En octobre 2025, le tribunal militaire de Rennes a clôturé un procès qui, pendant plusieurs semaines, a mis en lumière les failles du système de la gendarmerie et les complexités de la responsabilité pénale face à des troubles neurologiques avérés. L’affaire impliquait un gendarme de la réserve d’Ille-et-Vilaine, mis en cause par sept femmes ayant toutes servi sous ses ordres. Ces dernières avaient déposé des plaintes pour agressions sexuelles, décrivant un climat de pression, d’intimidation et de manipulation. Pourtant, le verdict a surpris : l’accusé a été déclaré irresponsable pénalement, en raison d’un trouble cérébral invalidant. Ce jugement, fondé sur l’abolition du discernement, a ravivé le débat sur la frontière entre maladie mentale et faute intentionnelle, tout en laissant les victimes face à un sentiment d’injustice insondable.
Quelle est l’origine de cette affaire retentissante ?
L’enquête a débuté en 2023, après que plusieurs femmes de la réserve opérationnelle de gendarmerie ont osé briser le silence. Parmi elles, Élise Béranger, ancienne enseignante devenue réserviste par engagement citoyen, a été l’une des premières à déposer plainte. J’ai voulu servir mon pays, pas subir des humiliations dans un uniforme censé symboliser l’autorité et la protection , confie-t-elle dans un entretien. Elle décrit des faits survenus lors d’un stage de formation à Rennes, où le gendarme en question, dont l’identité n’a pas été révélée pour des raisons légales, aurait profité de son ascendant hiérarchique pour s’imposer physiquement.
Les autres plaignantes, toutes recrutées sur des périodes différentes, ont raconté des scénarios similaires : approches intrusives, contacts non consentis, voire agressions dans des locaux de service. Ce qui frappe, c’est la répétition des faits sur plusieurs années, malgré les signalements informels. On nous disait de faire profil bas, que ce n’était pas “grave” ou qu’on “malinterprétait” , témoigne Camille Fournel, une ancienne étudiante en droit devenant réserviste par patriotisme. Ces témoignages ont finalement conduit à une enquête interne, puis judiciaire, qui a révélé un climat toxique au sein de cette unité.
Quelles preuves ont été présentées lors du procès ?
Le dossier comprenait des rapports psychiatriques, des enregistrements téléphoniques, des témoignages croisés et des éléments médicaux inédits. Mais le tournant du procès a été l’intervention du professeur Marc Venin, neurologue au CHU d’Orléans. Il a expliqué que le prévenu souffrait d’un syndrome frontal d’origine vasculaire, consécutif à un anévrisme cérébral détecté en 2021. Ce type de lésion, située dans le lobe frontal, peut altérer gravement le jugement, l’inhibition et la capacité à comprendre les conséquences de ses actes.
Le lobe frontal est le siège de la régulation des impulsions, de l’empathie et de la prise de décision , a précisé le professeur Venin devant la cour. Une lésion de cette zone peut provoquer des comportements désinhibés, des troubles obsessionnels, voire des agissements socialement inacceptables, sans que la personne en mesure pleinement la portée. Des IRM, des tests neuropsychologiques et des évaluations comportementales ont corroboré ce diagnostic. Le tribunal a ainsi conclu que, au moment des faits, le gendarme ne jouissait plus de son discernement, rendant impossible une condamnation pénale classique.
Comment le syndrome frontal influence-t-il le comportement humain ?
Le syndrome frontal n’est pas une maladie psychiatrique au sens strict, mais une affection neurologique résultant de dommages cérébraux. Il peut survenir après un traumatisme crânien, un AVC ou, comme dans ce cas, un anévrisme. Les symptômes varient selon l’étendue de la lésion, mais incluent souvent une perte de contrôle émotionnel, une difficulté à planifier, une impulsivité accrue et une altération de la conscience morale.
Ce n’est pas qu’il ne savait pas ce qu’il faisait, c’est qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, malgré des restes de conscience , a ajouté le professeur Venin. Des cas similaires ont été documentés dans la littérature médicale, comme celui d’un homme ayant développé des comportements pédophiles après une tumeur cérébrale, dont les pulsions ont disparu après traitement. Cela soulève des questions éthiques : peut-on punir quelqu’un pour des actes qu’un dysfonctionnement biologique l’a poussé à commettre ?
Quelles conséquences pour les victimes ?
Pour les sept femmes, le verdict a été un choc. On nous dit qu’il n’est pas responsable, mais nous, on l’est bien, de vivre avec ce qu’il nous a fait , lance Élise Béranger, les yeux humides mais la voix ferme. Aucune condamnation pénale ne signifie pas l’absence de souffrance. Au contraire, le fait que l’agresseur ne soit pas reconnu coupable au sens juridique du terme rend la reconnaissance de leur douleur plus complexe.
Les victimes ont demandé une indemnisation par la voie civile, mais cette procédure est longue et incertaine. Certaines envisagent de saisir la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), bien que son champ d’action soit limité. Camille Fournel, elle, milite désormais pour une meilleure prise en charge des réservistes. On nous forme au tir, à la défense, mais pas à la protection contre les prédateurs au sein même de l’institution , regrette-t-elle.
Quel est le rôle de la gendarmerie dans cette affaire ?
Les questions se tournent désormais vers l’institution. Pourquoi ce gendarme a-t-il continué à exercer des fonctions d’encadrement après son anévrisme ? Pourquoi les alertes internes n’ont-elles pas été prises au sérieux ? Une enquête administrative est en cours, mais les victimes doutent de sa portée. Il y a eu une faute de management, une faute humaine, une faute institutionnelle , affirme Malik Zidane, avocat des plaignantes.
