Le cheval, un puissant vecteur d’émotions : un équithérapeute s’installe près de Lamballe

À l’orée des bois d’Hénanbihen, dans les Côtes-d’Armor, un souffle nouveau anime le Centre équestre des Poneys du Randier. Ce lieu, autrefois dédié aux loisirs équestres classiques, s’est transformé en espace de rencontre, de soin et de transformation grâce à l’arrivée de Benjamin Bernard, praticien en équithérapie. Son approche, bienveillante et centrée sur l’humain, redéfinit les contours de la relation entre l’homme et le cheval, en particulier pour les personnes en situation de handicap. Mais cette innovation ne s’arrête pas là : elle s’ouvre à tous, quel que soit l’âge ou le parcours, car ici, ce n’est pas le cheval qui domine, c’est la relation qui guérit.

Qu’est-ce que l’équithérapie et pourquoi ce centre y est-il particulièrement adapté ?

L’équithérapie n’est pas simplement une promenade à dos de poney. C’est une pratique thérapeutique qui utilise la présence du cheval comme levier de développement personnel, cognitif et émotionnel. Contrairement à l’équitation traditionnelle, elle ne vise pas à apprendre à monter, mais à favoriser la communication, la confiance en soi, la coordination ou encore la gestion des émotions. Le cheval, sensible, non-jugeant et réactif aux émotions humaines, devient un partenaire privilégié dans ce processus.

Benjamin Bernard, formé aux méthodes d’intervention équine en contexte thérapeutique, a longtemps cherché un lieu où allier son expertise et un environnement sécurisé, calme et accueillant. Quand j’ai découvert Les Poneys du Randier, j’ai su que c’était là , confie-t-il. Le centre dispose d’un parc de poneys dociles, d’un espace couvert adapté aux conditions bretonnes, et surtout, d’une équipe pédagogique ouverte à l’innovation. Ce qui compte, c’est que chaque personne se sente en sécurité, à son rythme, sans pression , précise Benjamin.

Le centre a réaménagé une partie de ses installations pour accueillir des groupes venant d’instituts médico-éducatifs (IME), d’hôpitaux de jour ou d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). Des sentiers accessibles, des zones d’approche progressive du cheval, et des protocoles d’accompagnement individualisés ont été mis en place. On ne force rien. Parfois, la thérapie, c’est simplement poser la main sur le dos d’un poney et respirer avec lui , ajoute-t-il.

Comment les bénéficiaires vivent-ils cette expérience ?

Chaque séance est unique, car chaque personne l’est. Clémentine Lemoine, éducatrice spécialisée intervenant régulièrement avec un groupe de jeunes autistes de l’IME de Loudéac, raconte : Un de nos adolescents, Léo, ne parlait presque pas. Il refusait tout contact physique. La première fois qu’il est venu ici, il est resté à trois mètres des poneys, les observant. Au fil des mois, il s’est approché. Un jour, il a tendu la main. Puis il a caressé Éclair, un poney pie noir. Et là, il a dit : “Il est doux.” C’était la première phrase complète qu’il prononçait depuis des mois.

Des témoignages similaires affluent. Margot Roussel, psychologue intervenant auprès d’adultes en situation de handicap psychique, explique que le cheval agit comme un miroir. Il réagit à l’anxiété, à la colère, au calme. Quand un patient réussit à apaiser un cheval par sa seule respiration, il comprend qu’il a un pouvoir sur son propre corps et ses émotions.

Pour certains, l’impact est physique. Julien Berthier, 34 ans, atteint de paralysie cérébrale, participe à des séances d’équithérapie depuis six mois. Avant, je passais mes journées assis. Ici, je suis debout, je guide un poney, je sens son mouvement. C’est comme si mon corps se réveillait. Son kinésithérapeute a noté une amélioration de sa tonicité musculaire et de son équilibre. Ce qu’il vit ici, c’est du mouvement, mais aussi de la liberté , souligne-t-elle.

Et pour les personnes sans handicap ? L’équithérapie leur est-elle accessible ?

Oui, et c’est là toute la singularité du projet. Bien que prioritairement tourné vers les publics vulnérables, le programme est ouvert à tous : enfants en difficulté scolaire, seniors isolés, familles, ou même professionnels en recherche de bien-être. Le cheval ne fait pas de distinction. Il répond à l’authenticité, pas au statut , insiste Benjamin Bernard.

Des ateliers familiaux ont été lancés, où parents et enfants apprennent ensemble à interagir avec les poneys. C’est incroyable ce que ça révèle dans les dynamiques familiales , confie Sophie Delattre, participante à un atelier avec ses deux enfants. Mon fils, souvent agité à la maison, est d’une patience extrême avec les poneys. Et ma fille, timide, s’est mise à donner des consignes. On les redécouvre.

Quels sont les bénéfices scientifiquement observés de l’équithérapie ?

De nombreuses études, notamment en Europe et en Amérique du Nord, confirment les effets positifs de l’équithérapie sur la santé mentale et physique. Des travaux menés par l’Université de Rennes 2 ont montré une réduction significative de l’anxiété et des troubles du comportement chez des enfants autistes après plusieurs mois de séances régulières. D’autres recherches soulignent l’impact sur la motricité fine, la coordination oculo-manuelle, et même la concentration chez les personnes atteintes de TDAH.

Le cheval, par son rythme de marche, stimule le système vestibulaire, ce qui améliore l’équilibre et la proprioception. Mais c’est surtout son rôle émotionnel qui est remarquable. Le cheval ne ment pas. Il ne vous flatte pas. S’il s’approche, c’est qu’il vous fait confiance. Et cette confiance, elle se gagne par la bienveillance, pas par la force , explique Benjamin Bernard.

