À l’ombre des arches rouges et des gobelets ornés d’une sirène, une autre histoire s’est écrite, patiente et méthodique. Elle a commencé dans une ruelle de Zhengzhou, avec un comptoir modeste, un prêt familial minuscule et un étudiant obstiné qui voyait plus loin que son stand de boissons. Mixue Ice Cream & Tea, née en 1997, est devenue un géant mondial de la restauration rapide, sans bruit ni slogans tonitruants, mais avec une rigueur opérationnelle et une vision stratégique qui ont déjoué tous les pronostics.
Comment un prêt familial a-t-il posé la première pierre d’un empire ?
L’histoire débute par un geste simple, presque intime. Zhang Hongchao, 21 ans, étudie à l’Université d’économie et de droit du Henan. Les salles de cours ne lui suffisent pas. Il demande à sa grand-mère 3000 yuans, une somme modeste, mais essentielle. Ce n’est pas un geste de charité, c’est un pari. Avec ce capital, il ouvre un petit point de vente à Zhengzhou, carrefour commercial où passent camions, dynamiques urbaines et clientèle hétérogène.
Le produit phare est simple, sucré, peu coûteux à produire. Les marges surprennent, presque indécentes pour un œil non averti. Une boisson coûtant quelques dizaines de centimes peut se vendre plus de dix dollars. Le secret n’est pas uniquement dans la recette, il est dans la compréhension des flux, des heures de pointe, des désirs immédiats d’une clientèle pressée. Le stand est démonté à plusieurs reprises lors de réaménagements urbains ? Zhang s’adapte, déplace, reconstruit. Cette résilience deviendra une signature.
À ce stade, l’histoire pourrait rester celle d’un petit commerce dégourdi. Mais Zhang entraîne son frère, Zhang Hongfu, dans l’aventure. Ensemble, ils empilent les décisions pragmatiques : élargir l’offre, affiner les coûts, documenter les process, apprendre de chaque déboire. L’entreprise n’a pas encore de façade éclatante, mais elle a un plan : grandir sans renier la frugalité originelle.
Un soir d’été, à deux pas du vieux marché de Zhengzhou, Liu Wenqing commande un thé glacé avant son dernier bus. Elle regarde la file s’allonger. “Ce qui m’a frappée, confie-t-elle, c’est que tout était fluide, même quand la rue grouillait de monde. Le serveur savait déjà ce que je prendrais, juste en me voyant arriver.” Ce détail n’est pas anecdotique : Mixue, depuis ses débuts, sait qu’un service prévisible vaut autant qu’un bon produit.
Pourquoi la logistique a-t-elle tout changé dans la trajectoire de Mixue ?
Le succès brut appelle la complexité. Plus d’achalandage signifie des besoins d’approvisionnement plus délicats. Les fruits, le lait en poudre, les bases sucrées : les matières premières se font capricieuses lorsqu’on les achète au fil de l’eau. Les retards s’accumulent, les ruptures menacent la qualité. C’est ici que les fondateurs prennent une décision qui sépare les enseignes éphémères des constructions durables : internaliser la logistique.
En 2014, l’ouverture d’une base de stockage change l’échelle du projet. Mixue commence à sourcer directement auprès des agriculteurs et des producteurs. L’entreprise ne se contente plus d’assembler, elle organise. Puis elle se dote d’entrepôts dans 22 provinces, industrialise le transport, trace les flux, normalise les standards de fraîcheur. La chaîne d’approvisionnement cesse d’être une vulnérabilité ; elle devient un rempart.
“Nous avons fait le choix inverse de beaucoup de franchisés locaux”, explique Chen Xiaorui, responsable opérationnelle d’une région de l’Est. “Au lieu d’acheter à chaque ville ce que nous trouvions, nous avons construit un écosystème où l’on garantit à chaque franchisé la même base, la même qualité, la même cadence. C’est plus cher au début, mais ça élimine les dérapages qui ruinent les marges après coup.”
Dans une boutique de Wuhan, Jian Guoli, jeune franchisé, raconte son démarrage. “Le siège m’a accompagné pour le choix de l’emplacement, l’aménagement, la formation des employés. Ils ont insisté sur le contrôle des flux, la gestion des pics de chaleur et des fins d’après-midi. Je ne vends pas seulement des boissons, je vends une promesse réglée à la minute.” Cette homogénéité des standards a permis à Mixue de gagner la confiance des exploitants qui investissent, souvent à crédit, pour ouvrir sous l’enseigne.
Comment Mixue a-t-elle façonné un modèle qui surpasse les géants historiques ?
