Une ombre métallique plane désormais sur nos placards. Ce qu’on croyait être une protéine pratique, économique et saine – le thon en boîte – se révèle, selon une enquête récente, être un vecteur insoupçonné de mercure, un neurotoxique redoutable. Derrière l’étiquette rassurante d’un produit de consommation courante, des analyses indépendantes dévoilent une réalité préoccupante : aucun échantillon testé n’est exempt de mercure, et certains dépassent largement les seuils autorisés. Ce n’est plus une alerte isolée, mais un signal d’alarme collectif qui s’impose à nos habitudes alimentaires.
Le thon en boîte est-il encore sûr à consommer ?
La question, posée par des consommateurs de plus en plus informés, mérite une réponse nuancée. Selon les données publiées par 60 Millions de consommateurs, 148 boîtes de thon provenant de cinq pays européens ont été analysées. Résultat : aucune ne contenait zéro mercure. Le méthylmercure, forme particulièrement toxique du mercure organique, s’est infiltré dans chaque échantillon. Pire encore, 10 % des boîtes dépassaient la limite réglementaire de 1 mg/kg, avec des pointes atteignant 3,9 mg/kg – près de quatre fois la norme autorisée.
Élodie Ravel, 38 ans, mère de deux enfants, a changé sa façon de faire ses courses après avoir lu le rapport : « Je donnais du thon à mes enfants deux fois par semaine, c’était rapide, bon marché et riche en protéines. Aujourd’hui, je me demande si je n’ai pas mis leur santé en danger sans le savoir. » Son témoignage reflète une prise de conscience collective. Le mercure, notamment sous sa forme méthylée, traverse la barrière placentaire et affecte le développement neurologique du fœtus. Les jeunes enfants, dont le cerveau est en pleine croissance, sont particulièrement vulnérables.
Les adultes ne sont pas épargnés. Une exposition répétée, même à des doses modérées, peut entraîner des troubles neurologiques, une fatigue chronique ou des troubles de la coordination. Le risque n’est pas seulement lié à la présence du mercure, mais à sa bioaccumulation : plus on consomme régulièrement des poissons prédateurs comme le thon, plus le toxique s’accumule dans l’organisme.
Pourquoi le mercure est-il présent dans le thon ?
Le mercure n’est pas un contaminant directement ajouté par les industriels, mais un polluant environnemental aux origines multiples. Il provient notamment des émissions industrielles – mines, centrales au charbon, usines chimiques – qui relâchent du mercure dans l’atmosphère. Ce dernier se dépose ensuite dans les océans, où il est transformé en méthylmercure par des micro-organismes.
C’est là que commence la chaîne toxique. Le méthylmercure est absorbé par le plancton, puis par les petits poissons qui les mangent, et ainsi de suite jusqu’aux prédateurs de haut niveau comme le thon, le requin ou l’espadon. Plus un poisson est grand, ancien et carnivore, plus il a eu le temps d’accumuler du mercure. C’est ce que les scientifiques appellent la bioamplification trophique.
Thomas Lermite, océanographe et consultant en sécurité alimentaire, explique : « Le thon germon, souvent vendu en boîte, est un migrateur rapide, mais il reste un prédateur. Il peut vivre plus de vingt ans, ce qui lui laisse amplement le temps d’accumuler des toxiques. Même si les zones de pêche varient, aucun océan n’est aujourd’hui épargné par la pollution au mercure. »
Quelles marques de thon sont les plus concernées ?
L’enquête pointe du doigt plusieurs marques, sans pour autant les condamner de manière uniforme. Les résultats varient selon les lots, les espèces et les origines. Toutefois, certaines marques affichent des niveaux préoccupants. Petit Navire, notamment vendu en grandes surfaces comme Carrefour City, Cora, Pêche Océan et Saupiquet figurent parmi les plus fortement contaminées dans certains échantillons.
En revanche, Monoprix et certaines références de thon blanc germon – souvent plus cher – montrent des concentrations inférieures, bien que le mercure y soit toujours détectable. « Il ne s’agit pas de diaboliser une marque en particulier, mais de comprendre que la qualité varie d’un lot à l’autre », précise Camille Fauré, chargée de recherche à l’Anses. « Une moyenne de lot peut masquer des pics extrêmement élevés. »
C’est ce manque de transparence qui inquiète les associations comme Bloom et Foodwatch. Elles réclament une publication des résultats lot par lot, afin que les consommateurs puissent faire des choix éclairés. « Aujourd’hui, on achète à l’aveugle », déplore Léa Bouvier, militante chez Bloom. « Le consommateur ne sait pas s’il mange un thon à 0,8 mg/kg ou à 3,9 mg/kg. C’est inacceptable. »
Comment choisir son thon en boîte en limitant les risques ?
La solution n’est pas de bannir le thon, mais de le consommer avec discernement. La première règle : lire attentivement l’étiquette. L’espèce (germon, albacore, listao), l’origine (océan Pacifique, Atlantique, Indien), le mode de pêche (senne, palangrier) et surtout le numéro de lot peuvent offrir des indices précieux. Certains lots, mieux tracés, font l’objet de contrôles plus rigoureux.
Privilégier le thon listao, plus petit et moins prédateur, est une stratégie efficace. Il contient naturellement moins de mercure que le germon. De même, les thons pêchés dans des zones moins industrialisées, comme certaines parties de l’océan Pacifique Sud, peuvent présenter des taux inférieurs.
