En ce matin d’automne 2025, le vent frais balaye le parvis de la cathédrale d’Orléans, tandis que des dizaines de personnes s’y rassemblent, silencieuses mais déterminées. Parmi elles, des soignants épuisés, des patients aux visages marqués par l’attente, des syndicalistes aux poings levés. Ce rassemblement, organisé par la CGT, n’est pas seulement une manifestation : c’est un cri d’alarme lancé depuis le cœur du Loiret, une alerte lancinante sur l’état de l’accès aux soins dans ce département du Centre-Val de Loire. Plus de 80 % des habitants auraient déjà renoncé à des soins, selon un rapport glaçant. Un chiffre qui résonne comme un échec collectif, et qui pousse à se demander : comment en est-on arrivé là, et que peut-on encore faire ?
Quel est l’ampleur du renoncement aux soins dans le Loiret ?
Le constat est sans appel : dans le Loiret, la santé devient un luxe. Selon les données relayées par La Tribune Hebdo en octobre 2025, plus de quatre habitants sur cinq ont déjà dû renoncer à un soin, qu’il s’agisse d’un rendez-vous médical, d’un suivi spécialisé ou d’un traitement. Ce phénomène touche toutes les classes d’âge, mais frappe particulièrement les plus vulnérables. Derrière ce pourcentage, il y a des histoires humaines, des souffrances invisibles, des vies altérées.
Élodie Vasseur, infirmière libérale à Pithiviers depuis dix ans, témoigne : J’ai vu des patients attendre trois mois pour une consultation chez un dermatologue, six semaines pour un ophtalmologiste. Certains finissent par ne plus appeler. Ils disent : “À quoi bon ?” . Son cabinet, comme beaucoup d’autres, est submergé. On fait le maximum, mais on ne peut pas combler les manques structurels.
Le renoncement n’est pas seulement dû aux délais d’attente. Il est aussi économique. Les dépassements d’honoraires, les frais de transport, les coûts liés aux examens non remboursés – tout cela pèse lourd dans le porte-monnaie des ménages. Je connais une patiente diabétique qui a arrêté ses injections parce qu’elle ne pouvait plus payer les seringues , confie Élodie, la voix serrée.
Pourquoi les rendez-vous médicaux sont-ils devenus si difficiles à obtenir ?
La réponse tient en un mot : désertification médicale. Le Loiret, comme de nombreuses zones rurales ou semi-rurales, souffre d’un manque criant de professionnels de santé. Les médecins généralistes partent à la retraite, et peu de jeunes diplômés s’installent en remplacement. Les spécialistes, eux, se concentrent dans les grandes villes comme Orléans, laissant les campagnes à l’abandon.
À Beaugency, il n’y a plus qu’un seul médecin généraliste pour plus de 3 000 habitants , souligne Thomas Lemaire, maire adjoint au développement territorial. Les patients doivent parfois parcourir plus de 50 kilomètres pour voir un spécialiste. Et encore, si un créneau est disponible.
Le système est saturé. Les cabinets sont débordés, les hôpitaux manquent de personnel, et les patients, pris dans cette spirale, deviennent des fantômes du système de santé. On parle de parcours de soins, mais c’est plutôt un parcours du combattant , lance Marc Dubois, retraité de 72 ans, venu manifester avec sa canne et son badge syndical. J’ai attendu quatre mois pour une IRM. Quand j’ai enfin eu le rendez-vous, j’étais déjà dans un fauteuil roulant.
Quelles sont les revendications portées par la CGT ?
Face à cette situation, la CGT du Loiret a lancé un appel à la mobilisation. Le syndicat réclame un plan d’urgence en plusieurs volets. D’abord, un recrutement massif de professionnels dans les métiers du lien et du soin . Ensuite, une augmentation générale des salaires pour rendre ces métiers attractifs. Enfin, une amélioration des conditions de travail, souvent dénoncées comme insoutenables.