Un rapport interne de 2022 mentionnait déjà des comportements inappropriés de l’intéressé, mais aucune mesure disciplinaire n’avait été prise. Le médecin de la gendarmerie avait recommandé une mise à l’écart temporaire, mais cette recommandation n’a pas été suivie. On a privilégié la continuité du service plutôt que la sécurité des personnels , déplore un officier sous couvert d’anonymat.
Quelles sont les implications juridiques de l’irresponsabilité pénale ?
L’irresponsabilité pénale n’équivaut pas à une innocence. Elle signifie que, bien que les faits soient avérés, l’auteur n’était pas en mesure de comprendre ou de contrôler ses actes en raison d’un trouble psychique ou neurologique. Dans ce cas, la loi prévoit une mesure de sûreté : le gendarme sera placé sous surveillance médicale obligatoire, probablement dans un établissement spécialisé, pour une durée indéterminée.
Ce dispositif, prévu par l’article 122-1 du Code pénal, vise à protéger la société tout en tenant compte de l’état de santé de l’individu. Mais il ne permet pas aux victimes d’obtenir réparation directe. C’est une reconnaissance médicale, pas une reconnaissance de notre souffrance , résume Élise Béranger.
Quels enseignements tirer de ce procès ?
Cette affaire interroge sur plusieurs fronts. D’abord, sur la prévention des risques psychologiques et neurologiques au sein des corps de sécurité. Les réservistes, souvent recrutés à temps partiel, bénéficient-ils d’un suivi médical à la hauteur de leurs responsabilités ? Ensuite, sur la culture du silence qui persiste dans certaines unités. Enfin, sur la manière dont la justice traite les cas où la frontière entre maladie et délinquance devient floue.
Ce procès devrait être un électrochoc , estime le professeur Venin. Il montre que la santé cérébrale doit être prise au sérieux dans les professions à responsabilité. Un simple bilan neuropsychologique régulier pourrait éviter des drames.
Quelles réformes sont envisagées ?
À la suite de cette affaire, le ministère de l’Intérieur a annoncé un renforcement des contrôles médicaux pour les réservistes, notamment après tout événement vasculaire ou traumatique. Une commission indépendante sera mise en place pour évaluer les risques liés aux troubles neurologiques dans les fonctions d’encadrement.
Par ailleurs, des associations de victimes, comme Paroles de Bleues , appellent à une réforme du statut des réservistes, afin de mieux les protéger contre les abus hiérarchiques. On ne peut pas demander à des citoyens de servir la République si on ne les protège pas au sein même de l’institution , plaide leur porte-parole, Aïcha Lemaire.
Quelle est la situation actuelle du gendarme ?
Le prévenu, aujourd’hui âgé de 52 ans, a été placé sous tutelle médicale. Il ne retournera jamais en service actif. Son état neurologique reste instable, et les médecins estiment qu’une réinsertion sociale, même encadrée, sera extrêmement difficile. Il vit sous surveillance, dans un centre spécialisé en neurologie comportementale, où il suit des soins mais ne reconnaît pas pleinement la gravité de ses actes.
Il exprime parfois des regrets, mais sans lien émotionnel profond avec les faits , confie un psychiatre ayant suivi son dossier. C’est l’un des aspects les plus troublants du syndrome frontal : la conscience peut être partiellement présente, mais l’empathie, elle, est absente.
Quel impact sur la confiance dans les institutions ?
Pour beaucoup, ce procès a entamé la confiance dans l’impartialité et la rigueur de la gendarmerie. On nous demande de faire confiance aux forces de l’ordre, mais qui protège les femmes au sein de ces forces ? s’interroge Camille Fournel. Les réseaux sociaux ont vu émerger des témoignages similaires d’autres réservistes, dans différentes régions, évoquant des comportements abusifs minimisés ou étouffés.
Le verdict, bien qu’imposé par la loi, laisse un goût d’inachevé. Il souligne la nécessité d’un système plus juste, capable de reconnaître à la fois la souffrance des victimes et la complexité des pathologies mentales.
A retenir
Qu’est-ce que l’irresponsabilité pénale pour abolition du discernement ?
L’irresponsabilité pénale est reconnue lorsque l’auteur d’un acte est atteint d’un trouble psychique ou neurologique qui l’empêche de comprendre la nature de ses actes ou d’en contrôler les conséquences. Dans ce cas, la cour a retenu cette disposition en raison d’un syndrome frontal post-anévrisme.
Les victimes peuvent-elles être indemnisées ?
Oui, même en l’absence de condamnation pénale, les victimes peuvent engager une procédure civile pour obtenir réparation. Elles peuvent aussi solliciter la CIVI, bien que les critères soient stricts.
Le gendarme sera-t-il libéré ?
Non, il a été placé sous mesure de sûreté, ce qui implique une surveillance médicale obligatoire dans un établissement spécialisé. Sa sortie dépendra d’une évaluation régulière de son état et de son dangerosité.
Des réformes sont-elles prévues ?
Oui, le ministère de l’Intérieur prévoit un renforcement des bilans médicaux pour les réservistes, notamment neurologiques, ainsi qu’une meilleure prise en compte des signalements internes.
Peut-on prévenir ce type de drame ?
Des mesures de prévention existent : suivi médical renforcé, formation à l’éthique, canaux de signalement sécurisés. Mais leur application reste inégale. Ce procès devrait servir de catalyseur pour une prise de conscience institutionnelle.