Dans un recoin oublié des Vosges lorraines, là où les forêts recouvrent lentement les vestiges d’un passé industriel, une ressource longtemps négligée s’impose aujourd’hui comme une promesse d’avenir. Un gisement de manganèse, endormi depuis les années sombres de la Seconde Guerre mondiale, vient d’être réévalué à plus de 18 milliards d’euros. Cette estimation, issue de technologies de pointe et d’analyses géologiques poussées, relance un espoir bien concret : celui d’un renouveau économique pour une région marquée par les fermetures d’usines et l’exode des jeunes. Ce n’est pas seulement un chiffre qui impressionne, c’est un scénario de transformation qui se dessine, mêlant innovation, emploi et responsabilité environnementale.
Quelle est l’origine de cette découverte inattendue ?
Le gisement, repéré dès 1943 lors de prospections menées dans l’urgence du conflit, n’avait jamais été exploité. À l’époque, les techniques d’extraction étaient insuffisantes pour extraire efficacement le minerai, et les conditions politiques et logistiques rendaient toute opération complexe. L’oubli s’est installé, jusqu’à ce qu’une équipe de géologues, menée par Étienne Laurent, décide de réexaminer les données historiques à la lumière des technologies modernes. Grâce à des scanners sismiques, des drones équipés de capteurs magnétiques et des modélisations 3D, l’équipe a pu cartographier avec une précision inédite la géologie du sous-sol. Le résultat a dépassé toutes les attentes : une concentration de manganèse bien plus élevée que prévue, sur une étendue de plusieurs kilomètres carrés.
« On pensait tomber sur un dépôt mineur, un vestige historique sans grande valeur économique », confie Étienne Laurent, géologue à l’Institut des Ressources Minérales de Nancy. « Mais les données nous ont montré une richesse exceptionnelle. Ce n’est pas seulement un minerai, c’est un véritable réservoir stratégique. »
Pourquoi cette découverte est-elle si significative aujourd’hui ?
Le manganèse, souvent méconnu du grand public, est un métal crucial pour l’industrie moderne. Il entre dans la composition de plus de 90 % de l’acier produit dans le monde, améliorant sa résistance et sa durabilité. Mais son rôle s’est étendu ces dernières années avec l’essor des technologies vertes. Il est désormais un composant clé des batteries lithium-ion, notamment celles utilisées dans les véhicules électriques. Avec l’Europe cherchant à réduire sa dépendance aux importations de matières premières, la découverte d’un gisement de cette ampleur en France devient un enjeu géopolitique.
« Jusqu’ici, nous importions notre manganèse d’Afrique du Sud, du Gabon ou d’Australie », explique Camille Dubreuil, ingénieure en métallurgie au CNRS. « Avoir une source locale, sécurisée et contrôlée, change la donne. Cela permettrait de renforcer la chaîne de valeur européenne dans les batteries, et donc d’accélérer la transition énergétique. »
Quels effets économiques et sociaux pourrait avoir cette exploitation ?
La perspective d’une mine opérationnelle ravive des souvenirs chez les habitants de Thionville, Briey ou Longwy, villes qui ont vu prospérer puis décliner l’industrie sidérurgique. Aujourd’hui, la région affiche des taux de chômage supérieurs à la moyenne nationale, et de nombreux jeunes partent poursuivre leurs études ou carrières ailleurs. Le retour de l’activité minière pourrait inverser cette tendance.
Les estimations parlent de 1 500 emplois directs sur une période de 20 à 30 ans, auxquels s’ajoutent des milliers d’emplois indirects : transport, maintenance, ingénierie, sécurité, services. Des entreprises locales, comme celle de Julien Mercier, un entrepreneur en maintenance industrielle basé à Metz, voient déjà des opportunités. « On travaille déjà avec des groupes miniers en Afrique. Si un projet se lance ici, on peut former des techniciens locaux, créer des ateliers, des centres de formation. C’est une chaîne de valeur qu’on peut reconstruire. »
Pour Clémentine Royer, enseignante dans un lycée professionnel à Forbach, cette perspective est une chance éducative. « On pourrait adapter nos programmes pour former des jeunes aux métiers de la géologie, de l’environnement, de la logistique. Ce serait un retour de fierté pour une génération qui se sent parfois oubliée. »
Les habitants sont-ils favorables à ce projet ?
Le sentiment général est marqué par un mélange d’espoir et de prudence. À Saint-Avold, où une ancienne mine de charbon a fermé en 1987, le souvenir des pertes d’emplois reste vif. Mais cette fois, les choses semblent différentes. « On a vu des usines fermer, des familles partir », raconte Léa Berthier, retraitée de 68 ans. « Si ce projet peut redonner du travail aux jeunes, sans détruire la nature, alors il faut le tenter. »
Des comités citoyens se sont formés, réunissant habitants, élus locaux et experts, pour discuter des modalités du projet. Le mot d’ordre est clair : transparence, concertation, durabilité.