Julien Mercier, père de famille et chef de projet logistique, a adapté son alimentation : « J’ai remplacé le thon par du maquereau ou du sardine en boîte, qui sont moins contaminés. Le thon, je le garde pour un repas occasionnel, pas plus d’une fois par mois. » Son approche illustre une tendance : substituer, varier, espacer.
Quelles sont les recommandations pour les publics fragiles ?
L’Anses est claire : les femmes enceintes, celles qui allaitent et les enfants de moins de 30 mois doivent limiter fortement leur consommation de poissons prédateurs. Pour les femmes enceintes, une portion par semaine maximum de thon est conseillée, et encore, en privilégiant les espèces moins contaminées.
Le risque principal concerne le développement cérébral. Des études épidémiologiques menées sur des populations vivant près de zones polluées montrent des retards cognitifs, des troubles de l’attention ou des difficultés motrices chez les enfants exposés in utero. « Le cerveau en développement est extrêmement sensible », confirme le Dr Amélie Cazaux, neurologue pédiatre à Lyon. « Même une exposition modérée peut avoir des conséquences durables. »
Pour les adultes en bonne santé, la modération reste la clé. Une portion de thon en boîte toutes les deux ou trois semaines, en alternance avec d’autres sources de protéines (volailles, légumineuses, œufs), permet de bénéficier des apports nutritionnels – oméga-3, sélénium, protéines – sans courir de risque significatif.
Les industriels sont-ils responsables ?
Les fabricants affirment respecter les normes européennes et garantissent la sécurité de leurs produits. Toutefois, comme le souligne l’enquête, la réglementation autorise une moyenne par lot, ce qui peut masquer des pics très élevés dans certaines boîtes. Un lot de 10 000 boîtes peut ainsi être jugé conforme même si quelques unités dépassent largement la limite.
« C’est un système de contrôle qui a vingt ans de retard », critique Étienne Vidal, ancien inspecteur sanitaire. « On devrait exiger des analyses unitaires ou, à minima, des seuils maxima non négociables. »
Les associations réclament également plus de transparence sur les méthodes de pêche et les zones d’approvisionnement. « Un thon pêché près d’une zone industrielle en Asie ne devrait pas être traité comme un thon pêché en Atlantique Nord », ajoute Léa Bouvier. « La traçabilité doit devenir un standard, pas un argument marketing. »
Comment s’adapter au quotidien sans renoncer au goût ?
Le défi est de concilier plaisir, praticité et sécurité. Plusieurs alternatives permettent de réduire l’exposition sans vider l’assiette de protéines marines. Le maquereau, les sardines, les anchois ou le hareng sont riches en oméga-3 et faibles en mercure. Ils se conservent bien en boîte et offrent des saveurs marquées.
Le tofu, les lentilles, les œufs ou les produits à base de pois chiche sont aussi d’excellentes sources de protéines végétales. « J’ai découvert les galettes de pois chiches en boîte, raconte Élodie Ravel. Elles sont savoureuses, rapides à préparer, et je n’ai plus ce sentiment de culpabilité. »
Varier les sources de protéines, espacer les repas à base de poisson gras et privilégier les espèces courtes dans la chaîne alimentaire : voilà les piliers d’une alimentation plus sûre.
Conclusion : vers une consommation plus responsable et informée
Le thon en boîte n’est pas un ennemi, mais un allié à manier avec prudence. L’enquête de 60 Millions de consommateurs n’est pas un appel à l’interdiction, mais à la vigilance. Elle rappelle que derrière chaque produit, il y a une chaîne de pollution, une écologie complexe, et des choix qui engagent notre santé.
Protéger sa table, c’est d’abord s’informer. Suivre les mises à jour des organismes indépendants, lire les étiquettes, varier les marques et les espèces, limiter la fréquence de consommation – autant de gestes simples qui, cumulés, font la différence.
Le message est clair : vérifier, varier, modérer. Pas de panique, mais de la lucidité. Et surtout, garder le thon en boîte comme un complément, pas comme un pilier. Car manger sainement, ce n’est pas seulement choisir des aliments nutritifs, c’est aussi anticiper les risques invisibles.
A retenir
Le mercure est-il présent dans tous les thons en boîte ?
Oui, selon l’enquête, aucune des 148 boîtes analysées n’était exempte de mercure. Le méthylmercure, forme toxique, s’accumule naturellement chez les poissons prédateurs comme le thon.
Quelles marques ont les niveaux les plus élevés ?
Petit Navire, Cora, Pêche Océan et Saupiquet ont montré des taux préoccupants dans certains lots. Monoprix et certaines références de thon blanc germon se distinguent par des concentrations plus faibles.
Le thon en boîte est-il interdit ?
Non, mais sa consommation doit être modérée, surtout pour les femmes enceintes, les jeunes enfants et les personnes fragiles. L’Anses recommande de limiter les poissons prédateurs.
Comment réduire son exposition au mercure ?
En alternant les espèces de poissons, en privilégiant les petits poissons (sardines, maquereau), en espacant les repas à base de thon et en diversifiant les sources de protéines.
Pourquoi les résultats varient-ils d’un lot à l’autre ?
La concentration en mercure dépend de l’espèce, de la taille du poisson, de sa zone de pêche et de son âge. La pollution industrielle varie selon les régions, ce qui influence la contamination.
Les industriels contrôlent-ils la qualité du thon ?
Oui, mais selon des normes qui autorisent des moyennes par lot, ce qui peut masquer des pics de contamination. Les associations réclament plus de transparence et des analyses lot par lot.