Un GPS trop malin ? Ce raccourci improbable sur l’A75 fermé en 2025 pour sécurité

Un samedi d’août, le soleil tape fort sur le causse. Sur l’A75, entre Lodève et le tunnel du Pas de l’Escalette, les files de voitures serpentent à allure d’escargot. Les vacanciers, pressés de rallier les Cévennes ou l’Ardèche, scrutent leurs écrans GPS dans l’espoir d’un miracle : un raccourci. Ce 9 août, ce miracle s’est transformé en cauchemar pour certains, et en alerte rouge pour les autorités locales. Le chemin de la Lergue, modeste voie rurale longeant l’autoroute, a vu déferler un flot inattendu de conducteurs désireux d’échapper aux embouteillages. Une situation qui a poussé la maire de Soubès, Isabelle Périgault, à prendre une décision sans appel : fermer l’accès au gué de l’Oulette. Ce geste, à la fois symbolique et concret, résonne comme un signal d’alarme face à l’emprise croissante des algorithmes de navigation sur nos choix de déplacement.

Pourquoi les automobilistes ont-ils emprunté le chemin de la Lergue ?

La réponse tient en un mot : le GPS. Ce jour-là, alors que les bouchons s’étiraient sur plusieurs kilomètres en direction du nord, les applications de navigation ont suggéré des itinéraires alternatifs pour éviter les retards. Pour certains, cela a signifié quitter l’A75 à l’échangeur n° 50, prendre la RD25, puis bifurquer vers le parc d’activité des Arques. D’autres, plus audacieux ou moins attentifs, ont suivi les indications jusqu’au chemin de la Lergue. Ce tronçon, initialement conçu pour desservir une station d’épuration et quelques habitations isolées, n’était pas prévu pour accueillir des flots de berlines, SUV et même camping-cars.

Émilie Rouvier, habitante de Soubès depuis vingt ans, raconte : « J’étais en train de ramasser mes tomates quand j’ai vu passer une Mercedes classe A, puis une caravane. Je me suis dit : “Mais où vont-ils ?” Puis j’ai compris en voyant les embouteillages sur l’autoroute. Ils suivaient leur téléphone. »

Le chemin, long de quatre kilomètres, traverse d’abord une zone industrielle, puis s’enfonce dans les vignes. Le revêtement, correct sur les premiers hectomètres, devient vite inégal, étroit, parfois boueux après une averse. Aucun marquage au sol, aucun panneau d’interdiction – jusqu’à récemment. Les automobilistes, confiants dans leur technologie, s’y sont engagés sans mesurer les risques.

Quels dangers ce passage improvisé a-t-il fait surgir ?

Un risque majeur pour la sécurité des usagers

Sur cette portion de chemin, la largeur ne dépasse pas 2,5 mètres par endroits. Impossible de croiser un véhicule venant en sens inverse sans manœuvrer périlleusement. Et si un véhicule tombe en panne ? « On n’a pas de dépanneuse capable de s’engager là-dedans », explique Jérôme Lassalle, gérant d’un garage à Pégairolles. « Une panne en plein milieu, et c’est bloqué pour tout le monde. Et les secours ? Bonne chance pour faire passer une ambulance ou un camion de pompiers. »

Ces craintes ne sont pas théoriques. Début août, un camping-car a calé après avoir heurté un rocher. Il a fallu deux heures pour le dégager, avec un treuil. Pendant ce temps, les quelques riverains du chemin, mais aussi les agriculteurs qui y accèdent pour leurs parcelles, étaient coupés du monde.

Une menace pour l’environnement et le patrimoine local

Le chemin de la Lergue traverse une zone sensible, à la fois agricole et écologique. Le passage répété de véhicules lourds ou surbaissés endommage le sol, compacte la terre, fragilise les berges du ruisseau voisin. « On a vu des traces de pneus dans les vignes, des haies écrasées », déplore Antoine Fargue, viticulteur bio installé à mi-parcours du chemin. « Ce n’est pas du tout adapté. Mes vendanges sont dans deux semaines, et je ne sais pas si je pourrai accéder à mes cuves. »

De plus, le site est traversé par un gué, le gué de l’Oulette, qui n’est pas conçu pour supporter un trafic motorisé soutenu. L’eau stagnante, les pierres glissantes, l’absence de garde-corps : autant de dangers invisibles pour un conducteur pressé.

