Alors que novembre étend son manteau gris sur les jardins, que les feuilles mortes s’entassent et que le silence semble avoir remplacé le bourdonnement des beaux jours, un mouvement subtil persiste. Entre les branches dénudées, le long des murs humides, une plante discrète mais essentielle déploie ses fleurs discrètes. Le lierre commun, longtemps relégué au rang de mauvaise herbe envahissante, s’épanouit justement à un moment où presque plus rien ne fleurit. Et c’est précisément ce moment, si souvent ignoré, qui fait de cette liane l’un des piliers invisibles de la survie des pollinisateurs. Dans un jardin qui semble s’endormir, le lierre veille. Il nourrit. Il protège. Il prolonge la vie.
Le lierre, héros méconnu des derniers jours d’automne
Pourquoi trouve-t-on encore des abeilles en novembre ?
À cette période de l’année, l’activité des insectes butineurs devrait théoriquement s’éteindre. Pourtant, dans les jardins de Saint-Martin-de-la-Plaine, Clémentine Laroche, maraîchère bio depuis dix ans, observe chaque jour des abeilles domestiques tournoyer autour de ses haies. Elles sont fatiguées, on le voit à leur vol hésitant, mais elles continuent. Et sans le lierre, je ne pense pas qu’elles survivraient jusqu’en décembre , confie-t-elle, en montrant une touffe de Hedera helix en pleine floraison. En réalité, la présence de butineuses à cette époque n’a rien de miraculeux : elle dépend d’une poignée de plantes capables de produire du nectar en automne avancé. Or, très peu d’espèces offrent cette ressource. Le lierre, lui, intervient comme un sauveur silencieux, comblant un vide écologique crucial.
Le lierre commun : une floraison tardive qui change la donne
Alors que les asters et les chrysanthèmes ont rendu leur dernier souffle, le lierre entre en scène. Sa floraison, souvent décriée pour son aspect modeste, est pourtant d’une richesse exceptionnelle. Ses petites ombelles jaune-vert, presque invisibles à première vue, exhalent un parfum sucré, attirant abeilles, syrphes, bourdons et papillons. À Lyon, Julien Mercier, naturaliste bénévole dans un jardin partagé, a observé près de quarante espèces d’insectes butiner sur une seule touffe de lierre en novembre dernier. C’est un buffet ouvert au moment où tout le reste est fermé , résume-t-il. Cette floraison, qui peut s’étirer jusqu’à la première neige dans certaines régions, est une bouée de sauvetage pour les colonies d’abeilles en quête de réserves. Et pourtant, cette plante reste absente de la majorité des jardins, reléguée au rôle de plante indésirable .
Nectar inespéré : le festin caché offert par le lierre
Sur la piste du dernier banquet : comment le lierre nourrit les abeilles
Le nectar du lierre est particulièrement riche en sucres, ce qui permet aux abeilles de produire un miel d’automne dense, aux vertus énergétiques. Ce miel, souvent sombre et puissant, est essentiel pour la survie de la colonie pendant les mois sans butinage. À Rennes, Mélanie Tournier, apicultrice depuis vingt ans, raconte que ses ruches passent l’hiver bien mieux depuis qu’elle a planté du lierre autour de ses ruchers. Avant, je devais nourrir mes abeilles avec du sirop. Maintenant, elles se débrouillent seules. Le lierre leur donne tout ce dont elles ont besoin. Ce n’est pas seulement une question de nourriture : la pollinisation croisée entre colonies sauvages et domestiques est aussi facilitée, renforçant la diversité génétique des populations d’abeilles.
Nos pollinisateurs en manque de ressources à l’approche de l’hiver
Le manque de ressources en fin d’automne est l’un des facteurs majeurs de mortalité hivernale chez les abeilles. Une ruche qui n’a pas accumulé assez de miel ou de pollen risque de s’effondrer en janvier ou février. Or, dans les milieux urbains, où les jardins sont souvent conçus pour l’esthétique printanière ou estivale, les plantes tardives sont rares. Le lierre, en ce sens, devient un acteur clé. Il ne demande ni engrais, ni arrosage, et pousse même en sol pauvre. Dans les parcs de Lille, des expérimentations menées par des collectifs de naturalistes ont montré que les zones où le lierre est laissé en place voient leur activité pollinisatrice augmenter de 70 % en novembre. Un chiffre qui parle de lui-même.
Faisons tomber les idées reçues : le lierre, un atout plutôt qu’un envahisseur
Entre mythes et réalités : démêler le vrai du faux sur le lierre
Il va détruire le mur , Il étouffe les arbres , C’est une plante parasite : autant de préjugés tenaces. Pourtant, le lierre n’est pas un parasite. Il ne puise pas ses nutriments dans l’arbre qu’il grimpe, mais dans le sol, par ses propres racines. Quant aux murs, il ne les fragilise que s’ils sont déjà fissurés. J’ai un vieux mur en pierre sèche dans mon jardin, recouvert de lierre depuis quinze ans. Il est en meilleur état qu’avant , affirme Étienne Boulanger, paysagiste à Bordeaux. En réalité, le lierre protège les surfaces de l’érosion, isole du froid et de la chaleur, et limite la pousse des mousses. Il agit comme une peau végétale, vivante et régénérante.