Des mesures biologiques, comme la baisse du cortisol (hormone du stress) ou l’augmentation de l’ocytocine (hormone du lien social), ont été observées chez les participants après une séance. C’est une vraie régulation émotionnelle, naturelle et sans médicament , ajoute Margot Roussel.

Comment le centre finance-t-il ces activités ?

Le modèle économique repose sur un mélange de subventions, de partenariats institutionnels et de participation modulée selon les capacités des usagers. Grâce à des conventions avec les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) et les caisses de retraite, certaines séances sont prises en charge. D’autres sont proposées à prix libre ou via des ateliers citoyens, où des bénévoles viennent aider au quotidien en échange d’une séance gratuite.

Un groupe de soutien, Les Amis du Randier , a également été créé. Ce collectif de citoyens finance des équipements adaptés, comme des selles ergonomiques ou des rampes d’accès. On ne veut pas que le coût soit un frein , affirme Élodie Carpentier, coordinatrice du centre. L’essentiel, c’est que chacun puisse venir, quel que soit son parcours.

Quel avenir pour cette initiative ?

Le succès local a attiré l’attention de plusieurs acteurs régionaux. Des discussions sont en cours avec l’ARS Bretagne pour intégrer l’équithérapie dans les parcours de soins personnalisés. Un projet de formation continue pour éducateurs et soignants est en préparation, en partenariat avec un centre de formation sanitaire et social de Saint-Brieuc.

Benjamin Bernard rêve plus grand : Pourquoi ne pas créer un réseau d’équithérapie solidaire en Bretagne ? Des centres relais, formés à nos méthodes, pour toucher davantage de personnes isolées, en milieu rural. Le centre du Randier pourrait devenir un pôle de référence, un lieu de transmission autant que de soin.

Des partenariats sont aussi envisagés avec des écoles pour des ateliers citoyens sur l’empathie, la responsabilité ou la gestion des émotions. Les enfants apprennent mieux par l’expérience que par le discours , note Clémentine Lemoine. Ici, ils apprennent à écouter, à respecter, à prendre soin.

Comment se déroule concrètement une séance type ?

Chaque séance commence par un temps d’observation. Les participants entrent dans le pré, s’installent sur un banc, et regardent les poneys évoluer. On apprend à lire leurs comportements, à comprendre leur langage corporel , explique Benjamin. Ensuite, selon les objectifs fixés avec les accompagnants, les exercices varient : brossage, conduite en longe, jeux d’obstacles, ou simplement présence silencieuse près de l’animal.

Il n’y a pas de monte systématique. Travailler à pied, c’est déjà une réussite , insiste Benjamin. Pour certains, tenir la longe est un défi. Pour d’autres, c’est oser regarder le poney dans les yeux. On célèbre chaque petit pas. Parce que chaque pas, ici, est un grand bond.

Quels témoignages marquants ont marqué l’équipe du centre ?

L’équipe garde en mémoire le jour où Camille, une jeune fille de 16 ans atteinte de troubles anxieux sévères, a réussi à guider seule un poney sur un parcours. Elle avait fait une crise en arrivant, elle ne voulait pas sortir de la voiture , raconte Élodie Carpentier. On lui a proposé de rester assise, de juste observer. Au bout d’une heure, elle s’est levée. Elle a mis la selle. Elle a conduit Mistral sur dix mètres. Et elle a souri. Un vrai sourire.

Un autre moment fort : la visite de résidents d’un EHPAD voisin. Certains n’avaient pas touché un cheval depuis soixante ans , se souvient Benjamin. L’un d’eux, Henri Le Goff, a murmuré : “Ma mère avait un âne, dans la ferme de mon enfance.” Il a pleuré. Mais c’était des larmes de joie.

Quels défis restent à surmonter ?

Malgré l’enthousiasme, des obstacles persistent. Le manque de reconnaissance institutionnelle de l’équithérapie comme pratique de soin à part entière freine les prises en charge. On est encore trop souvent perçus comme un loisir, pas comme une thérapie , regrette Margot Roussel.

La formation des accompagnants reste aussi un enjeu. Il faut du temps, de la patience, et une compréhension fine des besoins de chaque personne , explique Clémentine Lemoine. On ne peut pas improviser.

Enfin, la pérennité du projet dépend de la capacité à mobiliser des financements stables. On ne veut pas de dépendance à une seule subvention. Il faut diversifier, innover , affirme Élodie Carpentier.

A retenir

Qui peut bénéficier de l’équithérapie au centre des Poneys du Randier ?

Toutes les personnes, en particulier celles en situation de handicap, qu’il soit moteur, sensoriel, psychique ou cognitif. Les résidents d’IME, d’Ulis, d’hôpitaux de jour ou d’EHPAD sont prioritaires, mais les séances sont ouvertes aux familles, aux enfants en difficulté, et au grand public.

Quels sont les effets observés sur les participants ?

Des améliorations dans la gestion des émotions, la communication, la motricité, la confiance en soi et l’attention. Des effets biologiques, comme la baisse du stress, ont également été mesurés.

Le cheval est-il un thérapeute ?

Non, le cheval n’est pas un thérapeute, mais un partenaire thérapeutique. Il agit comme un catalyseur émotionnel, permettant aux humains de mieux se comprendre eux-mêmes.

Comment s’inscrire à une séance ?

Les inscriptions se font via les structures accompagnantes (IME, hôpitaux, associations) ou directement auprès du centre, qui adapte les tarifs selon les situations. Des journées portes ouvertes sont régulièrement organisées.

À Hénanbihen, entre terre humide et hennissements doux, une autre forme de soin prend racine. Elle ne repose ni sur des molécules ni sur des protocoles rigides, mais sur la puissance silencieuse d’une présence : celle d’un poney, d’un humain, et d’un lien qui se tisse, pas à pas, dans la patience et la bienveillance.