À l’heure où l’inclusion scolaire est censée être une priorité nationale, des familles traversent encore des parcours du combattant pour que leurs enfants bénéficient des accompagnements auxquels ils ont droit. Le cas de Youness Elarif et de son fils, Solal, 6 ans, porteur de trisomie 21, illustre cette réalité contrastée : entre des promesses institutionnelles et des lacunes criantes dans leur mise en œuvre. À l’école Berthe-Hubert au Mans, l’absence d’un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) pendant un mois entier a plongé la famille dans l’inquiétude, mais aussi dans une remise en question profonde du système éducatif. Ce récit, à la fois poignant et révélateur, met en lumière les fragilités d’un dispositif crucial pourtant trop souvent sous-estimé.
Quel est le rôle d’un AESH dans l’école inclusive ?
Les AESH, accompagnants d’élèves en situation de handicap, sont des professionnels essentiels au bon fonctionnement de l’école inclusive. Recrutés pour soutenir les élèves bénéficiant d’un Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS), ils agissent comme un relais entre l’enseignant, l’élève et sa famille. Leur mission est à la fois éducative, logistique et émotionnelle : ils aident à la compréhension des consignes, facilitent l’autonomie, accompagnent dans les déplacements, et veillent à l’intégration sociale de l’enfant au sein de la classe.
Pour Solal, cet accompagnement n’est pas une option, mais une nécessité. Reconnu à 80 % de handicap, il a obtenu une notification à temps plein de scolarité de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en mai 2025. Cette décision officialise le besoin d’un accompagnant présent toute la journée, sans interruption. Pourtant, quand son AESH a été en arrêt maladie, personne n’a été désigné pour la remplacer. On le laissait à l’école le matin en sachant qu’il allait être perdu, qu’il ne pourrait pas suivre, qu’il allait se sentir exclu , raconte Youness Elarif, la voix serrée. C’est comme si on lui disait : “Tu n’as pas ta place ici.”
Pourquoi un mois sans remplacement est-il inacceptable ?
Un mois sans accompagnant pour un enfant comme Solal ne se traduit pas seulement par un retard scolaire. C’est une rupture dans son quotidien, une perte de repères, et surtout une souffrance psychologique. Il sent le décalage avec les autres , confie son père. Il voit les autres enfants avancer, participer, tandis que lui reste en retrait. Il ne comprend pas pourquoi il est seul.
Les témoignages d’enseignants de l’école Berthe-Hubert confirment cette détresse. Léa Chambon, enseignante en CP, explique : Solal est un enfant curieux, attachant, mais il a besoin d’un appui constant. Sans son AESH, il ne parvient pas à rester concentré plus de dix minutes. Il se lève, tourne en rond, ou alors il se replie sur lui-même. Elle ajoute : On fait ce qu’on peut, mais on a une classe de 24 élèves. On ne peut pas tout assumer seuls.
Le problème dépasse le seul cas de Solal. Selon des syndicats d’enseignants et d’accompagnants, les remplacements d’AESH sont fréquemment mal organisés, voire inexistants. Les contrats précaires, souvent à temps partiel ou en CDD, rendent difficile la mobilisation rapide d’un suppléant. Ces postes sont mal rémunérés, mal considérés, et pourtant, ils sont vitaux , souligne Émilien Dubreuil, conseiller pédagogique spécialisé dans l’inclusion. Quand un AESH tombe malade, il n’y a pas de plan de continuité. C’est une faille structurelle.
Comment les familles vivent-elles ces interruptions ?
Pour les parents d’enfants en situation de handicap, chaque jour sans accompagnant est une bataille. Youness Elarif a multiplié les appels à la direction de l’école, à l’inspection académique, à la MDPH. On se sent seul face à l’administration. On nous répond qu’on est “en cours de traitement”, mais rien ne bouge.
Le poids émotionnel est énorme. On doute, on culpabilise. On se demande si on aurait dû insister plus tôt, changer d’école, ou même le garder à la maison , avoue-t-il. Mais on veut qu’il soit avec les autres, qu’il apprenne à vivre en société.
Il n’est pas le seul. À quelques kilomètres de là, à Sablé-sur-Sarthe, Camille et Raphaël Lenoir vivent une situation similaire avec leur fille Lina, 7 ans, atteinte d’autisme. Elle a perdu deux semaines d’AESH l’année dernière. À son retour, elle ne reconnaissait plus ses routines, elle avait regagné en anxiété. Il nous a fallu des mois pour la stabiliser , témoigne Camille. L’école nous dit qu’elle fait des efforts, mais les efforts, c’est nous qui les faisons tous les jours.
Quelles sont les conséquences à long terme pour l’enfant ?
L’absence d’accompagnement n’a pas d’impact uniquement sur le court terme. Elle peut avoir des répercussions durables sur le développement cognitif, social et émotionnel de l’enfant. Pour Solal, ce mois sans AESH a été vécu comme une exclusion silencieuse. Il a commencé à refuser d’aller à l’école. Il pleurait le matin. Il disait : “Je suis pas bon en classe.”
