Chaque année, des milliers de Français se lancent dans l’aventure de la création d’entreprise. Parmi eux, beaucoup choisissent une forme juridique méconnue mais pourtant particulièrement adaptée à certaines activités : l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, ou EIRL. Ce statut, apparu en 2010, permet à l’entrepreneur de protéger son patrimoine personnel tout en conservant la simplicité d’une entreprise individuelle. Pourtant, malgré ses avantages, l’EIRL reste sous-utilisée, souvent reléguée au profit de la SARL ou de l’auto-entreprise. Quelles sont les véritables spécificités de ce statut ? Pour qui est-il adapté ? Et quels pièges faut-il éviter lors de sa mise en place ? À travers le parcours de plusieurs créateurs d’entreprise, découvrons les atouts, les limites et les réalités du quotidien de l’EIRL.
Pourquoi choisir l’EIRL plutôt qu’une entreprise classique ?
L’EIRL s’inscrit dans une logique de protection du patrimoine personnel. Contrairement à l’entreprise individuelle classique, où l’entrepreneur engage l’ensemble de ses biens — y compris sa résidence principale ou ses comptes bancaires — en cas de dettes, l’EIRL permet de distinguer clairement les actifs professionnels des biens personnels. Cette séparation n’est pas automatique : elle doit être formalisée par une déclaration d’affectation de patrimoine. C’est ce document, déposé au greffe du tribunal de commerce, qui détermine quels biens seront engagés dans l’activité professionnelle.
Camille Rousseau, graphiste indépendante installée à Bordeaux, a opté pour l’EIRL après avoir travaillé pendant trois ans en auto-entreprise. « J’avais un bon chiffre d’affaires, mais je dormais mal en pensant que si un client me poursuivait pour un retard de livraison ou un malentendu sur un contrat, je pouvais perdre mon appartement », confie-t-elle. « En passant à l’EIRL, j’ai pu isoler mon matériel informatique, mes logiciels et une partie de mes revenus professionnels. Mon patrimoine privé, comme mon appartement ou mon compte courant, est désormais protégé. »
Comment fonctionne la déclaration d’affectation de patrimoine ?
La déclaration d’affectation de patrimoine est le pilier juridique de l’EIRL. Elle doit être déposée dans les 30 jours suivant le début de l’activité ou la transformation d’une entreprise individuelle classique. Ce document liste les biens affectés à l’entreprise : matériel, véhicules, fonds de commerce, espèces, voire parts sociales dans d’autres sociétés. Il peut aussi inclure des biens immobiliers, à condition qu’ils soient utilisés exclusivement ou principalement à des fins professionnelles.
Attention toutefois : cette déclaration n’est pas figée. Elle peut être modifiée à tout moment, en cas d’achat de matériel, de développement de l’activité ou de changement de stratégie. Mais chaque modification doit faire l’objet d’une nouvelle publication légale et d’un dépôt au greffe. Ce processus, bien qu’encadré, peut s’avérer lourd pour certains entrepreneurs.
Antoine Mercier, artisan charpentier dans l’Ain, a mis deux mois pour finaliser sa déclaration. « J’ai dû faire expertiser mon camion, mes outils et même mon atelier, car il est attenant à ma maison », explique-t-il. « Le notaire m’a conseillé de bien évaluer chaque bien, car en cas de liquidation, ce sont ces valeurs qui serviront de base. »
Quels biens peuvent être inclus dans l’EIRL ?
Tous les biens destinés à l’activité peuvent être affectés, à condition qu’ils soient clairement identifiés. Cela inclut les biens mobiliers (ordinateurs, machines, véhicules), les créances professionnelles, les fonds de commerce, mais aussi les biens immobiliers. Par exemple, un entrepreneur qui exerce depuis son domicile peut décider d’affecter une partie de sa maison à l’entreprise, à condition de pouvoir justifier une utilisation professionnelle majoritaire.
