Dans un petit coin de la Manche, là où la brise marine caresse les feuillages et où les senteurs de plantes aromatiques s’élèvent au-dessus des allées gravillonnées, un jardin n’a pas été conçu pour être admiré de loin. Il est fait pour être vécu, touché, respiré. À l’hôpital en soins de suite et à l’Ehpad du Pays Valognais, un espace de 1 000 m² a été transformé en un lieu thérapeutique où la nature devient alliée de la guérison. Ce projet, à la croisée de l’écologie, de la santé et de l’esthétique, incarne une nouvelle vision des soins : celle où le bien-être passe aussi par les sens.
Pourquoi créer un jardin thérapeutique dans un établissement de santé ?
Les bienfaits de la nature sur la santé mentale et physique sont de plus en plus documentés. Dans les établissements médicaux, où l’environnement peut parfois sembler aseptisé, un jardin bien pensé devient un refuge sensoriel. C’est précisément ce que souhaitaient offrir les responsables du centre de soins du Pays Valognais : un lieu où les patients, souvent affaiblis par la maladie ou la perte d’autonomie, puissent retrouver un lien avec la terre, avec les saisons, avec la vie qui continue. Pour Élodie Lefebvre, cadre de santé en rééducation, un patient qui sort de sa chambre pour sentir la menthe poivrée sous ses doigts ou écouter le bruissement des feuilles est un patient qui respire mieux, qui sourit, qui reprend pied . Ce n’est pas une mince affaire : chaque plante, chaque chemin, chaque banc a été pensé pour répondre à des besoins précis, tant physiques que psychologiques.
Comment concevoir un espace accessible à tous ?
L’un des défis majeurs du projet était l’accessibilité. Le jardin devait être praticable par des personnes en fauteuil roulant, avec des troubles cognitifs ou une mobilité réduite. C’est ici que Guillaume Pellerin, paysagiste renommé des Jardins de Vauville, a apporté son expertise. Il a imaginé des allées larges, en matériaux antidérapants, avec des pentes douces et des zones d’arrêt régulières. Il ne s’agissait pas seulement de faire joli, mais de créer un parcours sensoriel fluide, où chaque détail compte , explique-t-il. Les massifs sont surélevés, à hauteur de main, permettant aux résidents de toucher les plantes sans effort. Des zones ombragées offrent des pauses, tandis que des panneaux en braille et en pictogrammes aident à la reconnaissance des espèces.
Quel rôle joue la biodiversité dans ce type d’aménagement ?
Le choix des végétaux n’a pas été laissé au hasard. Chaque plante a été sélectionnée pour ses propriétés sensorielles ou médicinales. Le thym citronné, par exemple, stimule l’odorat et possède des vertus apaisantes. La lavande calme l’anxiété, la sauge favorise la concentration. Des arbres fruitiers, comme le pommier ou le cognassier, permettent aux patients de cueillir et même de goûter. On a volontairement privilégié des plantes qui fleurissent à différentes saisons, pour que le jardin soit vivant toute l’année , précise Jérôme Goutier, membre de l’association Cotentin Côté jardin. Ce dernier a insisté sur l’importance de la biodiversité locale : Un jardin vivant attire les oiseaux, les papillons, les abeilles. C’est un petit écosystème qui enseigne la continuité de la vie, même dans un lieu de soins.
Quel impact sur les résidents et les patients ?
Les retours sont unanimes : le jardin change le quotidien. Clémentine Dubois, 78 ans, résidente à l’Ehpad depuis deux ans, raconte : Avant, je passais mes journées à la fenêtre. Maintenant, je sors tous les jours. Je touche les feuilles de menthe, je regarde les abeilles butiner. C’est comme si je faisais encore partie du monde. Pour d’autres, comme Marc Tissier, ancien jardinier à la retraite, ce lieu a ravivé une passion oubliée. J’aide à arroser, à tailler. On m’a donné des gants adaptés, et je me sens utile.
Ces témoignages ne sont pas anecdotiques. Des études montrent que la présence de nature dans les établissements de santé réduit l’anxiété, diminue la consommation d’analgésiques et améliore la qualité du sommeil. À Valognes, une évaluation interne menée sur six mois a révélé une baisse significative des troubles du comportement chez les patients atteints de démence. Ils sont plus calmes, plus souriants. Certains se mettent même à parler de souvenirs anciens, de leur jardin d’enfance , observe Sophie Renard, psychologue en gériatrie.
Qui sont les acteurs de ce projet ?
