Un frémissement parcourt le sous-sol de la Moselle. À Folschviller, là où les mineurs descendaient jadis extraire le charbon, une nouvelle ressource émerge des profondeurs : de l’hydrogène naturel, piégé à 1 250 mètres sous terre. Ce n’est pas une hypothèse, mais une réalité mesurée, analysée, confirmée par des carottes prélevées lors d’un forage initial destiné à étudier le méthane. La surprise a été de taille : les instruments ont détecté des concentrations inédites, révélant un gisement estimé à 46 millions de tonnes. Une manne qui, si elle est exploitée, pourrait redessiner le paysage énergétique français et européen. Ce n’est plus seulement une perspective, c’est un tournant. Et ce tournant s’inscrit dans une quête mondiale d’énergies sobres, durables, locales. L’hydrogène blanc, comme on l’appelle, pourrait bien devenir le vecteur d’une indépendance énergétique renouvelée.
Qu’est-ce que l’hydrogène naturel et pourquoi cette découverte change la donne ?
L’hydrogène naturel, aussi appelé « hydrogène blanc », n’est pas produit par l’homme. Il se forme spontanément dans les profondeurs de la croûte terrestre, par des réactions entre l’eau et certaines roches riches en fer, comme les péridotites ou les basaltes, lors d’un processus appelé serpentinisation. Contrairement à l’hydrogène gris – dérivé du gaz naturel – ou bleu – capturé après production –, le blanc ne génère aucune émission de CO₂ à la source. Son extraction, si elle est maîtrisée, pourrait offrir une énergie presque neutre en carbone, sans dépendre des panneaux solaires ou des éoliennes.
Camille Lefebvre, géochimiste au laboratoire GeoRessources à Nancy, explique : « Ce que nous observons en Moselle, c’est une production continue de gaz dans des conditions géologiques spécifiques. L’hydrogène s’accumule naturellement, sans intervention humaine. C’est comme si la Terre produisait de l’énergie propre en continu. »
Cette particularité est cruciale. Alors que l’hydrogène vert, produit par électrolyse, nécessite d’immenses quantités d’électricité renouvelable – et donc des infrastructures coûteuses et complexes –, l’hydrogène blanc pourrait être extrait directement, avec un bilan carbone minimal. Son potentiel réside aussi dans sa simplicité : pas besoin de gigantesques usines d’électrolyse, mais des puits, des compresseurs, des canalisations. Un système plus léger, plus rapide à déployer.
Comment le gisement de Folschviller a-t-il été découvert ?
Tout a commencé par un projet inattendu. En 2022, des chercheurs de l’Université de Lorraine, menés par Philippe de Donato, forait dans l’ancien bassin minier de Moselle pour étudier les fuites de méthane dans les galeries abandonnées. Les capteurs, calibrés pour détecter les hydrocarbures, ont soudain enregistré un signal atypique. « On a cru à un dysfonctionnement », raconte Élise Bonnet, ingénieure en géophysique sur le site. « Puis les analyses de gaz ont montré des taux d’hydrogène entre 5 et 15 % dans les échantillons. C’était inédit en France. »
Le site, riche en structures géologiques anciennes, avec des failles et des roches basiques, s’est révélé idéal pour la génération naturelle de ce gaz. Les galeries souterraines, vestiges de l’ère charbonnière, ont permis un accès rapide et peu coûteux aux zones cibles. « Ce patrimoine minier, souvent vu comme un fardeau, devient un atout », souligne Philippe de Donato. « Il nous permet d’aller plus vite, plus loin, avec moins d’impact en surface. »
Depuis, des campagnes de forage complémentaires ont été menées. Des carottes ont été analysées, des flux mesurés. Les données convergent vers une estimation de 46 millions de tonnes d’hydrogène récupérable. Un chiffre colossal, qui, s’il est confirmé, placerait la France parmi les leaders mondiaux de cette ressource encore peu exploitée.
Quel est le potentiel énergétique de cette réserve ?
46 millions de tonnes d’hydrogène naturel, ce n’est pas qu’un nombre impressionnant. C’est une capacité énergétique qui dépasse largement les besoins actuels. Pour mettre cela en perspective : la consommation mondiale d’hydrogène est d’environ 70 millions de tonnes par an, principalement sous forme grise. Le gisement lorrain représenterait donc plus de 60 % de cette production annuelle, rien qu’en ressource locale.
« Si on convertit cela en énergie », explique Thomas Rivière, économiste de l’énergie au CNRS, « on parle d’une production capable de couvrir plusieurs années de besoins industriels et de mobilité lourde en France. C’est une opportunité stratégique pour réduire notre dépendance aux importations d’énergies fossiles. »
Le gaz pourrait alimenter des usines sidérurgiques, des centrales de cogénération, des flottes de camions ou de trains à hydrogène. Il pourrait aussi servir à stocker l’énergie excédentaire des éoliennes et des panneaux solaires, en période de surproduction. « L’hydrogène blanc, c’est la pièce manquante du puzzle », affirme Aïcha M’Barek, ingénieure en transition énergétique. « Il nous donne un vecteur pilotable, stockable, disponible quand on en a besoin. »
Quels sont les défis techniques et environnementaux ?