Quelle a été la réponse de la municipalité ?

Une fermeture préventive au gué de l’Oulette

Face à l’urgence, Isabelle Périgault, maire de Soubès, a pris un arrêté municipal interdisant l’accès au chemin au niveau du gué. « Ce n’était pas une décision prise à la légère », précise-t-elle. « Nous avons d’abord alerté les services départementaux, mais les délais étaient trop longs. Le risque était immédiat. »

La fermeture s’est faite par la mise en place d’un barrage physique : deux plots en béton, une barrière métallique, et des panneaux d’interdiction. « On ne cherche pas à punir les gens, mais à les protéger », insiste la maire. « Et à protéger notre territoire. Ce chemin coûte cher à entretenir, et on ne peut pas laisser des automobilistes venus de Lyon ou de Bruxelles le détruire en une journée. »

Une mesure qui fait débat

Si la majorité des habitants approuvent la décision, quelques voix s’élèvent. « On comprend la sécurité, mais ils auraient pu mettre une signalisation avant, pas juste fermer », tempête Lucien Vasseur, retraité de Gignac, qui emprunte parfois le chemin pour rejoindre son vignoble. « Maintenant, je dois faire un détour de quinze minutes. »

La municipalité assure que des solutions alternatives sont en discussion : signalisation renforcée, partenariats avec les éditeurs de GPS, et peut-être un marquage spécifique sur les cartes numériques. « On ne peut pas lutter contre la technologie avec des barrières de bois », sourit Isabelle Périgault. « Il faut qu’elle intègre nos réalités de terrain. »

Les GPS sont-ils responsables de ces dérives ?

Des algorithmes aveugles aux spécificités locales

Les applications de navigation comme Waze, Google Maps ou Apple Maps utilisent des algorithmes basés sur la vitesse moyenne, la densité du trafic, et la distance. Elles privilégient le temps, pas la sécurité ou la praticabilité. « Elles ne savent pas qu’un chemin de 2 mètres de large, c’est impraticable pour un camion », explique Thomas Bréhier, ingénieur en mobilité à Montpellier. « Elles ne voient pas non plus les risques environnementaux ou les contraintes agricoles. »

Or, ces suggestions deviennent de plus en plus fréquentes en période de forte circulation. En 2023, près de 60 % des conducteurs ont déclaré avoir suivi un itinéraire alternatif proposé par leur GPS lors d’un trajet en vacances. Et parmi eux, 23 % ont emprunté une route qu’ils ne connaissaient pas du tout.

Un phénomène national, voire européen

Le cas de Soubès n’est pas isolé. En Ardèche, des villages ont dû fermer des chemins forestiers envahis par les caravanes. Dans les Alpes, des routes de montagne non sécurisées ont vu passer des flots de touristes orientés par leur GPS. En 2022, un automobiliste a même tenté de traverser une rivière à gué en Corse, provoquant un appel massif des secours.

« On assiste à une déresponsabilisation du conducteur », analyse Sophie Dalban, sociologue des mobilités. « Il délègue son jugement à une voix synthétique. Or, la route, c’est du contexte. Il faut savoir lire le terrain, anticiper, adapter. »

Quelles solutions pour éviter que cela se reproduise ?

Améliorer la cartographie numérique

Plusieurs collectivités expérimentent des partenariats avec les géants de la cartographie. L’idée ? Fournir des données précises sur les limitations de poids, de hauteur, ou les interdictions de passage. « On a envoyé les coordonnées GPS du gué, avec des photos, des descriptions », raconte Isabelle Périgault. « On espère que Google Maps mettra à jour son itinéraire d’ici la fin du mois. »

Des initiatives comme OpenStreetMap, portées par des bénévoles, permettent aussi une mise à jour plus fine. Mais elles restent minoritaires face aux géants commerciaux.