C’est ce qu’a fait Léa Nguyen, coach en développement personnel à Lyon. « J’ai aménagé une pièce entière en bureau, avec accès séparé pour mes clients. J’ai pu l’inclure dans mon patrimoine affecté, ce qui me permet de déduire une partie des charges liées à cette pièce : électricité, chauffage, internet », précise-t-elle. « Mais il faut garder les justificatifs : en cas de contrôle, l’administration peut demander des photos, des plans ou des attestations. »
Quelle est la responsabilité de l’entrepreneur en cas de dettes ?
En cas de difficultés financières, seul le patrimoine affecté à l’entreprise peut être saisi pour rembourser les créanciers professionnels. Le reste — biens personnels, comptes privés, résidence principale non affectée — reste protégé. Cette limitation de responsabilité est un avantage majeur, surtout pour les professions réglementées ou celles exposées à des risques contractuels.
Cependant, cette protection n’est pas absolue. Si un créancier estime que la déclaration d’affectation a été faite pour dissimuler des biens ou frauder les dettes, il peut contester la séparation devant le juge. De plus, les dettes antérieures à la création de l’EIRL ou les dettes personnelles (impôts sur le revenu, crédits à la consommation) restent liées au patrimoine global de l’entrepreneur.
Samir Benhima, consultant en cybersécurité, a vécu une situation tendue lorsqu’un client a fait faillite sans régler une prestation de 45 000 €. « J’ai dû engager une procédure de recouvrement. Heureusement, j’avais bien structuré mon EIRL. Même si je n’ai pas récupéré l’intégralité de la somme, mon appartement et mes économies n’ont jamais été menacés », raconte-t-il. « Sans l’EIRL, j’aurais pu être contraint de vendre mon bien pour régler les charges sociales ou les fournisseurs. »
Quels sont les régimes fiscaux possibles avec l’EIRL ?
L’EIRL n’est pas un régime fiscal à part entière. Elle peut relever de plusieurs statuts fiscaux : régime de l’impôt sur le revenu (BIC, BNC), ou opter pour l’impôt sur les sociétés (IS). Le choix dépend de la nature de l’activité, du niveau de revenus et des objectifs de l’entrepreneur.
L’option pour l’IS est particulièrement intéressante pour les EIRL réalisant de forts bénéfices. Elle permet de bénéficier d’un taux d’imposition plus faible que le barème progressif de l’impôt sur le revenu, surtout au-delà de 50 000 € de bénéfices annuels. En revanche, elle implique des obligations comptables plus lourdes et la perte du régime de la déclaration contrôlée.
Julien Kessler, développeur de logiciels à Toulouse, a opté pour l’IS après avoir dépassé les 70 000 € de bénéfices. « Je gagnais bien ma vie, mais je me retrouvais dans la tranche à 45 % d’imposition. En passant à l’IS, je paie 25 % sur les bénéfices réinvestis, et je peux me verser un salaire plus modéré, avec des charges sociales optimisées », explique-t-il. « C’est un peu plus complexe à gérer, mais mon expert-comptable m’accompagne bien. »
Les cotisations sociales dépendent du régime fiscal choisi. Sous le régime de l’impôt sur le revenu, l’entrepreneur paie des cotisations sociales calculées sur ses bénéfices, via le RSI (ou Urssaf depuis 2018). Le taux varie selon l’activité (artisan, commerçant, profession libérale), mais tourne autour de 45 % des bénéfices imposables.
En cas d’option pour l’IS, l’entrepreneur peut se verser un salaire, soumis à cotisations patronales et salariales, comme dans une société. Il peut aussi prélever des dividendes, soumis à prélèvements sociaux mais non à cotisations retraite. Cette flexibilité permet une meilleure optimisation de la rémunération, mais nécessite une gestion rigoureuse.
« Au début, je pensais que l’EIRL me coûterait plus cher en charges », avoue Camille Rousseau. « En réalité, avec un bon accompagnement comptable, j’ai réussi à réduire ma pression fiscale tout en augmentant mes cotisations retraite. C’est un équilibre délicat, mais atteignable. »
Peut-on cumuler EIRL et emploi salarié ?
Oui, l’EIRL est compatible avec un statut de salarié, à condition de respecter certaines règles. Le cumul d’activité est autorisé, mais l’entrepreneur doit s’assurer que son contrat de travail ne contient pas de clause d’exclusivité. De plus, il doit déclarer son activité secondaire à son employeur si celle-ci entre en concurrence avec son poste.
