En cette rentrée 2025, alors que pour la plupart des familles l’année scolaire débute avec enthousiasme et organisation, pour d’autres, elle s’ouvre sur une lutte quotidienne. C’est le cas de Bafodé Badjo, Fatoumata Bayo et leurs cinq enfants, dont trois sont porteurs de troubles du spectre autistique (TSA). Installés dans le quartier Saint-Nicolas à Laval, en Mayenne, ce couple navigue depuis des mois entre espoir, désillusion et colère face à un système d’éducation spécialisée saturé, inefficace et souvent muet. Leur histoire, loin d’être isolée, révèle les failles profondes d’un accompagnement qui peine à suivre la croissance du nombre d’enfants diagnostiqués, et dont les conséquences humaines sont désormais incontournables.
Comment une famille se retrouve-t-elle sans solution scolaire pour trois enfants autistes ?
Pour comprendre la situation des Badjo-Bayo, il faut remonter aux premières années de leurs enfants. Dès les signes précoces d’autisme chez Banfa, Maoudé et Mamadou, les parents ont été orientés vers des structures spécialisées. Jusqu’à l’âge de 3 ans, les deux aînés ont bénéficié du Service d’intervention précoce (SIP), un dispositif crucial pour stimuler le développement des jeunes enfants TSA. Ce fut une première bouée. C’était rassurant de voir qu’on ne nous laissait pas seuls , confie Fatoumata. On sentait qu’il y avait une prise en charge, des objectifs, du suivi.
À 3 ans, Banfa et Maoudé ont intégré une Unité d’enseignement maternelle autisme (UEMA), un dispositif scolaire adapté aux besoins spécifiques des enfants autistes. Ces unités, rattachées à des écoles maternelles ordinaires, accueillent en petit groupe des élèves avec un encadrement renforcé : enseignants spécialisés, aides-soignants, psychomotriciens. Pendant un an, tout semblait fonctionner. Mais à l’âge de 4 ans, la transition vers une structure adaptée au primaire s’est révélée impossible. On nous a dit : “Pas de place disponible” , raconte Bafodé, la voix serrée. Depuis, on tourne en rond.
Leur fils Mamadou, diagnostiqué plus tard, n’a même jamais pu intégrer une UEMA. Les listes d’attente sont interminables, les réponses des autorités évasives. On a l’impression d’être des fantômes , ajoute Fatoumata. On existe quand il y a une réunion, mais après, plus personne ne nous rappelle.
Quelles sont les conséquences d’un manque de places en établissements spécialisés ?
Le non-accompagnement scolaire de trois enfants autistes a des répercussions profondes sur toute la famille. Fatoumata, qui travaillait à mi-temps dans un centre de soins à domicile, a dû arrêter toute activité professionnelle. Je ne pouvais pas les laisser seuls. Banfa a des crises d’anxiété, Maoudé ne parle presque pas, et Mamadou a besoin d’une surveillance constante.
Bafodé, technicien de maintenance dans une usine agroalimentaire, continue de travailler, mais son emploi du temps est rythmé par les urgences familiales. Je dois parfois quitter le chantier en pleine journée. Mon employeur est compréhensif, mais je sens bien que ça ne peut pas durer.
Le couple ne cache pas sa fatigue. On se couche en pensant à demain, et on se réveille avec la même angoisse , dit Fatoumata. On ne sait pas ce qu’on va faire de la journée, ni de l’année.
La situation affecte aussi leurs deux plus jeunes enfants, qui grandissent dans un environnement tendu, marqué par l’absence de routine et la pression constante. Ils n’ont pas de repères , observe Bafodé. On essaie de leur donner une vie normale, mais c’est difficile.
Quels dispositifs existent pour les enfants autistes en France ?
Le parcours des enfants autistes en France repose sur plusieurs piliers : l’intervention précoce, les UEMA, les ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire), les IME (Instituts médico-éducatifs), et les classes spécialisées dans les établissements médico-sociaux. En théorie, ces structures doivent permettre une scolarisation continue, du plus jeune âge à l’âge adulte.
