur est l’automne, entre octobre et novembre. La terre est encore tiède, les pluies régulières, et les déchets végétaux abondent.
- Ouvrir une tranchée de 30 à 60 cm de profondeur, selon l’espace disponible (bordure, talus, coin de pelouse).
- Remplir le fond avec les plus grosses pièces de bois (troncs, grosses branches).
- Superposer des branches plus fines, puis ajouter une couche de matières vertes (tonte, fanes de légumes) et brunes (feuilles mortes, paille).
- Couvrir d’un bon compost mûr, puis refermer avec la terre extraite.
- Pailler généreusement avec du foin, des feuilles ou de l’écorce pour protéger le sol.
- Attendre le printemps suivant pour planter, afin de laisser le temps au bois de s’humidifier et aux micro-organismes de s’installer.
Astuces pour réussir et éviter les écueils
Plusieurs pièges peuvent compromettre le succès d’une butte. Le premier : planter trop tôt. J’ai vu des gens planter des salades dès l’hiver suivant , raconte Julien Mercier. Résultat : les racines se sont retrouvées dans un milieu trop acide, en pleine phase de décomposition. Mieux vaut attendre un an, ou commencer avec des plantes robustes comme les courges ou les topinambours.
Autre astuce : varier les tailles de bois. Un empilement hétérogène favorise la circulation de l’air et de l’eau, tout en offrant des habitats divers aux micro-organismes. Enfin, éviter les zones trop humides ou compactées : la hugelkultur a besoin d’un bon drainage pour fonctionner.
Quels résultats peut-on espérer ?
Une explosion de vitalité au fil des saisons
Les témoignages des jardiniers sont unanimes : les plantes poussent plus fortes, plus hautes, plus résistantes. Les rosiers, souvent capricieux, produisent des fleurs plus abondantes. Les légumes, comme les tomates, les courgettes ou les carottes, atteignent des tailles impressionnantes.
Mes rosiers grimpeurs ont triplé de volume en deux ans , assure Élise Berthier. Et ils ne souffrent plus des attaques de pucerons. Je pense que c’est lié à une meilleure santé globale de la plante.
Dans les potagers, la hausse de productivité est souvent spectaculaire. J’ai une butte avec des pommes de terre , explique Camille Lenoir. L’an dernier, j’ai récolté 12 kg là où j’en avais 5 sur une autre parcelle. Et les tubercules étaient plus réguliers, sans maladie.
Un potager sans engrais chimiques : est-ce vraiment possible ?
La réponse, selon les expériences menées en France et en Suisse, est oui. La hugelkultur ne remplace pas complètement le compost, mais elle réduit considérablement les besoins en fertilisation. En combinant cette technique avec des associations de plantes, des couvre-sols et une rotation intelligente, il devient possible de cultiver de manière autonome.
Je n’achète plus d’engrais depuis trois ans , affirme Thomas Rey. Mon sol est vivant, il se régénère seul. Même mes voisins me demandent ce que je fais pour avoir des légumes aussi beaux.
Le bois mort, une ressource d’avenir pour le jardinage ?
Une réponse écologique aux défis climatiques
À l’heure où les sécheresses s’intensifient et où les ressources s’épuisent, la hugelkultur s’impose comme une alternative durable. Elle permet de valoriser un déchet souvent brûlé ou envoyé en déchetterie, tout en luttant contre l’érosion, en stockant du carbone et en favorisant la biodiversité.
De plus, cette méthode inspire d’autres pratiques : haies sèches, buttes surélevées, jardins en permaculture. Elle s’adapte aussi aux espaces urbains : sur une terrasse, une grande jardinière peut accueillir une mini-butte, avec du petit bois et des déchets végétaux.
Comment intégrer durablement cette pratique ?
Le secret du succès réside dans l’observation. Chaque jardin est unique : terrain argileux, sableux, en pente ou plat. Il faut adapter la technique à son contexte. Je commence petit , conseille Sophie Tran. J’ai fait une seule butte de 2 mètres de long. Si ça marche, j’en ferai d’autres.
L’essentiel est de penser à long terme. La hugelkultur n’est pas une solution rapide, mais une transformation profonde de notre rapport au sol. Elle invite à ralentir, à observer, à coopérer avec la nature plutôt que de la contraindre.
A retenir
Qu’est-ce que la hugelkultur ?
La hugelkultur est une technique de jardinage ancestrale consistant à enterrer du bois mort sous les plates-bandes pour enrichir le sol naturellement. Elle favorise la rétention d’eau, la biodiversité et la fertilité à long terme.
Quels bois utiliser ?
Privilégiez les essences feuillues comme le chêne, le hêtre, le noisetier ou le tilleul. Évitez les résineux (pin, sapin), le robinier et le châtaignier, qui se décomposent mal ou peuvent nuire aux plantes.
Quand et comment l’installer ?
La meilleure période est l’automne. Creusez une tranchée, remplissez-la de bois (gros morceaux en fond, plus fins dessus), ajoutez des déchets verts et bruns, recouvrez de terre et de compost, puis paillez. Attendez le printemps suivant pour planter.
Quels sont les bénéfices ?
Réduction drastique des arrosages, sol plus fertile sans engrais chimiques, meilleure structure du terrain, augmentation de la biodiversité et des rendements potagers. Les résultats s’améliorent d’année en année.
Peut-on l’appliquer en ville ou sur une terrasse ?
Oui, même en espace réduit. Une grande jardinière ou un bac surélevé peut accueillir une version miniature de la butte hugelkultur, idéale pour cultiver des légumes ou des plantes ornementales sans dépendre de l’arrosage.