Élodie Faure, professeure de musique dans un conservatoire, donne des cours particuliers en EIRL. « Mon employeur était au courant, car j’utilise mon nom d’artiste pour mes activités parallèles », précise-t-elle. « Je dois déclarer mes revenus, bien sûr, mais cela me permet de compléter mon salaire et de développer mon réseau. »
Quels sont les inconvénients de l’EIRL ?
Malgré ses atouts, l’EIRL présente des limites. La complexité administrative est souvent citée : déclaration d’affectation, publication au BODACC, modifications régulières, obligations comptables. Pour certains entrepreneurs, cela représente une charge trop lourde par rapport aux bénéfices attendus.
De plus, l’EIRL ne permet pas de partager le capital ou les bénéfices avec des associés. Si l’activité évolue vers un projet collectif, il faudra opter pour une autre structure, comme une SARL ou une SAS. Enfin, la perception bancaire ou clientèle peut être moins favorable qu’avec une société, certains partenaires voyant encore l’EIRL comme une « entreprise individuelle un peu améliorée ».
« J’ai perdu un appel d’offres parce que le client voulait travailler avec une structure juridique plus solide », regrette Antoine Mercier. « Même si juridiquement, mon EIRL est protégée, certains n’y croient pas. »
Comment passer d’une auto-entreprise à l’EIRL ?
La transformation d’une auto-entreprise en EIRL est possible à tout moment, sans limite de chiffre d’affaires. Il suffit de déposer la déclaration d’affectation de patrimoine et de publier l’information dans un journal d’annonces légales. Les obligations fiscales et sociales restent initialement les mêmes, mais l’entrepreneur peut ensuite opter pour d’autres régimes.
Camille Rousseau a effectué cette transition en 2022. « Je dépassais les seuils de chiffre d’affaires, mais je ne voulais pas créer une SARL. L’EIRL était la solution idéale : je gardais ma simplicité administrative, tout en gagnant en protection. »
Quel accompagnement est nécessaire pour bien gérer une EIRL ?
La plupart des entrepreneurs qui réussissent avec l’EIRL s’appuient sur un réseau de professionnels : expert-comptable, avocat, notaire. La mise en place de la déclaration d’affectation, le choix du régime fiscal, la gestion des contrats ou la préparation aux contrôles exigent une expertise que peu maîtrisent seuls.
« Je paie mon expert-comptable 1 200 € par an, mais il me fait gagner bien plus en optimisation fiscale et en sérénité », affirme Julien Kessler. « Sans lui, je n’aurais jamais osé passer à l’IS. »
A retenir
L’EIRL protège-t-elle totalement le patrimoine personnel ?
Oui, mais uniquement en cas de dettes professionnelles et à condition que la déclaration d’affectation de patrimoine soit correctement établie. Les dettes personnelles ou antérieures restent liées au patrimoine global de l’entrepreneur.
Faut-il être imposée à l’IS pour bénéficier de la responsabilité limitée ?
Non. La protection du patrimoine est effective dès la création de l’EIRL, quel que soit le régime fiscal choisi. L’option pour l’IS est une décision fiscale, pas une condition à la limitation de responsabilité.
Peut-on créer une EIRL dans tous les secteurs d’activité ?
Oui, l’EIRL est ouverte à tous les entrepreneurs individuels : artisans, commerçants, professions libérales, prestataires de services, etc. Elle est particulièrement adaptée aux activités à risques ou aux entrepreneurs possédant un patrimoine à protéger.
Quel est le coût de création d’une EIRL ?
Les frais sont relativement modérés : publication légale (environ 200 à 300 €), dépôt au greffe (moins de 100 €), éventuellement des honoraires de notaire ou d’expert-comptable. Il n’y a pas de capital minimum à investir.
L’EIRL est-elle un bon compromis entre simplicité et protection ?
Oui, pour beaucoup d’entrepreneurs, l’EIRL représente un juste milieu entre la liberté de l’entreprise individuelle et la sécurité d’une société. Elle permet de grandir sereinement, sans se complexifier inutilement.