Un vent de transformation souffle sur le paysage énergétique français. Dans les profondeurs de la Lorraine, une découverte inédite pourrait redessiner les contours de notre indépendance énergétique : un gisement d’hydrogène naturel, enfoui à plus de 1 200 mètres sous terre, à Folschviller. Ce n’est ni une hypothèse ni un rêve technologique lointain, mais une réalité mesurée, analysée, portée par des scientifiques rigoureux et des acteurs du terrain conscients des enjeux. Ce gaz, produit naturellement par des réactions géochimiques dans le sous-sol, ouvre une voie inédite vers une énergie propre, locale, et pérenne. Loin des discours triomphalistes, cette opportunité s’inscrit dans une démarche sérieuse, ancrée dans les faits, et porte en elle les clés d’une nouvelle souveraineté industrielle et écologique.
Qu’est-ce que l’hydrogène naturel et pourquoi est-il un tournant ?
L’hydrogène, souvent perçu comme une énergie d’avenir, n’est pas nouveau. Mais jusqu’ici, sa production reposait sur des procédés énergivores : à partir de gaz naturel (hydrogène « gris »), avec émission de CO₂, ou par électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables (hydrogène « vert »). L’hydrogène « blanc », ou naturel, est différent. Il se forme spontanément dans certaines formations géologiques, notamment par la réaction de l’eau avec des minéraux ferromagnésiens. Ce processus, appelé serpentinisation, libère du dihydrogène sans intervention humaine.
C’est précisément ce phénomène que les chercheurs de GeoRessources, unité mixte du CNRS et de l’Université de Lorraine, ont identifié à Folschviller. En creusant pour exploiter du méthane, ils sont tombés sur un flux constant d’hydrogène. Philippe de Donato, géochimiste de renom, décrit ce moment comme « une convergence rare entre hasard et préparation ». « Nous avions des instruments sensibles, capables de détecter des concentrations infimes. Ce que nous avons mesuré n’était pas une anomalie, mais un signal robuste, répétable, localisé. »
Les estimations parlent d’environ 46 millions de tonnes d’hydrogène naturel dans ce seul gisement. Pour mettre cela en perspective : la production mondiale annuelle d’hydrogène, majoritairement grise, est d’environ 70 millions de tonnes. Autrement dit, un seul site pourrait, en théorie, couvrir plus de 60 % de la demande actuelle, sans aucune émission de carbone liée à sa production.
Comment Folschviller est-il devenu un laboratoire d’innovation énergétique ?
La Moselle, terre de charbon et de sidérurgie, porte les stigmates de la désindustrialisation. Mais elle abrite aussi un héritage précieux : un savoir-faire minier, des infrastructures souterraines, et une population habituée aux métiers de l’extraction. C’est sur ce socle que repose aujourd’hui la nouvelle ambition de la région.
Lors des forages initiaux, l’équipe menée par Philippe de Donato a observé un phénomène inattendu : des bulles de gaz qui ne correspondaient ni au méthane ni à des polluants. Une analyse en laboratoire a confirmé la présence d’hydrogène pur, à hauteur de 80 % du mélange. « Ce n’était pas du bruit, c’était un signal », insiste le chercheur. Rapidement, les données ont été croisées avec des études géologiques anciennes, révélant que la région est traversée par des failles profondes, propices à la migration de ce gaz.
Clara Ménard, ingénieure en géologie appliquée, travaille sur site depuis deux ans. Elle décrit un changement de regard : « Avant, on venait ici chercher du carbone fossile. Aujourd’hui, on extrait une ressource qui pourrait nous aider à en sortir. C’est presque poétique. » Son équipe suit en temps réel les flux de gaz, les pressions, les températures. Chaque forage est conçu comme une expérience scientifique, mais aussi comme une étape vers une exploitation future.
L’avantage de l’hydrogène naturel ? Il est disponible en continu, sans besoin d’électricité pour le produire. Contrairement à l’hydrogène vert, qui dépend de la disponibilité du vent ou du soleil, le blanc est là, en permanence. Cela change la donne pour les usages industriels, où la stabilité de l’approvisionnement est cruciale.
Quels sont les bénéfices environnementaux et industriels attendus ?
L’hydrogène naturel est-il vraiment zéro carbone ?
La réponse n’est pas automatique. Extraire un gaz du sous-sol implique des forages, des compresseurs, des pipelines. Chaque étape consomme de l’énergie. Mais comparé aux alternatives, l’empreinte carbone reste extrêmement faible. Selon une étude préliminaire menée par GeoRessources, l’extraction d’hydrogène naturel émet entre 5 et 10 fois moins de CO₂ que la production d’hydrogène gris. Et elle ne dépend pas de l’intermittence des renouvelables, comme l’hydrogène vert.
Le défi sera de garantir une extraction sobre et traçable. Les protocoles en cours de développement prévoient des forages ultra-profonds, mais peu nombreux, avec un suivi environnemental en continu. L’objectif est de prévenir toute contamination des nappes phréatiques ou des émissions fugitives de gaz.
Quels usages concrets pour cette ressource ?