Sensibiliser les usagers

La mairie de Soubès envisage de lancer une campagne d’information cet automne. « On veut rappeler que le GPS n’est qu’un outil, pas une autorité », explique la maire. Des affiches seront placardées dans les aires de service, des messages diffusés sur les réseaux sociaux, et des panneaux installés aux abords des échangeurs.

« Il faut réapprendre à conduire », lance Émilie Rouvier, qui milite pour une meilleure éducation à la mobilité. « Regarder la carte papier, anticiper les bouchons, accepter de perdre cinq minutes pour gagner en sécurité. »

Quel avenir pour les chemins ruraux face à la pression touristique ?

Le chemin de la Lergue est un microcosme d’un enjeu plus large : la préservation des espaces ruraux face à l’explosion du tourisme de passage. Les villages, les chemins, les paysages, ne sont pas des circuits touristiques conçus pour le flux. Ils ont une vie propre, des usages spécifiques, des fragilités.

« On ne veut pas être une route de contournement », résume Antoine Fargue, le viticulteur. « On veut juste vivre ici, travailler ici, sans risquer de voir un SUV défoncer notre haie à cause d’un GPS mal réglé. »

Conclusion

La fermeture du chemin de la Lergue n’est pas qu’une mesure administrative. C’est un cri d’alerte lancé par une communauté rurale face à une mobilité déroutée, désincarnée, trop souvent livrée à des algorithmes aveugles. Elle rappelle que la sécurité, l’environnement et la qualité de vie ne se mesurent pas en minutes gagnées. Et que parfois, le meilleur itinéraire, c’est celui qui respecte le territoire qu’il traverse.

FAQ

Le chemin de la Lergue est-il complètement fermé ?

Non, la fermeture concerne uniquement le passage au gué de l’Oulette. Les riverains, les agriculteurs et les services publics peuvent toujours y accéder via des points d’entrée alternatifs, sur justificatif.

Pourquoi les GPS suggèrent-ils des routes inadaptées ?

Les algorithmes cherchent à minimiser le temps de trajet en fonction du trafic en temps réel. Ils ne disposent pas toujours des données précises sur la largeur, la pente, ou les risques d’une route. Cela peut conduire à des suggestions impraticables.

La mairie envisage-t-elle des sanctions contre les contrevenants ?

Pour l’instant, aucune sanction n’est prévue. L’objectif est préventif, pas répressif. Cependant, si des comportements répétés mettent en danger des vies, des mesures d’amende pourraient être étudiées en coordination avec la gendarmerie.

Comment signaler un itinéraire dangereux sur une carte GPS ?

Les utilisateurs peuvent signaler un problème directement via l’application (Google Maps, Waze, etc.). Les collectivités peuvent aussi transmettre des données techniques aux éditeurs de cartes pour mise à jour.

Le chemin sera-t-il rouvert après l’été ?

La fermeture est prévue comme mesure durable, sauf si une solution technique (pont sécurisé, élargissement) est envisagée à long terme. Pour l’instant, aucune étude de faisabilité n’a été lancée.

A retenir

Le 9 août, le chemin de la Lergue a vu défiler des dizaines de véhicules tentant d’éviter les embouteillages sur l’A75. Cette situation, rendue possible par les suggestions de GPS, a mis en danger les usagers et menacé l’intégrité d’un espace rural fragile. La maire de Soubès, Isabelle Périgault, a décidé de fermer l’accès au gué de l’Oulette pour prévenir tout incident. Cette décision illustre un phénomène croissant : la dépendance aux outils numériques de navigation, souvent déconnectés des réalités locales. La sécurité, l’environnement et le respect des territoires doivent rester des priorités face à la quête du gain de temps.