Les psychologues scolaires alertent sur ces phénomènes. Les enfants en situation de handicap sont particulièrement sensibles aux ruptures. Ils ont besoin de stabilité pour progresser , explique la docteure Nadia Ferras, psychologue à l’Éducation nationale. Quand ils se sentent abandonnés, même temporairement, cela renforce le sentiment d’être différent, voire inapte. Cela peut créer des blocages durables.
En outre, ces interruptions fragilisent le lien de confiance entre l’enfant et ses enseignants. Solal avait appris à compter avec son AESH, grâce à des jeux adaptés , raconte Léa Chambon. Pendant son absence, on a essayé de continuer, mais sans les mêmes outils, les mêmes rituels. Il a tout oublié. C’est frustrant pour lui, pour nous, pour tout le monde.
Le système est-il en train de s’améliorer ?
Officiellement, oui. Depuis plusieurs années, le gouvernement a lancé des plans ambitieux pour renforcer l’inclusion scolaire. Le nombre d’AESH a augmenté, les formations se développent, et les MDPH sont censées mieux coordonner les accompagnements. Pourtant, les témoignages sur le terrain peinent à refléter cette amélioration.
On parle d’inclusion, mais on ne donne pas les moyens de l’inclure , ironise Émilien Dubreuil. On attend des AESH qu’ils soient des super-héros, alors qu’ils sont mal payés, mal formés, et souvent surchargés.
À l’échelle nationale, près de 300 000 élèves sont accompagnés par un AESH, mais des milliers d’entre eux subissent des interruptions dans leur suivi. Les syndicats dénoncent une précarité institutionnalisée . Ces agents sont recrutés par l’Éducation nationale, mais leurs contrats dépendent des rectorats, des collectivités, des MDPH… Il n’y a pas de chaîne claire de responsabilité , explique Karim Tazi, délégué du SNUipp-FSU en Pays de la Loire.
Quelles solutions concrètes pourraient être mises en place ?
Plusieurs pistes sont régulièrement évoquées par les professionnels. La première : créer un vivier de remplaçants AESH, formés et disponibles en cas d’absence. Comme pour les enseignants, il faudrait un système de remplacement réactif , propose Nadia Ferras. Même si ce n’est pas la même personne, l’enfant doit retrouver un appui stable.
La deuxième : améliorer la coordination entre les acteurs. Trop souvent, la famille est la seule à faire le lien entre la MDPH, l’école, et l’inspection , souligne Youness Elarif. Il faudrait un référent unique, un coordinateur d’inclusion, qui suit chaque dossier.
Enfin, il est urgent de revaloriser le métier d’AESH. Ce sont des professionnels du handicap, pas des agents de service , insiste Karim Tazi. Ils méritent un statut stable, une formation continue, et une rémunération décente.
Quel avenir pour Solal et les enfants comme lui ?
Le retour de l’AESH est prévu pour le lundi 29 septembre 2025. Pour la famille Elarif, c’est un soulagement, mais aussi une amertume. Un mois perdu, c’est un mois de vie qu’on ne récupérera pas , dit Youness. On espère que Solal va reprendre pied, mais on sait qu’il va falloir du temps.
L’histoire de Solal n’est pas isolée. Elle résonne avec des milliers d’autres, dans des classes partout en France. Elle interroge sur la sincérité de l’engagement en faveur de l’inclusion. Peut-on parler d’école inclusive quand un enfant de 6 ans se sent rejeté parce qu’il n’a pas l’accompagnement auquel il a droit ?
On ne demande pas une faveur, on demande ce qui est dû , conclut Youness Elarif. Solal a le droit d’être là, comme les autres. Il a le droit d’apprendre, de grandir, d’être accompagné. Ce n’est pas du luxe, c’est de la justice.
A retenir
Un droit reconnu, mais mal appliqué
Les enfants bénéficiant d’un PPS ont droit à un accompagnement adapté. Pour Solal, ce droit a été reconnu par la MDPH, mais non respecté pendant un mois en raison d’un manque de remplacement. Cette situation illustre une faille systémique dans l’application des décisions d’inclusion.
L’absence d’AESH a des effets profonds
Être privé d’accompagnant n’affecte pas seulement les apprentissages. Cela impacte la confiance en soi, la socialisation, et la perception que l’enfant a de sa place à l’école. Pour des enfants comme Solal, chaque jour compte.
Les familles sont trop souvent seules
Face aux lenteurs administratives, les parents doivent jouer les intermédiaires, les relanceurs, les suppléants. Leur rôle est essentiel, mais ils ne devraient pas avoir à combler les manquements du système.
Des solutions existent, mais demandent de la volonté politique
Créer un vivier de remplaçants, revaloriser le métier d’AESH, et renforcer la coordination entre les services sont des mesures réalisables. Elles nécessitent un engagement fort et des moyens réels, au-delà des discours officiels.