Les bienfaits insoupçonnés pour la biodiversité au jardin
Le lierre n’est pas seulement une source de nourriture : c’est aussi un refuge. Ses feuilles persistantes offrent un abri chaud et humide aux insectes hivernants, aux araignées, aux cloportes. Les oiseaux, comme les merles ou les rougequeues, s’en servent pour nicher dès février. À Paris, dans un petit square du 14e arrondissement, un lierre centenaire abrite chaque hiver une famille de chauves-souris. On l’a découvert par hasard, en installant une caméra thermique , raconte Léa Dubreuil, chargée de mission biodiversité. Depuis, on ne le touche plus. En ville comme à la campagne, cette plante crée des micro-écosystèmes entiers, invisibles mais indispensables.
Pourquoi personne ne plante le lierre (et tout ce qu’il a pourtant à offrir)
Freins, réticences et malentendus autour de sa culture
Malgré ses atouts, le lierre reste mal aimé. Beaucoup le voient comme une plante sauvage , désordonnée , voire agressive . Dans les lotissements, les règlements de copropriété l’interdisent parfois, par crainte de son développement. Pourtant, sa croissance peut être parfaitement maîtrisée. Il suffit de tailler une fois par an, en été, pour éviter qu’il ne grimpe là où on ne le souhaite pas , explique Camille Fournier, jardinière à Nantes. Et s’il est planté en bac, il ne s’étend même pas. Le problème n’est pas la plante, mais notre rapport à la nature : nous voulons des jardins contrôlés, propres, ordonnés. Or, la vie, elle, est souvent un peu désordonnée.
Les raisons de réhabiliter le lierre dans nos espaces verts
Le lierre est une solution simple, durable et gratuite pour végétaliser des espaces difficiles : talus, murs, clôtures. Il lutte contre l’érosion, limite les ruissellements, capte les particules fines. En milieu urbain, il contribue à refroidir les surfaces et à améliorer la qualité de l’air. Mais surtout, il prolonge la saison de floraison, offrant un lien entre l’automne et le printemps. Pour les jardiniers soucieux de leur empreinte écologique, il est une évidence. Je l’ai planté le long de ma terrasse, entre deux pots. Il grimpe doucement, sans agressivité, et en novembre, c’est un spectacle , témoigne Inès Lemaire, habitante d’un immeuble à Montpellier. J’ai vu des papillons butiner dessus un jour de grand froid. C’était émouvant.
Inviter le lierre dans nos jardins : repenser nos gestes pour les abeilles
Comment accueillir et guider la floraison du lierre
Planter du lierre, c’est simple. Il préfère l’ombre ou la mi-ombre, mais tolère le soleil si le sol est humide. Une plantation en automne, avec un paillage léger, suffit à assurer sa reprise. Il ne demande aucun arrosage régulier, et supporte les sols calcaires comme les sols acides. Pour éviter qu’il ne s’installe là où on ne le souhaite pas, on peut le guider sur un grillage, une pergola, ou le contenir dans un bac. J’ai mis du lierre dans des jardinières en zinc sur mon balcon. Il grimpe sur un treillis, et en novembre, c’est une ruche d’activité , raconte Thomas Régnier, habitant d’un quartier dense à Strasbourg. Mes voisins ont fini par en faire autant.
Le lierre comme allié durable pour la survie des pollinisateurs
Intégrer le lierre, c’est choisir un jardin vivant, en phase avec les rythmes de la nature. C’est accepter que la beauté ne soit pas seulement estivale, mais qu’elle puisse aussi résider dans la persistance, dans la résilience. C’est offrir un refuge, une nourriture, une chance. J’ai appris à le regarder autrement , confie Clémentine Laroche. Ce n’est pas une plante que je tolère. C’est une alliée. Et dans un monde où les pollinisateurs disparaissent à grande vitesse, chaque geste compte. Même celui de laisser pousser un lierre le long d’un mur.
A retenir
Le lierre fleurit-il vraiment en novembre ?
Oui, le lierre commun (Hedera helix) fleurit généralement entre septembre et décembre, selon les régions. Sa floraison tardive en fait une ressource unique pour les pollinisateurs en fin d’automne.
Le lierre est-il dangereux pour les arbres ou les murs ?
Non, le lierre n’est pas un parasite. Il ne puise pas ses nutriments dans les arbres ni dans les murs sains. Il peut même protéger les surfaces de l’érosion et du gel. Seuls les murs déjà fragilisés peuvent voir leur état s’aggraver.
Peut-on cultiver le lierre en bac ou sur un balcon ?
Oui, le lierre s’adapte très bien à la culture en conteneur. Il suffit de le guider sur un support vertical et de le tailler occasionnellement pour contrôler sa croissance.
Quels insectes le lierre attire-t-il ?
Le lierre attire de nombreuses espèces : abeilles domestiques et sauvages, bourdons, syrphes, papillons, coccinelles, et même certains coléoptères. Il joue un rôle clé dans la chaîne alimentaire hivernale.
Pourquoi le lierre est-il si peu utilisé dans les jardins ?
En raison de préjugés persistants sur son caractère envahissant, mais aussi parce qu’il est souvent perçu comme une plante sauvage ou mal entretenue . Pourtant, avec une gestion simple, il devient un atout écologique majeur.