En pratique, le système est saturé. Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, près de 40 000 enfants autistes sont scolarisés en milieu ordinaire ou spécialisé, mais des milliers d’autres restent en attente. Les UEMA, par exemple, ne peuvent accueillir que quelques dizaines d’enfants par département. En Mayenne, le nombre de places disponibles est largement insuffisant pour répondre à la demande.
Les IME, censés accueillir les enfants à partir de 6 ans, sont eux aussi en décalage. On nous a proposé un IME à 60 km de chez nous , explique Bafodé. C’est impossible à gérer avec trois enfants, sans aide logistique ni transport adapté.
Quelle est la situation à Laval et dans la Mayenne ?
À Laval, la situation est emblématique d’un problème national. La ville compte plusieurs écoles, des services sociaux, et pourtant, le manque de places spécialisées est criant. Le groupe d’entraide autisme, récemment ouvert, témoigne d’une demande croissante. On voit arriver de plus en plus de familles en détresse , confie Élodie Rénier, psychologue spécialisée et coordinatrice du groupe. Elles ont souvent attendu des mois, parfois des années, pour obtenir un rendez-vous, une place, un accompagnement.
Le département de la Mayenne, comme beaucoup d’autres en zone rurale ou semi-urbaine, souffre d’un manque d’infrastructures adaptées. Les familles sont souvent contraintes de se déplacer vers Rennes, Angers ou Nantes pour accéder à des soins ou à une scolarisation digne de ce nom. C’est une injustice territoriale , affirme Élodie Rénier. Un enfant autiste ne devrait pas être pénalisé parce qu’il vit à 50 km d’une grande ville.
Les élus locaux reconnaissent les difficultés, mais pointent du doigt les limites budgétaires et le manque de personnel qualifié. On a besoin de plus de financements, de formation, et de coordination entre les services , déclare un conseiller départemental sous couvert d’anonymat. Le sujet est prioritaire, mais on manque de moyens.
Pourquoi les familles se sentent-elles abandonnées ?
Le sentiment d’abandon, répété par de nombreuses familles, ne vient pas seulement du manque de places, mais de la manière dont elles sont traitées. On nous parle de projets personnalisés, de droits, mais en réalité, on tourne en rond , affirme Fatoumata. On remplit des dossiers, on va à des réunions, on espère. Et puis, rien.
Les délais sont interminables. Le couple a déposé une demande auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) il y a plus d’un an. Aucune réponse concrète à ce jour. On nous a dit que c’était “en cours de traitement” , ironise Bafodé. Mais “en cours” pendant combien de temps ?
Le manque de communication est un autre point de crispation. On ne sait pas qui décide, qui gère les listes d’attente, ni sur quels critères , déplore Fatoumata. On se sent invisibles.
Quelles solutions pourraient être mises en place ?
Des solutions existent, mais elles nécessitent une volonté politique forte et des moyens accrus. D’abord, le développement des UEMA et des ULIS spécialisées autisme dans chaque département. Ensuite, la création de places en IME avec des transports adaptés pour les familles éloignées.
La formation des enseignants et des accompagnants est également cruciale. Beaucoup d’enseignants sont motivés, mais ils manquent de formation spécifique , souligne Élodie Rénier. Un enfant autiste n’apprend pas comme les autres. Il a besoin de méthodes adaptées, de patience, de cohérence.
Des modèles innovants, comme les classes satellites intégrées à des écoles ordinaires avec un soutien renforcé, pourraient aussi être développés. L’inclusion, c’est possible, mais pas à n’importe quel prix , précise la psychologue. Il ne s’agit pas de mettre un enfant dans une classe sans ressources. Il faut un accompagnement sérieux.
Quel avenir pour les enfants autistes sans scolarisation continue ?
Le risque, pour des enfants comme Banfa, Maoudé et Mamadou, est celui de la perte de compétences. Sans stimulation, sans routine, sans apprentissage structuré, les progrès réalisés en intervention précoce peuvent s’effacer. On voit des régressions , confirme Élodie Rénier. L’enfant devient plus anxieux, plus isolé. Et plus le temps passe, plus il est difficile de le réinsérer.
À long terme, cela impacte aussi l’autonomie et l’insertion professionnelle. Un enfant autiste bien accompagné peut apprendre, travailler, vivre de manière autonome , affirme un spécialiste du handicap qui suit plusieurs cas dans la région. Mais sans éducation, sans structure, il est condamné à l’isolement.
