En janvier 2025, dans la forêt dense et bruissante du parc d’État de Cunhambebe, au cœur de la Costa Verde brésilienne, une caméra discrète a capté une scène d’une rare intensité : trois tapirs sud-américains, silencieux et majestueux, traversant un sous-bois humide. Ce moment, anodin en apparence, représente en réalité un tournant écologique. Il marque la première observation confirmée de l’espèce dans cette région depuis 1914. Cent onze ans d’absence, et voilà que le « jardinier de la forêt » revient, non pas comme un fantôme du passé, mais comme un messager de l’avenir. Ce retour inespéré n’est pas seulement une victoire pour la conservation : c’est la preuve tangible que, lorsque l’humain cesse de détruire et commence à protéger, la nature sait guérir.
Quelle est l’importance de cette réapparition après plus d’un siècle ?
La forêt atlantique brésilienne, autrefois couvrant près de 1,3 million de kilomètres carrés, a perdu plus de 85 % de sa superficie initiale. Aujourd’hui réduite à des fragments, elle abrite pourtant encore 7 % de la biodiversité mondiale. C’est dans ce contexte de perte massive que le retour du tapir sud-américain (Tapirus terrestris) prend tout son sens. L’animal, filmé par les capteurs de l’Institut d’État de l’environnement de Rio de Janeiro (INEA), n’est pas seulement un survivant : il est un indicateur. Sa présence signifie que l’écosystème retrouve un équilibre, que les chaînes alimentaires se rétablissent, que la forêt respire à nouveau.
Luiza Ferreira, biologiste spécialisée en écologie forestière, travaille depuis dix ans dans la région. « Quand j’ai vu les images, j’ai pleuré », confie-t-elle. « Ce n’est pas un tapir que nous avons vu, c’est un écosystème qui se réveille. Le tapir ne peut pas vivre dans un environnement dégradé. Il a besoin de tranquillité, d’eau, de nourriture variée. Son retour, c’est la preuve que nos efforts de protection portent leurs fruits. »
Le parc de Cunhambebe, classé aires protégées depuis les années 2000, a fait l’objet d’un renforcement de surveillance, d’une interdiction stricte de chasse et d’un programme de reboisement. Ces mesures, combinées à une lutte accrue contre l’exploitation illégale du bois, ont permis à la forêt de se densifier. « On a vu les oiseaux revenir, puis les petits mammifères. Mais le tapir… c’était notre Graal », ajoute Luiza.
Que signifie le rôle du tapir dans l’écosystème forestier ?
Surnommé « le jardinier de la forêt », le tapir sud-américain joue un rôle crucial dans la régénération de la végétation. En avalant des fruits entiers, il transporte les graines sur plusieurs kilomètres avant de les excréter, souvent dans des zones dégagées où elles peuvent germer. Cette dispersion est essentielle pour maintenir la diversité génétique des arbres, notamment des espèces à croissance lente qui peinent à coloniser de nouveaux territoires.
Les scientifiques estiment que le tapir peut disséminer jusqu’à 130 espèces végétales différentes. « C’est un architecte invisible », explique Thiago Mendes, écologue de terrain. « Il ne fait pas de bruit, ne cherche pas à dominer. Mais sans lui, la forêt devient plus pauvre, plus fragile. »
Thiago raconte une anecdote révélatrice : « L’an dernier, on a observé un jeune arbre de jatobá pousser juste à côté d’un sentier boueux. En analysant les traces, on a trouvé des empreintes de tapir. Ce n’est pas une coïncidence. L’arbre a germé là parce que le tapir a déposé la graine. Et maintenant, cet arbre abrite des oiseaux, des insectes, des fourmis. Tout un microcosme naît d’un simple crotin. »
En plus de disperser les graines, le tapir façonne le paysage par ses déplacements. Il crée des pistes naturelles que d’autres animaux empruntent, comme les agoutis ou les ocelots. Ses bains fréquents dans les rivières enrichissent les berges en nutriments et favorisent la croissance d’espèces aquatiques. Même ses déjections deviennent des oasis pour des coléoptères spécialisés, qui y trouvent refuge et nourriture.
Quels sont les défis qui menacent encore la survie du tapir ?
Malgré cette bonne nouvelle, la situation globale du tapir sud-américain reste préoccupante. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la population mondiale de l’espèce a diminué de moitié en 33 ans. Moins de 4 500 individus seraient encore en vie dans la nature. Les menaces sont nombreuses : déforestation, construction de routes, braconnage, et surtout la fragmentation des habitats.
Le tapir a besoin de vastes territoires pour se nourrir et se reproduire. Il peut parcourir jusqu’à 20 kilomètres par nuit. Or, les forêts sont de plus en plus isolées par des plantations, des villes ou des infrastructures. « Imaginez un animal qui a besoin de respirer, mais dont on lui couperait les poumons en morceaux », compare Clara Viegas, coordinatrice du programme de corridors écologiques à l’INEA. « C’est ce qui arrive aux tapirs. Ils sont coincés dans des îlots de forêt. Même s’ils survivent, ils ne peuvent pas se reproduire durablement. »
Clara cite le cas d’un groupe observé dans un fragment forestier voisin : « On a vu un seul mâle pendant deux ans. Il tournait en rond, comme s’il cherchait quelque chose. Il a fini par disparaître. On pense qu’il a tenté de traverser une route et s’est fait écraser. »
Les prédateurs naturels, comme les jaguars ou les pumas, ne sont pas la principale menace. C’est l’humain qui pèse le plus. Le braconnage, bien que moins fréquent qu’autrefois, persiste dans certaines zones reculées. Et les routes, de plus en plus nombreuses, tuent des dizaines de tapirs chaque année. « On a besoin de passerelles fauniques, de tunnels sous les routes, de zones tampons », insiste Clara. « Sinon, chaque retour sera éphémère. »
Comment la protection des aires naturelles a permis ce retour ?