Derrière ce jardin, il n’y a pas qu’un seul visionnaire, mais un collectif. Guillaume Pellerin a apporté son savoir-faire en conception paysagère, en harmonisant esthétique et fonctionnalité. Jérôme Goutier, quant à lui, a mobilisé des bénévoles de son association pour l’entretien et la sensibilisation. Mais c’est sans doute la participation de Stéphane Marie, le jardinier très médiatique, qui a donné un élan national à l’initiative. Invité à inaugurer le jardin, il n’a pas seulement coupé un ruban : il a plaidé pour une révolution verte dans les lieux de soin. La nature n’est pas un luxe, c’est un besoin fondamental. Surtout quand on est malade , a-t-il déclaré devant une petite foule de résidents, personnel soignant et journalistes.
Stéphane Marie a aussi insisté sur l’éducation : Ce jardin peut devenir un lieu d’apprentissage. Pour les soignants, pour les familles, pour les enfants des écoles voisines. Et c’est en ce sens qu’il évolue : des ateliers de jardinage thérapeutique sont désormais proposés, encadrés par des ergothérapeutes. Des séances de méditation en plein air, des lectures sous les arbres, des après-midi musique et plantes sont régulièrement organisés.
Comment maintenir un tel espace sur le long terme ?
La pérennité d’un jardin thérapeutique dépend autant de sa conception que de son entretien. À Valognes, un calendrier de soins a été établi, mêlant professionnels et bénévoles. Les jardiniers de l’établissement ont été formés aux techniques douces : compostage, rotation des cultures, absence de pesticides. On veut que ce soit un jardin vivant, pas un décor figé , souligne Guillaume Pellerin. Des composteurs ont été installés, alimentés par les déchets végétaux du jardin et les restes des repas. L’eau de pluie est récupérée dans des cuves, et l’arrosage se fait au goutte-à-goutte pour limiter le gaspillage.
Le lien avec la communauté locale est également renforcé. Des écoles primaires du coin viennent visiter le jardin, les élèves apprennent à reconnaître les plantes, à planter des semis. On leur montre que la nature soigne, mais aussi qu’elle relie les générations , explique Jérôme Goutier. Des familles de patients participent aussi aux animations, ce qui crée des moments de partage rares et précieux.
Quelles leçons tirer de cette expérience ?
Le jardin du Pays Valognais n’est pas une exception. Il s’inscrit dans un mouvement plus large : celui de la santé par la nature . En France comme à l’étranger, de plus en plus d’établissements intègrent des jardins thérapeutiques, des toits végétalisés, des salles de soins avec vue sur les arbres. Mais ce projet montre que la réussite ne tient pas seulement à l’argent investi, mais à la cohérence des intentions. Ici, chaque acteur — architecte, soignant, bénévole, résident — a été impliqué dès le départ. Le jardin n’a pas été imposé ; il a été co-construit.
Il montre aussi que la nature peut être un levier d’inclusion. Pour un patient dépressif, cueillir une fleur peut être un acte de résistance. Pour un résident en perte d’autonomie, sentir le parfum du romarin peut raviver une mémoire enfouie. Ce n’est pas un jardin de distraction, c’est un jardin de dignité , résume Élodie Lefebvre.
A retenir
Quels sont les bienfaits prouvés du jardin thérapeutique ?
Les jardins thérapeutiques ont démontré leur efficacité pour réduire l’anxiété, améliorer l’humeur, favoriser la mobilité et stimuler la mémoire chez les personnes âgées. Ils contribuent également à une meilleure qualité de vie perçue et à une diminution des comportements agités chez les patients atteints de troubles neurocognitifs.
Qui peut bénéficier de ce type d’espace ?
Tous les usagers d’un établissement de santé peuvent en tirer profit : patients en rééducation, résidents en perte d’autonomie, personnes atteintes de troubles psychiques ou neurodégénératifs. Les soignants et les familles y trouvent aussi un lieu de respiration et de partage.
Comment un établissement peut-il démarrer un tel projet ?
Il est essentiel de commencer par une phase de concertation avec les futurs usagers, les soignants et des experts en paysage et en santé. Un diagnostic du terrain, une étude d’accessibilité et une sélection rigoureuse des plantes sont nécessaires. Des partenariats avec des associations locales ou des jardiniers expérimentés peuvent accompagner la réalisation.
Le jardin est-il entretenu uniquement par du personnel qualifié ?
Non. L’entretien repose sur une collaboration entre jardiniers professionnels, soignants formés, bénévoles et parfois les résidents eux-mêmes. Cette participation active renforce le sentiment d’appartenance et les effets thérapeutiques.
Est-ce un modèle reproductible ailleurs ?
Oui, et c’est tout l’enjeu. Le modèle de Valognes montre qu’un jardin thérapeutique peut être adapté à des contextes variés, même avec un budget modeste. La clé est l’implication des acteurs locaux et une conception centrée sur les besoins réels des usagers.