Pour autant, l’euphorie doit rester mesurée. L’hydrogène naturel n’est pas une solution miracle. Son extraction soulève des questions techniques majeures : la pureté du gaz, la pression dans les réservoirs, la durabilité des flux. « On ne sait pas encore si le gisement se régénère naturellement », précise Camille Lefebvre. « Il faut surveiller les débits sur plusieurs années pour éviter une surexploitation. »
En outre, l’hydrogène est un gaz très volatil, difficile à contenir. Des fuites pourraient compromettre l’intérêt environnemental du projet. Des puits pilotes sont donc en cours de mise en place, équipés de capteurs en continu pour mesurer les émissions, la pression, la composition du gaz. « Chaque forage sera suivi comme un patient en soins intensifs », ironise Élise Bonnet. « On ne prendra aucun risque. »
Une étude d’impact environnemental est également en cours, coordonnée par l’ADEME et le BRGM. Elle doit évaluer les risques de contamination des nappes phréatiques, de séismes induits, ou de perturbations du sol. Le cadre réglementaire reste à définir, car la France n’a pas encore de législation spécifique pour l’exploitation de l’hydrogène naturel.
Quel avenir industriel pour l’hydrogène blanc en Lorraine ?
Malgré les incertitudes, les acteurs locaux s’organisent. Un consortium réunissant l’Université de Lorraine, la Région Grand Est, des collectivités territoriales et des entreprises privées a été formé. Son objectif : transformer la découverte en projet industriel viable d’ici 2030.
« La Lorraine a connu deux révolutions énergétiques : celle du charbon, puis celle de la sortie du charbon », rappelle Laurent Schmitt, président de la métropole du Grand Nancy. « Aujourd’hui, nous pouvons en vivre une troisième, en devenant le berceau de l’hydrogène naturel. »
Des formations spécialisées sont déjà en cours de développement à l’École des Mines de Nancy. Des entreprises locales, comme des fabricants de compresseurs ou de tuyauteries, commencent à adapter leurs chaînes de production. « On parle d’un écosystème complet », détaille Aïcha M’Barek. « De l’extraction à la valorisation, en passant par le transport. C’est une opportunité pour relancer l’industrie locale. »
Le site de Folschviller pourrait devenir un démonstrateur européen, un modèle à reproduire dans d’autres bassins géologiques – en Auvergne, en Bretagne, ou dans les Pyrénées – où des signaux d’hydrogène naturel ont déjà été détectés.
Quel impact pour la souveraineté énergétique française et européenne ?
À l’échelle nationale, cette découverte pourrait redéfinir la stratégie énergétique. La France, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, cherche des alternatives au gaz naturel et aux importations d’hydrogène vert, souvent coûteuses. L’hydrogène blanc, s’il est compétitif, offrirait une solution locale, durable, et moins dépendante des fluctuations des marchés internationaux.
« C’est une carte maîtresse pour notre souveraineté », affirme Thomas Rivière. « Imaginez un pays capable de produire son propre hydrogène, sans dépendre du soleil, du vent, ou des décisions géopolitiques. C’est un avantage colossal. »
En Europe, où l’hydrogène est au cœur du Green Deal, la France pourrait jouer un rôle de pionnier. Bruxelles suit de près les avancées lorraines. Un financement européen est envisagé pour soutenir les phases pilotes. « Ce n’est pas seulement un projet français », souligne Laurent Schmitt. « C’est une opportunité pour l’Europe de développer une filière autonome, verte, et innovante. »
A retenir
Qu’est-ce que l’hydrogène blanc ?
L’hydrogène blanc, ou naturel, est un gaz produit spontanément dans le sous-sol par des réactions géochimiques entre l’eau et certaines roches. Il n’émet pas de CO₂ à la source et peut être extrait directement, sans production industrielle. Contrairement à l’hydrogène vert, il ne dépend pas des renouvelables pour sa génération.
Où a été découvert le gisement de Moselle ?
Le gisement a été détecté à Folschviller, en Moselle, lors d’un forage destiné initialement à l’étude du méthane dans un ancien bassin minier. Les mesures ont révélé des concentrations inattendues d’hydrogène naturel à 1 250 mètres de profondeur.
Quelle est la taille estimée de cette réserve ?
Les estimations actuelles font état de 46 millions de tonnes d’hydrogène naturel. Ce volume représente plus de 60 % de la production mondiale annuelle d’hydrogène, principalement sous forme grise.
Quels sont les usages possibles de cet hydrogène ?
Il peut alimenter des secteurs énergivores comme la sidérurgie, la chimie, ou la mobilité lourde (camions, trains). Il est aussi pertinent pour le stockage d’énergie renouvelable et la production d’électricité en période de pointe.
Quels risques environnementaux sont associés à son extraction ?
Les principaux risques sont les fuites de gaz (l’hydrogène étant très volatil), la contamination des nappes phréatiques, ou des perturbations géologiques. Des puits pilotes et des études d’impact sont en cours pour évaluer et limiter ces dangers.
Quand pourrait commencer l’exploitation industrielle ?
Si les validations scientifiques et environnementales sont confirmées, les premiers projets pilotes pourraient démarrer d’ici 2027. Une exploitation à grande échelle serait envisageable dans la décennie 2030.
La Lorraine peut-elle devenir un pôle de l’hydrogène naturel ?
Oui. Grâce à son patrimoine minier, ses compétences académiques et industrielles, et sa position géographique, la région a tous les atouts pour devenir un leader européen de cette nouvelle filière. Des formations, des partenariats publics-privés et des infrastructures sont déjà en développement.