Le parc de Cunhambebe n’est pas devenu un sanctuaire par hasard. Depuis les années 2010, un programme ambitieux de restauration écologique a été lancé. Des milliers d’arbres ont été replantés, des sentiers de surveillance ont été aménagés, et des brigades anti-braconnage ont été formées. En 2022, une nouvelle unité de conservation a été créée à l’est du parc, reliant deux massifs forestiers jusque-là isolés.
« C’est ce corridor qui a probablement permis aux tapirs d’arriver », explique Rafael Toledo, garde forestier affecté à la zone depuis 2018. « On a vu des traces plus tôt dans l’année, mais on n’y croyait pas. On pensait à une erreur, un autre animal. Et puis, les caméras ont tout confirmé. »
Rafael raconte que les agents du parc ont fêté l’événement modérément : « On n’a pas fait de bruit. On ne voulait pas attirer l’attention. Mais entre nous, on s’est serré les mains, on s’est regardés en silence. On savait que quelque chose de grand venait d’arriver. »
Ce retour illustre une vérité simple mais souvent oubliée : la nature a une capacité de résilience extraordinaire, à condition qu’on lui en laisse la possibilité. « On a tendance à penser que tout est perdu », note Luiza Ferreira. « Mais ici, on a vu qu’en protégeant un espace, en le laissant tranquille, les espèces reviennent. Pas par magie, mais parce que les conditions sont réunies. »
Que faut-il faire pour que ce retour soit durable ?
Le défi désormais est de transformer cette victoire en tendance. Pour cela, les experts s’accordent sur un triptyque d’actions : étendre les aires protégées, créer des corridors écologiques, et restaurer les habitats dégradés. « Il ne s’agit plus seulement de protéger un parc, mais de penser à l’ensemble du paysage », souligne Clara Viegas.
Un projet est en cours d’étude pour relier Cunhambebe à d’autres forêts du sud de Rio de Janeiro. Ce réseau de corridors permettrait aux tapirs, mais aussi aux ocelots, aux singes et aux oiseaux, de circuler librement. Des partenariats avec des propriétaires fonciers sont en discussion pour aménager des passages sécurisés sur leurs terres.
« On ne peut pas tout protéger, mais on peut tout connecter », résume Thiago Mendes. « Le tapir nous montre que c’est possible. Maintenant, il faut agir vite, avant que la pression humaine ne reprenne le dessus. »
Les autorités brésiliennes envisagent également d’intensifier les campagnes de sensibilisation auprès des communautés locales. « Il faut que les gens comprennent que le tapir n’est pas un nuisible », insiste Rafael Toledo. « C’est un allié. Il fait pousser les arbres, il garde la forêt vivante. Et quand la forêt va bien, nous aussi. »
Quelle leçon peut-on tirer de cette réapparition pour la conservation mondiale ?
Le cas du tapir de Cunhambebe n’est pas qu’une histoire brésilienne. Il est universel. Il rappelle que la biodiversité n’est pas condamnée d’avance. Il montre que des actions concrètes, locales, soutenues dans la durée, peuvent inverser des tendances apparemment irréversibles.
« On a trop souvent une vision pessimiste de la nature », observe Luiza Ferreira. « On parle d’extinctions, de catastrophes, de pertes. Mais ici, on a une bonne nouvelle. Et elle n’est pas anecdotique. Elle prouve que la conservation fonctionne. »
Ce retour est aussi un appel à l’humilité. « On n’a pas fait revenir le tapir », précise Thiago Mendes. « On a juste cessé de l’empêcher de vivre. On a protégé un espace, et la nature a fait le reste. Notre rôle n’est pas de tout contrôler, mais de laisser de la place. »
A retenir
Quel est l’impact du retour du tapir sur la forêt atlantique ?
Le retour du tapir sud-américain est un indicateur fort de la remise en route d’un écosystème. En tant que disperseur de graines et régulateur de la végétation, sa présence contribue à la régénération de la forêt, à la diversité génétique des plantes et à la stabilité des chaînes alimentaires.
Pourquoi le tapir est-il appelé « le jardinier de la forêt » ?
Le tapir joue un rôle essentiel dans la dispersion des graines via ses déjections, façonne le paysage par ses déplacements et enrichit les sols. Il crée des corridors naturels et favorise la biodiversité, agissant comme un architecte silencieux de la forêt.
Quels sont les principaux dangers pour le tapir sud-américain ?
La fragmentation des habitats, les routes, le braconnage et la déforestation sont les principales menaces. L’isolement des populations empêche les échanges génétiques et limite les chances de reproduction à long terme.
Comment les aires protégées ont-elles permis ce retour ?
Grâce à une protection renforcée, une interdiction de chasse, des efforts de reboisement et la création de corridors écologiques, les conditions nécessaires à la survie du tapir ont été rétablies, permettant à l’espèce de réoccuper progressivement son territoire ancestral.
Que faut-il faire pour pérenniser cette réapparition ?
Il est essentiel d’étendre les aires protégées, de relier les fragments forestiers par des corridors écologiques, de restaurer les berges et les sous-bois, et de maintenir une surveillance active contre les menaces humaines.