Lanzarote n’est pas une île comme les autres. Ce n’est pas seulement un archipel volcanique baigné par l’océan Atlantique, ni simplement une destination balnéaire parmi tant d’autres. C’est un lieu où chaque paysage semble avoir été pensé comme une œuvre d’art, où chaque sentier raconte une histoire d’homme, de feu et de création. Depuis les années 1960, l’île a été transformée par une vision singulière : celle de César Manrique, artiste, architecte, écologiste avant l’heure. Grâce à lui, Lanzarote est devenue un laboratoire vivant d’harmonie entre nature et culture. Aujourd’hui, les voyageurs qui posent le pied sur ce territoire noir de lave ne découvrent pas seulement des plages ou des panoramas, mais une philosophie de vie. Entre témoignages de résidents, récits de visiteurs émus et descriptions de lieux emblématiques, plongez dans une immersion sensorielle et intellectuelle au cœur d’un héritage rare.
Qui est César Manrique, l’âme de Lanzarote ?
Il est difficile d’aborder Lanzarote sans évoquer César Manrique. Né en 1919 à Arrecife, il grandit dans une île encore préservée, marquée par la solitude des champs de lave et le vent du large. Après des études d’architecture à Madrid et une immersion artistique à New York, il choisit de revenir chez lui, non pas pour fuir le monde, mais pour le transformer. Contrairement à beaucoup d’artistes de son époque, Manrique ne voyait pas l’art comme un objet à exposer, mais comme une force à insuffler dans chaque aspect de la vie quotidienne. Il refusait que son île devienne une destination de tourisme de masse, avec ses hôtels bétonnés et ses paysages dénaturés. Son combat ? Un développement harmonieux, où chaque construction respecterait la géologie, le climat et l’identité locale.
Le témoignage d’Inès Ravelo, historienne de l’art basée à Teguise, est éloquent : « Manrique n’a pas décoré Lanzarote, il l’a réenchantée. Il a vu une beauté là où d’autres ne voyaient que désolation. Les coulées de lave, les cratères, les vents forts – tout cela devenait source d’inspiration. Il a compris que la modernité ne devait pas rimer avec uniformité. »
Les Jameos del Agua : quand l’art surgit du volcan
En 1966, Manrique entreprend l’un de ses projets les plus audacieux : aménager une partie du tunnel de lave de la Corona, un ancien fleuve de feu qui s’écoule jusqu’à la mer. Ce lieu, qu’il baptise les Jameos del Agua, devient un sanctuaire souterrain mêlant art, nature et culture. Le mot « jameo » vient du dialecte canarien et désigne une brèche dans un tunnel de lave. Ici, la brèche est devenue un lac souterrain, où nage un crustacé aveugle, le *Munidopsis polymorpha*, espèce endémique protégée.
Le visiteur qui descend les escaliers taillés dans la roche noire entre dans un monde à part. La lumière filtre par endroits, les sons résonnent comme dans une cathédrale naturelle. Un auditorium creusé dans la lave accueille encore aujourd’hui des concerts, tant l’acoustique est parfaite. Le restaurant, niché dans une alcôve, propose une cuisine locale revisitée, avec des vues imprenables sur la mer.
« Je suis venu ici avec mon fils de 12 ans, raconte Julien Moreau, enseignant en géographie à Lyon. On étudiait le volcanisme en classe. En entrant dans les Jameos, j’ai vu ses yeux s’agrandir. Il ne comprenait pas comment un lieu aussi minéral pouvait être aussi vivant. C’était une leçon de géologie, mais aussi d’émotion. »
Mirador del Río : un belvédère qui pense
Perché à 475 mètres d’altitude, le Mirador del Río domine le détroit entre Lanzarote et l’île de La Graciosa. Construit en 1973, ce belvédère n’est pas qu’un point de vue. C’est une méditation architecturale sur la relation entre l’homme et le paysage. Manrique a conçu le lieu comme une extension naturelle du terrain : les murs épousent les courbes de la colline, les fenêtres sont des cadres vivants sur l’horizon.
