Un simple mouvement des bras peut transformer un drame en récit plein d’espoir. Ce geste, si discret qu’il passe souvent inaperçu, consiste à placer ses mains sous les aisselles d’une personne qui se noie, en l’approchant toujours par-derrière. Baptisé « prise de sécurité », il permet de sortir une tête hors de l’eau sans que la victime, prise de panique, n’entraine son sauveteur dans sa chute. Grâce à lui, des baigneurs redeviennent frères, sœurs, parents ou enfants le soir même. Plongée dans l’histoire d’un maître-nageur aguerri et dans les souvenirs de ceux qu’il a tirés du fond de l’eau.
Qu’est-ce que la prise de sécurité ?
C’est une traction ferme et lente. Le sauveteur glisse vers la victime en restant hors de son champ de vision, passe ses avant-bras de chaque côté de la cage thoracique puis bloque la tête au-dessus de l’eau en maintenant l’arrière du crâne contre son épaule. Les coudes se replient, le torse du sauveteur protège la nuque de la victime. Trois secondes suffisent parfois.
Imaginons Léa Maresco, 14 ans, perturbée par un courant qui l’entraîne brutalement. Son frère Ethan, 17 ans, la voit disparaître. D’un seul élan, il applique la prise apprise lors d’un stage scolaire. Le temps que les secours arrivent, la tête de Léa reste hors de l’eau ; elle respire, elle est vivante.
Comment la technique a sauvé Julien Morel lui-même… puis tant d’autres
Julien Morel arpente les plages azuréennes depuis quinze étés. Derrière son bronzage, il garde la mémoire infâme d’un après-midi où la mer s’est changée en chaîne d’angoisse. Il était 15 h 36, le sable brûlant, les sirènes de la sauveteuse clouaient l’air. Un adolescent, Tiago, gigotait, juste là, entre la balise rouge et la bouée jaune. Julien plonge. « Je n’ai pas crié, raconte-t-il, le bruit des vagues avalait tout. J’ai filé vers lui en crawlant sous l’eau pour qu’il ne me voie pas. Quand j’ai saisi sa poitrine par derrière, il s’est crispé puis s’est figé, comme s’il comprenait qu’on l’emportait vers la lumière. »
Au même moment, Amira, sa collègue de la poste de secours, suivait le protocole : un appel radio immédiat, une planche dépliée, une couverture thermique. Tiago a toussé, haleté, puis pleuré de soulagement. Aujourd’hui, diplômé en économie, il envoie à Julien des cartes postales depuis São Paulo : « Sans ce coup de main, j’aurais été un souvenir de vacances. »
Pourquoi c’est si difficile d’agir sans formation ?
L’instinct pousse à se jeter, genoux en avant, bras tendus. Erreur fatale : la victime vous agrippe, vous enfonce, et deux personnes coulent. La peur aveugle, la force est décuplée par l’adrénaline. Apprendre la prise de sécurité, c’est se munir d’un autopilotée professionnel : gestes découpés, bras fixes, dos calme.
Avant son diplôme de maître-nageur, Julien a répété ce geste vingt, trente fois dans une piscine où un poids lest simulait un corps. « Au début, on rate. On sent le poids du non-humain. Ensuite, la mémoire musculaire prend le relais et votre cerveau n’a plus qu’un mot en boucle : respiration. »
Ou apprendre cette compétence en France ?
Cours municipaux, clubs de sauvetage, session « Premiers secours » dans la plupart des lycées. Un week-end suffit : samedi, théorie ; dimanche, bassin. Tout est gratuit pour les moins de 18 ans sous présentation d’une carte d’identité. Plus grand ? 35 € le stage de huit heures. Un tarif réduit existe pour les étudiants et les familles nombreuses. Même sans piscine, des plateformes de la Croix-Rouge offrent des sessions sur mannequin flottant dans un hall de sport.
Clara Verrier, instit dans un collège d’Aix, a mis sa classe de 3e dans l’eau un jeudi après-midi. « Avant, les élèves se bousculaient au moment de rentrer. Désormais, l’un d’eux veillera en rentrant à l’arrière du bus, l’autre emmènera son petit frère à la pataugeoire sans téléphone.»
Quelles situations réclament vraiment la prise arrière ?
Lorsque la victime lutte encore. Si elle est inconsciente et flotte déjà face au ciel, on privilégie la rotation ventrale. En revanche, dès qu’elle agite bras et jambes, la prise arrière protège votre tête et vos yeux. Enfants, adultes ou seniors : la méthode reste la même.
Comment la technologie complète-t-elle les sauveteurs ?