Pour Bafodé et Fatoumata, l’avenir est une question lancinante. On pense à tout ça la nuit , avoue Fatoumata. On se demande ce qu’ils deviendront. On a fait tout ce qu’on pouvait. On a suivi les conseils, on a rempli les papiers. Et pourtant, on est bloqués.
Comment d’autres familles vivent-elles cette crise ?
Leur situation n’est pas unique. À Rennes, Clara et Yannick Leroy ont passé deux ans à chercher une place pour leur fils Léo, 8 ans, autiste non verbal. On a fini par l’inscrire dans une école privée spécialisée, mais c’est à nos frais , raconte Clara. On a hypothéqué notre maison.
À Nantes, Samia et Karim Tazi ont dû déménager pour que leur fille, Inès, 7 ans, puisse intégrer une ULIS autisme. On a quitté notre quartier, nos amis, pour une ville où il y avait une place , explique Samia. C’est absurde. On devrait pouvoir être accompagnés là où on vit.
Quel rôle les associations peuvent-elles jouer ?
Les associations de parents, comme le groupe d’entraide autisme de Laval, sont devenues des piliers du soutien. Elles offrent un espace d’écoute, de partage, et parfois d’action collective. On organise des réunions, on monte des dossiers, on interpelle les élus , explique Élodie Rénier. On ne fait pas que du soutien psychologique. On milite.
Des collectifs se forment aussi sur les réseaux sociaux. Des parents échangent, comparent leurs dossiers, alertent sur les délais. On se sent moins seuls , dit Fatoumata. Et quand on est plusieurs à crier, on est plus entendus.
Quelle est la conclusion à tirer de cette situation ?
La rentrée 2025 pour les enfants autistes en France ne doit pas être celle de l’abandon. Le cas des Badjo-Bayo n’est pas une exception, mais un symptôme d’un système en crise. L’intervention précoce fonctionne, les familles font des efforts, les professionnels sont engagés. Mais sans places, sans coordination, sans moyens, tout cela s’effondre. La scolarisation est un droit, pas une faveur. Et pour des milliers d’enfants, ce droit est bafoué chaque jour.
A retenir
Pourquoi les enfants autistes ont-ils besoin de structures spécialisées ?
Les enfants du spectre autistique ont des besoins éducatifs spécifiques : hypersensibilité sensorielle, difficultés de communication, besoin de routine. Les structures spécialisées, comme les UEMA ou les IME, offrent un encadrement adapté, avec des professionnels formés, un environnement contrôlé, et des méthodes pédagogiques spécifiques. Sans cela, l’apprentissage devient extrêmement difficile, voire impossible.
Combien de temps dure l’attente pour une place en établissement spécialisé ?
Les délais varient selon les départements, mais peuvent atteindre plusieurs mois, voire plusieurs années. En Mayenne, comme dans de nombreuses zones rurales, les listes d’attente sont longues en raison du manque de places. Les familles doivent souvent multiplier les demandes et les relances pour espérer une réponse.
Quels recours ont les familles face à l’inaction des services ?
Les familles peuvent saisir la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), déposer des recours gracieux ou contentieux, ou s’appuyer sur des associations pour faire pression. Certaines montent des collectifs, organisent des manifestations, ou alertent les médias pour attirer l’attention sur leur situation.
Quel est le rôle de la MDPH dans la scolarisation des enfants autistes ?
La Maison départementale des personnes handicapées évalue les besoins de l’enfant, attribue la reconnaissance du handicap, et propose un plan d’accompagnement. Elle joue un rôle central dans l’orientation vers les établissements spécialisés, mais son efficacité dépend des places disponibles et de la coordination avec les autres services (éducation, santé, transport).
Quelles sont les conséquences psychologiques pour les parents ?
Le manque de prise en charge engendre un stress chronique, de l’anxiété, et parfois un sentiment de culpabilité. Beaucoup de parents se sentent responsables, même s’ils ont tout fait pour suivre les procédures. Le risque de burn-out est réel, surtout lorsque l’un des parents doit abandonner son emploi pour assurer la garde des enfants.