Quels sont les risques environnementaux et comment les maîtriser ?
L’extraction minière reste une activité lourde en impacts. Le manganèse, bien que moins toxique que d’autres métaux lourds, peut contaminer les sols et les eaux souterraines s’il n’est pas géré correctement. Les déchets miniers, ou stériles, posent également question : où les stocker ? Comment éviter les infiltrations ?
Pourtant, les technologies ont fait des progrès considérables. Le traitement hydrométallurgique, par exemple, permet d’extraire le métal avec des solutions chimiques recyclables, réduisant drastiquement les rejets. De plus, les nouvelles mines intègrent dès la conception des plans de réhabilitation du site. « On ne parle plus d’exploitation puis abandon », souligne Thomas Guérin, ingénieur en environnement. « On parle d’un cycle complet : extraction, valorisation, et remise en état du territoire. »
Les entreprises intéressées par le projet, dont une filiale du groupe Eramet et un consortium franco-allemand, ont déjà présenté des cahiers des charges ambitieux. Ils s’engagent à utiliser 100 % d’énergie renouvelable pour les opérations de surface, à traiter les eaux de drainage sur site, et à impliquer des biologistes pour surveiller la faune et la flore.
Comment éviter les erreurs du passé ?
Les erreurs des siècles passés — pollution, déforestation, dégradation des sols — ne doivent pas se répéter. C’est ce que martèle Sophie Lenoir, coordinatrice du projet de surveillance environnementale. « Nous allons installer des capteurs en continu, créer des zones tampons, et publier des rapports trimestriels accessibles à tous. La confiance, c’est ça. »
Quel avenir pour le manganèse de Lorraine ?
Au-delà de l’exploitation, le gisement ouvre des perspectives inédites. Des partenariats sont déjà en discussion entre les universités de Lorraine, le CNRS et des centres de recherche allemands pour étudier de nouveaux procédés d’extraction, plus efficaces et moins énergivores. Un pôle d’innovation pourrait naître, combinant recherche, formation et industrie.
Le manganèse lorrain pourrait aussi alimenter des usines de recyclage de batteries, intégrées à une économie circulaire. « Imaginons un jour où les batteries des voitures électriques françaises soient fabriquées avec du manganèse extrait en France, puis recyclées ici même », avance Camille Dubreuil. « Ce serait un modèle vertueux, exportable. »
Le gouvernement suit de près le dossier. Un comité interministériel a été mis en place pour évaluer la faisabilité technique, économique et environnementale. Si les conditions sont remplies, les premiers travaux pourraient commencer d’ici 2027.
Le manganèse peut-il redessiner l’identité de la Lorraine ?
La région, longtemps associée à l’acier et au charbon, pourrait devenir un laboratoire de la transition écologique et industrielle. Ce n’est pas une nostalgie du passé, mais une réinvention. « La Lorraine a toujours été une terre d’innovation », rappelle Étienne Laurent. « Elle l’était avec la sidérurgie, elle peut l’être avec les métaux du futur. »
A retenir
Quelle est la valeur estimée du gisement de manganèse ?
Le gisement, réévalué grâce à des technologies modernes, est estimé à plus de 18 milliards d’euros, en raison de la quantité et de la qualité du minerai découvert.
Pourquoi le manganèse est-il stratégique ?
Le manganèse est essentiel à la production d’acier et devient de plus en plus important dans les batteries pour véhicules électriques, ce qui en fait une ressource clé pour l’industrie et la transition énergétique.
Combien d’emplois ce projet pourrait-il créer ?
On estime à environ 1 500 le nombre d’emplois directs, auxquels s’ajoutent des milliers d’emplois indirects dans les secteurs de la logistique, de la maintenance, de la recherche et des services.
Quelles précautions sont prises pour protéger l’environnement ?
Le projet s’appuie sur des technologies modernes comme le traitement hydrométallurgique, des systèmes de surveillance continue, et des plans de réhabilitation. Les entreprises s’engagent à respecter les normes environnementales les plus strictes.
Quand l’exploitation pourrait-elle commencer ?
Si les études de faisabilité sont concluantes et les autorisations accordées, les premiers travaux pourraient débuter vers 2027, après une phase de concertation et d’ingénierie détaillée.
Le manganèse de Lorraine pourrait-il être utilisé dans les batteries vertes ?
Oui, le manganèse extrait pourrait alimenter des chaînes de production de batteries lithium-ion, notamment dans le cadre d’un développement local de la mobilité électrique et du recyclage des accumulateurs.
La Lorraine, terre de mémoire industrielle, tient peut-être entre ses sous-sols les clés d’un avenir renouvelé. Ce gisement n’est pas seulement une ressource, c’est une opportunité : celle de concilier emploi, innovation et respect de l’environnement. Et pour ceux qui vivent ici depuis toujours, comme Léa Berthier ou Julien Mercier, c’est surtout un signe : la région n’est pas finie. Elle se transforme.