Il ne s’agit pas seulement de soigner les symptômes, mais de guérir le système , affirme Sandra Kieffer, secrétaire départementale de la CGT. On ne peut pas continuer à demander aux soignants de tout donner sans rien en retour.
Les revendications vont plus loin : la CGT demande la mise en place d’unités mobiles de soin, capables d’aller directement vers les populations isolées. Elle exige aussi la prise en charge à 100 % des soins par la Sécurité sociale, notamment pour les soins de première nécessité, et l’élargissement de l’accès à la télémédecine, afin de désengorger les cabinets tout en offrant un service de qualité.
Comment les unités mobiles de soin pourraient-elles changer la donne ?
L’idée des unités mobiles n’est pas nouvelle, mais elle gagne en pertinence face à l’urgence. Ces structures, souvent des bus aménagés en cabinets médicaux, pourraient se déplacer régulièrement dans les villages, les quartiers prioritaires ou les zones isolées. Elles permettraient des consultations de proximité, des dépistages, des vaccinations, voire des soins infirmiers.
Imaginez un bus qui passe chaque mois dans un village, avec un médecin généraliste, une infirmière, un psychologue , décrit Sandra Kieffer. Cela ne remplacerait pas un hôpital, mais cela éviterait des renoncements.
Des expériences similaires ont déjà eu lieu en Bretagne ou en Auvergne, avec des résultats encourageants. Dans le Loiret, un projet pilote est en discussion avec l’Agence régionale de santé. Ce n’est pas une solution miracle, mais c’est un pas dans la bonne direction , nuance Thomas Lemaire. Il faut aussi repenser l’attractivité des zones rurales pour les jeunes médecins.
Quel rôle joue la télémédecine dans l’accès aux soins ?
La télémédecine est souvent présentée comme une réponse moderne aux défis de l’accessibilité. Pourtant, son développement reste inégal. Dans certaines communes du Loiret, la connexion internet est instable, et les patients âgés ne maîtrisent pas toujours les outils numériques.
La télémédecine, c’est bien, mais à condition qu’elle soit accessible à tous , insiste Élodie Vasseur. Sinon, on creuse les inégalités.
La CGT appelle donc à un élargissement de l’accès, accompagné d’un accompagnement technique pour les patients. Il faut former les personnes, installer des points de connexion dans les mairies ou les centres sociaux , propose Sandra Kieffer. Et surtout, rembourser intégralement ces consultations.
Quel est l’état des hôpitaux publics dans le Loiret ?
Les hôpitaux du département, comme celui d’Orléans ou de Montargis, sont en tension permanente. Les services sont sous-effectifs, les urgences saturées, et les listes d’attente s’allongent. On fait de l’humain avec du bricolage , confie un interne en médecine interne, sous couvert d’anonymat. On arrive le matin en sachant qu’on ne pourra pas tout faire.
Les soignants sont épuisés. Beaucoup envisagent de quitter le secteur public, attirés par le privé ou d’autres régions. Je suis infirmier depuis douze ans, mais je pense partir en Allemagne , avoue Julien Morel, en pause dans un couloir de l’hôpital d’Orléans. Là-bas, on me propose un salaire 30 % plus élevé, et des conditions de travail décentes.
La pénurie touche aussi les métiers de soutien : aides-soignants, secrétaires médicales, agents de nettoyage. On ne peut pas soigner sans équipes complètes , rappelle Élodie Vasseur. Chaque maillon compte.
Quelles solutions à long terme peuvent être envisagées ?
Le problème du Loiret n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une crise nationale de l’accès aux soins, exacerbée par les politiques d’austérité, la précarisation des métiers de la santé et l’urbanisation croissante des services. Pour y remédier, il faut une vision globale.
Les experts pointent du doigt la nécessité d’un nouveau modèle de santé territorialisé. Cela signifie repenser la répartition des professionnels, investir dans les centres de santé pluridisciplinaires, et mieux coordonner les acteurs locaux. Il faut sortir de la logique de l’hôpital-centre , explique une chercheuse en santé publique, consultée pour ce dossier. La prévention, la proximité, la continuité des soins : ce sont les clés.