Le bar attenant, niché dans une grotte artificielle, utilise des matériaux locaux – basalte, bois de palmier – pour s’intégrer parfaitement. Le silence est presque religieux. On entend le vent, parfois un oiseau, mais jamais la pollution sonore des grandes attractions touristiques.
« J’y suis allée seule, un matin de mars, se souvient Aïda Benali, photographe marocaine. Je venais de traverser une période difficile. En regardant l’océan, avec ce ciel immense et ces îles lointaines, j’ai senti une forme de paix. Ce n’est pas un lieu de distraction. C’est un lieu de ressourcement. »
Le Jardin des Cactus : une oasis dans le désert de lave
À Haría, surnommée « la vallée des roses », Manrique crée en 1990 son dernier grand projet : le Jardin des Cactus. Installé dans un ancien cratère de 70 mètres de diamètre, ce jardin regroupe plus de 4 500 espèces de cactacées, provenant des quatre coins du monde. Mais ce n’est pas un musée botanique. C’est une composition artistique, où chaque plante est placée comme un élément d’un tableau vivant.
Les sentiers serpentent entre des formes géométriques et des murs de pierres sèches. Des bassins d’eau reflètent les silhouettes des cactus. Un jeu de lumière et d’ombres accompagne le visiteur selon l’heure du jour. Le jardin est aussi un hommage à l’agriculture traditionnelle de Lanzarote, où les paysans cultivaient dans des trous creusés dans la lave, protégés par des murets de pierre contre le vent.
« Mon père était jardinier à Tenerife », raconte Carlos Mendoza, retraité de Santa Cruz. « Il disait que les cactus, c’est la vie qui résiste. Ici, à Haría, j’ai vu cette idée incarnée. Manrique a fait pousser la beauté là où rien ne devait pousser. »
La Casa Taro de Tahiche : vivre avec la lave
Entre 1968 et 1988, César Manrique habite la Casa Taro, une résidence qu’il construit lui-même dans un champ de lave près de Tahiche. Ce complexe architectural est une œuvre d’art totale. Il est composé de plusieurs « bulles » – des cavités naturelles formées par le refroidissement de la lave – reliées entre elles par des tunnels. Chaque pièce suit la forme du terrain : pas de lignes droites, pas de plans rigides. Les meubles sont dessinés sur mesure, souvent en bois flotté ou en métal forgé.
Les murs de basalte gardent la fraîcheur l’été, la lumière entre par des hublots ou des puits de lumière. Un bassin intérieur, entouré de palmiers, donne l’impression de vivre dans une grotte habitée par la nature. Aujourd’hui, la maison est un musée, mais elle garde l’intimité d’un lieu habité.
« J’ai passé une nuit ici pendant une résidence artistique », témoigne Léa Dubreuil, peintre française. « Dormir dans une bulle de lave, avec le bruit du vent et le reflet de la lune sur les pierres… C’est une expérience presque mystique. On sent que l’art n’est pas un ajout, mais une continuité du vivant. »
La dernière maison de Haria : un atelier entre ciel et terre
Après avoir quitté la Casa Taro, Manrique s’installe à Haria, dans une maison plus simple, plus intime. Conçue comme un atelier et un lieu de méditation, cette demeure reflète sa maturité artistique. Les espaces sont ouverts, les couleurs sobres. Un grand atelier de peinture donne sur un patio intérieur, où poussent des figuiers de Barbarie et des aloès.
La maison, préservée dans son état d’origine depuis sa mort en 1992, contient encore ses pinceaux, ses carnets, ses lunettes. On y sent sa présence. Ce n’est pas un musée impersonnel, mais un lieu où la création semblait possible à chaque instant.