L’hydrogène naturel ne remplacera pas demain l’essence dans les voitures particulières. En revanche, il s’impose comme une solution clé pour les secteurs difficiles à décarboner. La mobilité lourde — camions, trains, bateaux — en est un exemple. À Longwy, une entreprise de transport fluvial teste déjà des barges alimentées à l’hydrogène. Leur directeur, Yannick Béranger, explique : « On a besoin d’autonomie, de puissance, et d’un approvisionnement fiable. L’hydrogène naturel, produit localement, répond à ces trois critères. »
Autre domaine stratégique : la chaleur industrielle. Les hauts-fourneaux, les cimenteries ou les verriers consomment des températures élevées, difficiles à atteindre avec l’électricité seule. L’hydrogène peut brûler à plus de 2 000 °C, sans émettre de CO₂. Des industriels alsaciens et lorrains ont déjà manifesté leur intérêt pour des partenariats d’approvisionnement.
Enfin, le stockage saisonnier d’énergie reste un enjeu majeur. L’hydrogène naturel, combiné à des infrastructures de stockage souterrain, pourrait servir de tampon pendant les périodes de faible production renouvelable. « C’est une brique du puzzle énergétique, pas la solution universelle », nuance Clara Ménard. « Mais elle est solide, et elle est ici. »
Quelle feuille de route pour passer de la découverte à l’exploitation ?
La prudence règne. Personne ne parle de forages massifs avant 2027. La priorité est à la validation scientifique. Une série de forages pilotes est en cours, destinés à mesurer avec précision la pression, la composition, et la durabilité du flux. Les données seront partagées avec l’Ademe, la DREAL, et les collectivités locales.
Le calendrier est clair : d’ici 2025, finaliser l’étude d’impact environnemental. En 2026, lancer un projet pilote d’extraction à petite échelle, couplé à une unité de purification et de compression. Si les résultats sont concluants, une phase industrielle pourrait démarrer en 2028.
Le modèle économique reste à construire. Mais les signaux sont encourageants. Une PME de Nancy, spécialisée dans les équipements de forage, a déjà adapté ses technologies pour répondre aux spécificités de l’hydrogène naturel. Son PDG, Loïc Tissier, voit là une opportunité de reconversion : « Nos ingénieurs ont travaillé sur le pétrole, puis sur le géothermique. Aujourd’hui, c’est une nouvelle frontière. Et elle est chez nous. »
La région mise sur une filière intégrée : recherche, extraction, purification, transport, usages. Des partenariats se tissent entre universités, start-ups, et grands groupes. Un cluster « Hydrogène Lorrain » devrait être officiellement lancé au premier semestre 2025.
Quels défis restent à surmonter ?
La rentabilité est-elle assurée ?
Le coût d’extraction reste inconnu avec précision. Mais les premières simulations suggèrent que, pour des profondeurs de 1 200 à 2 000 mètres, le prix de revient pourrait être compétitif avec l’hydrogène vert, surtout si les subventions aux énergies fossiles baissent. « Ce n’est pas une mine d’or, mais une ressource stratégique », insiste Philippe de Donato. « On ne cherche pas le profit immédiat, mais la souveraineté. »
Et la gouvernance ?
La question est centrale. Qui décide ? Qui contrôle ? Qui bénéficie ? Des comités de suivi citoyen sont en cours de mise en place, avec des représentants des communes, des associations environnementales, et des syndicats. Le préfet de région a annoncé la création d’un observatoire indépendant, chargé de publier les données d’extraction, de qualité de l’air, et d’impact socio-économique.
Le risque de « ruée vers l’or » est réel. Mais les acteurs du terrain veulent éviter les erreurs du passé. « On a vu ce que l’extraction massive de charbon a fait à nos vallées », rappelle Clara Ménard. « Cette fois, on construit lentement, avec des garde-fous. »
A retenir
Quelle est l’ampleur du gisement de Folschviller ?
Environ 46 millions de tonnes d’hydrogène naturel pourraient être présentes dans le sous-sol lorrain. Ce volume représente plus de 60 % de la production annuelle mondiale d’hydrogène, majoritairement grise aujourd’hui.
L’hydrogène naturel est-il déjà utilisé ?
Non, pas encore à grande échelle. Mais des projets pilotes sont en cours, notamment pour des usages industriels et de mobilité lourde. L’exploitation industrielle n’est pas envisagée avant 2028, le temps de valider la durabilité et la sécurité du procédé.
Quels sont les principaux avantages écologiques ?
L’hydrogène naturel évite les émissions de CO₂ liées à la production à partir de gaz naturel. Son extraction, si elle est maîtrisée, a une empreinte carbone très faible. Il permet aussi de stocker de l’énergie propre de manière continue, sans dépendre de l’intermittence des renouvelables.
Quel impact sur l’emploi ?
La filière pourrait recréer des emplois qualifiés dans l’extraction, la maintenance, la recherche et l’ingénierie. Elle offre une voie de reconversion aux compétences minières historiques, tout en attirant de nouvelles entreprises et des investissements technologiques.
Conclusion
La découverte de Folschviller n’est pas une révolution annoncée, mais une opportunité mesurée, portée par la science et ancrée dans le réel. Elle ne résoudra pas seule la crise climatique ni la dépendance énergétique. Mais elle offre à la France une chance unique de construire une source d’énergie propre, locale, et durable. Le chemin est semé d’incertitudes, de défis techniques et sociaux. Mais avec rigueur, transparence, et ambition collective, l’hydrogène naturel pourrait bien devenir l’un des piliers de la transition énergétique du XXIe siècle. La Lorraine, autrefois symbole de l’ère fossile, devient ainsi le berceau d’un nouveau souffle. Pas de promesses en l’air, mais des fondations solides, sous terre.