Des initiatives locales existent déjà. À Orléans, un collectif de médecins a créé un centre de santé mutualisé, où généralistes, infirmiers et kinés travaillent ensemble. On partage les charges, on mutualise les ressources, on garde les patients , résume le Dr Camille Renaud. Et on est plus sereins.
La manifestation du 9 octobre coïncide avec les 80 ans de la Sécurité sociale. Un symbole fort. On célèbre une institution fondatrice, mais on dénonce son érosion , rappelle Sandra Kieffer. La Sécurité sociale, c’était la promesse d’un accès universel aux soins. Aujourd’hui, cette promesse est trahie.
Le trou de la Sécurité sociale, alimenté par les déremboursements et les dépassements, fragilise le système. On ne peut pas demander aux patients de payer de plus en plus, alors que les soins coûtent de plus en plus cher , analyse Marc Dubois. C’est une spirale infernale.
La CGT appelle à un renforcement du financement public, à une refonte du système de remboursement, et à une prise en charge intégrale des soins essentiels. La santé ne doit pas être une marchandise , martèle Sandra Kieffer.
Quels sont les témoignages des patients impactés ?
Derrière les statistiques, il y a des vies. Comme celle de Nawel Benali, 48 ans, mère de deux enfants, atteinte d’une polyarthrite. J’ai attendu huit mois pour voir un rhumatologue. Pendant ce temps, mes douleurs ont empiré. J’ai dû arrêter de travailler.
Ou celle de Jean-Pierre Lefebvre, 67 ans, diabétique. Mon médecin traitant m’a prescrit un examen ophtalmologique. Mais le plus proche est à Orléans, et il n’y avait pas de créneau avant novembre. J’ai peur de perdre la vue.
Et celle de Lina Chauvet, 34 ans, enceinte de son deuxième enfant. Mon gynécologue a pris sa retraite. Je dois aller à Blois pour mes échographies. C’est trois heures de trajet aller-retour. Et je ne travaille plus.
Quelle conclusion peut-on en tirer ?
Le Loiret est un miroir. Il reflète une crise qui touche de nombreuses régions de France. Un système de santé en souffrance, des soignants épuisés, des patients abandonnés. Mais il montre aussi une capacité de résistance. Les mobilisations, les témoignages, les propositions : tout cela dessine un chemin vers une autre santé possible.
Le 9 octobre 2025, sous le ciel gris d’Orléans, des centaines de personnes ont marché pour dire non au renoncement. Elles ont rappelé que la santé est un droit, pas une option. Et qu’il est encore temps d’agir.
A retenir
Quel est le taux de renoncement aux soins dans le Loiret ?
Plus de 80 % des habitants du Loiret ont déjà renoncé à des soins, en raison de délais d’attente trop longs, de coûts élevés ou de difficultés d’accès.
Quelles sont les principales revendications de la CGT ?
La CGT demande un recrutement massif de professionnels de santé, une augmentation des salaires, une amélioration des conditions de travail, la mise en place d’unités mobiles de soin, la prise en charge à 100 % des soins par la Sécurité sociale, et un accès élargi à la télémédecine.
Quand et où a eu lieu la manifestation ?
La manifestation a eu lieu le jeudi 9 octobre 2025 à Orléans. Elle a débuté à 10h30 sur le parvis de la cathédrale, puis s’est conclue par un rassemblement devant la Caisse primaire d’assurance maladie à 12h, en hommage aux 80 ans de la Sécurité sociale.
Quelles solutions sont envisagées pour améliorer l’accès aux soins ?
Les solutions incluent le développement d’unités mobiles de soin, le renforcement des centres de santé pluridisciplinaires, l’extension de la télémédecine avec accompagnement, et une réforme du financement public de la santé pour garantir l’équité d’accès.