« Je suis venu ici avec mes élèves de lycée », raconte Thomas Lebrun, professeur d’arts plastiques. « Un adolescent a touché le dossier d’une chaise en disant : ‘Il a assis ici.’ Ce simple geste, cette connexion physique avec un artiste disparu… C’est ce que Manrique voulait : que l’art ne soit pas distant, mais accessible, vivant. »
Comment visiter Lanzarote aujourd’hui ?
Lanzarote est facilement accessible par vols directs depuis plusieurs villes européennes, notamment Paris, Lyon, Bruxelles ou Francfort. L’aéroport d’Arrecife accueille des dizaines de compagnies, régulières ou low-cost. Une fois sur place, deux options s’offrent aux voyageurs : la location de voiture ou les bus locaux. La conduite est fluide, les routes bien entretenues, et les panneaux souvent bilingues.
Pour le séjour, l’île propose une grande diversité d’hébergements. À Puerto del Carmen, on trouve des appartements modernes avec vue sur mer. À Teguise, des maisons traditionnelles rénovées. À Haría, des éco-gîtes intégrés au paysage. Le tourisme de masse existe, mais il est contenu grâce aux réglementations héritées de Manrique, qui interdisent les constructions dépassant deux étages et imposent des matériaux naturels.
Que faut-il absolument voir à Lanzarote ?
Outre les sites conçus par Manrique, l’île regorge de trésors naturels. Le parc national de Timanfaya, avec ses geysers artificiels et ses sentiers de lave, est incontournable. Les plages de sable blanc de Papagayo, accessibles par sentier ou en bateau, offrent un contraste saisissant avec les paysages noirs du nord. Et pour les amateurs de vin, les vignobles de La Geria, cultivés dans des trous creusés dans la lave, produisent un malvoisie unique au monde.
« J’ai visité les vignobles avec un ancien viticulteur », raconte Élodie Ferrand, œnologue. « Il m’a expliqué que chaque plante est protégée par un demi-cercle de pierre, pour éviter que le vent ne dessèche la terre. C’est une technique ancestrale, mais elle fonctionne. Et le vin, sec, minéral, a un goût de feu et de sel. »
A retenir
Lanzarote est-elle une destination accessible à tous ?
Oui, Lanzarote convient à différents types de voyageurs : familles, couples, solitaires, amateurs de nature ou d’art. Les infrastructures sont modernes, les sites bien signalisés, et l’île est globalement sécurisée. Les sites de Manrique sont accessibles aux personnes à mobilité réduite, avec des aménagements spécifiques.
Quelle est la meilleure période pour s’y rendre ?
Grâce à son climat subtropical aride, Lanzarote est agréable toute l’année. Les températures oscillent entre 18°C en hiver et 28°C en été. Les mois de mai à juin et de septembre à octobre offrent un équilibre idéal entre ensoleillement, douceur et affluence touristique.
Peut-on visiter les sites de Manrique en une semaine ?
Une semaine est suffisante pour découvrir les principaux sites : les Jameos del Agua, le Mirador del Río, le Jardin des Cactus, la Casa Taro et la maison de Haria. En combinant ces visites avec des escapades naturelles (Timanfaya, plage de Papagayo, village de Yé), on obtient un séjour complet et enrichissant.
Manrique a-t-il influencé d’autres îles canariennes ?
Son influence est surtout visible à Lanzarote, mais ses idées ont inspiré des mouvements écologiques et artistiques dans tout l’archipel. Certaines communes de Fuerteventura ou de Tenerife ont adopté des chartes architecturales proches de celles qu’il a imposées, limitant l’urbanisation sauvage.
Existe-t-il des événements culturels en hommage à Manrique ?
Chaque année, en septembre, Lanzarote organise des journées dédiées à son œuvre : expositions, concerts, visites guidées, conférences. Des artistes contemporains sont invités à créer des œuvres en dialogue avec son héritage, prolongeant ainsi le dialogue entre art et nature.