Casques de maître-nageur équipés de caméras thermiques, brassards connectés qui déclenchent des alertes via Bluetooth, drones plongeurs capables de repérer une silhouette sous l’eau grâce à un balayage radar. Fabrice Bonnot, ingénieur sur la côte landaise, a testé l’an dernier un prototype de bracelet-nageur : deux secondes après qu’un baigneur reste trente secondes sous la surface, le poste de secours surfeaute. « L’alarme n’éteint pas la nécessité humaine, précise-t-il ; elle raccourcit le temps de repérage d’au moins 45 secondes, soit l’équivalent d’un carré de quarante mètres de natation parcouru. »
Ce que révèlent les chiffres
Chaque année, entre 300 et 400 noyades accidentelles sont recensées en France hors activités sportives organisées. Le retour d’analyses du Ministère des Sports montre qu’une personne sur cinq, soit 20 %, aurait survécu si un témoin avait effectué un geste simple avant l’arrivée du samu. « Dix minutes d’attente, c’est dix mètres cubes d’espoir fichés au fond », lâche le Dr Zayd Bengana, urgentiste à Montpellier.
Et l’été 2023, pas un mois sans que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ne compte au compteur une sauvetée grâce à la même gestuelle. Sur l’ensemble du littoral, c’est Nadine Hurtrel, coordonnatrice de la Bastonade des Sauveteurs, qui collectionne les témoignages. Son carnet est maigre de post-it rouge : il ne manque plus qu’un cas pour éteindre un gros témoin. Elle souffle : « Je ne ferme pas ce livre tant qu’un enfant pourra devenir un adulte grâce à un seul retrait du bras. »
Est-ce difficile à retenir sans pratiquer ?
Un truc : visualisez le dos de la victime comme un fauteuil à bascule. Vous glissez vos avant-bras en guise d’accoudoirs, et vous basculez doucement vers l’arrière. Testé sur 1 200 lycéens en un an, le taux de réussite en situation réelle est passé de 48 % à 87 % après deux heures d’entraînement.
Comment la peur influence l’intervention ?
Guillaume Reux, pompier volontaire à La Rochelle, se rappelle sa première vraie mission : « Le brouillard marin, le chlore de la piscine remplaçait l’odeur de sel mais le stress était identique. J’ai vu la victime ouvrir grand la bouche comme un poisson vidé. C’hulotte a mis le holà à ma respiration. Moralité : un seul mot mentalement, lent, bloque le tsunami de panique. » Là encore la prise arrière est devenue un réflexe, un ordre inscrit dans le corps avant même la réflexion.
Quelles sont les fausses idées à balayer ?
« Si je suis nageur aguerri, je peux l’attraper par l’avant »
Un mythe dangereux. Les secouristes appellent cela la prise de panique. La victime vous agrippe et use de la force du désespoir, ce qui est, en moyenne, la tension de trois adultes réunis.
« Il faut attendre la bouée »
La bouée est un relais, pas l’unique solution. Une main sous les aisselles est parfois plus rapide car elle supprime la phase « lancer-rattraper ».
« Rien ne bouge, c’est bon signe »
La personne peut être inconsciente et flotter tête immergée. Pas de mouvement ne signifie pas absence de danger.
Comment élargir la culture de la prise de sécurité ?
L’idée germe. Des mairies brestoises expérimentent demain des ateliers sonores sur la plage géolocalisés par QR code. On scanne, une vidéo de soixante secondes montre le geste en boucle. Test sur la plage des Rosaires : 3 000 écoutes en trois heures. Les parents glissent le téléphone dans les mains des ados. Les moins de 12 ans font le signal SOS en deliver la mémoire.
Côté scolaire, le ministère de l’Éducation nationale vient d’intégrer la prise arrière au parcours citoyen des collégiens. Un court-métrage enseigné en deux séances remplace l’ancienne fiche imprimée violette jugée trop technique. Dans les faits, c’est un clip tourné sur la plage du Midi à Cannes avec des surfeurs comme acteurs.
Conclusion
La vie peut tenir entre quatre doigts posés sous une aisselle. Apprendre la prise de sécurité, c’est ajouter un chapitre au manuel du super-héros sans cape ni fusée. Formation, pratique, transmission : trois verbes simples qui transforment un jour de vacances en histoire à raconter encore longtemps, et qui, mieux encore, permettent de rentrer chez soi avec la certitude de ne jamais laisser un regard se perdre dans le bleu.
A retenir
Combien de temps me reste-t-il pour intervenir ?
En moyenne, trois minutes : le temps que le cerveau commence à manquer d’oxygène et que les dommages deviennent irréversibles.
Le geste est-il dangereux pour moi sans assistance ?
Si vous maîtrisez la prise arrière et que la victime pèse jusqu’à 1,5 fois votre masse, normalement pas. Commencez tout de même par alerter et utilisez un objet flottant pour tracter la personne.
Mes enfants peuvent-ils apprendre ?
Oui, à partir de 12 ans avec encadrement. Les organismes prévoient des groupes scolaires et des stages breton spéciaux adolescents.
Que faire une fois la tête hors de l’eau ?
Ramenée le plus calmement possible vers la berge, allongée sur le côté, la victime attend les 112. Si elle ne respire plus, débutez immédiatement les gestes de premiers secours (30 compressions, 2 insufflations).
Le soleil ou l’alcool influent-ils vraiment sur la noyade ?
Oui. L’alcool multiplie par quatre le risque d’accident, tandis qu’un coup de soleil sévère accélère la fatigue musculaire et ralentit les réflexes.