L’opinion publique associe la domination mondiale de la restauration rapide à quelques logos américains. Pendant ce temps, Mixue a tissé un réseau tentaculaire, avec une discrétion étudiée. Ses 46 000 établissements ne sont pas simplement des points de vente ; ce sont des points d’accès à une promesse constante : un produit sucré et réconfortant, à un prix ajusté, servi avec une régularité exemplaire.
Contrairement à d’autres chaînes qui misent principalement sur la communication, Mixue a investi dans l’infrastructure. Les systèmes d’approvisionnement, les tests qualité, les modules de formation, l’assistance aux franchisés, l’étalonnage des recettes et des temps d’exécution : tout contribue à une mécanique qui ressemble davantage à une entreprise industrielle qu’à un réseau de boutiques spontanées.
La stratégie tarifaire s’appuie sur une marge maîtrisée depuis l’origine. Le coût des intrants est comprimé par les volumes et le contrôle des sources. Les prix finaux demeurent compétitifs dans des marchés où le pouvoir d’achat fluctue. Ce modèle a un avantage caché : il absorbe mieux les chocs. Dans un contexte de tensions sur certaines matières premières, Mixue anticipe les hausses, amortit les risques et protège l’expérience client.
Au cœur de ce modèle, un principe intangible domine : la qualité standardisée plutôt que la créativité anarchique. Les menus évoluent, mais avec parcimonie et métriques à l’appui. Chaque nouveauté passe par des tests opérationnels : temps de préparation, cadence en heure de pointe, sensibilité aux ruptures, perception client. Les idées séduisantes mais fragiles sont écartées. C’est cette discipline qui a permis à Mixue de s’implanter au-delà de la Chine, sur d’autres marchés asiatiques puis à l’international, sans perdre sa signature.
Quelles sont les clés humaines derrière une expansion aussi rapide ?
Les chiffres racontent une épopée, mais ce sont des personnes qui la portent. Derrière chaque ouverture, il y a un duo fondateur qui a choisi la simplicité lucide plutôt que la flamboyance. Zhang Hongchao, dès l’origine, a cultivé l’habitude d’apprendre des obstacles. Les démolitions du premier stand n’ont pas été un traumatisme, mais une leçon de mobilité. Son frère, Zhang Hongfu, a structuré la croissance, gagnant peu à peu la réputation d’un bâtisseur silencieux, obsédé par la qualité du maillage logistique.
Dans un séminaire de formation à Chengdu, une trentaine de nouveaux franchisés écoutent Mei Ruilan, formatrice senior. “Votre succès”, répète-t-elle, “tient à trois routines: la mise en place, la cadence, la clôture de service. L’essentiel se joue avant l’ouverture et après la fermeture. Au milieu, vous exécutez.” À la pause, Sun Keyi, 29 ans, confie son enthousiasme prudent. “Je n’ai pas le charisme d’un grand chef de cuisine, mais ici je peux réussir avec de la méthode. Le système me rassure.”
Cette approche a façonné un réseau de partenaires alignés, dont la réussite n’est pas un accident mais une probabilité statistique. L’entreprise met à disposition des outils de prévision de flux, des plans d’implantation millimétrés, des fournitures calibrées, et une hotline opérationnelle dont les réponses se mesurent en minutes. La confiance se nourrit de cette réactivité.
Comment la fortune des fondateurs illustre-t-elle la robustesse du modèle ?
La croissance n’a pas seulement fait émerger une marque, elle a édifié un capital considérable. La fortune cumulée des frères Zhang a atteint plusieurs milliards de dollars, reflet d’une valeur créée patiemment : une architecture de coûts sous contrôle, un réseau dense, un savoir-faire logistique rare dans le secteur, et une réputation qui s’est consolidée par la répétition d’expériences client fiables.
Cette fortune ne provient pas de paris spéculatifs mais de la puissance de l’exploitation. Chaque boutique, chaque franchise, chaque lot de matière première livré à l’heure, renforce la cohérence du système. Dans un environnement concurrentiel où les effets de mode usent les enseignes, Mixue a bâti sa valeur sur des briques fondamentales : discipline d’exécution, sobriété marketing, centrage obsessionnel sur l’opérationnel.
“Les investisseurs posent toujours les mêmes questions, sourit Qiao Lin, cadre en stratégie. Ils veulent savoir si l’on prépare une campagne mondiale, une série d’ouvertures records ou une nouveauté virale. Notre réponse est monotone: nous optimisons des routes, nous réduisons des temps, nous calibrons des recettes. C’est peu spectaculaire, mais c’est ce qui tient une maison debout.”
Quels enseignements un entrepreneur peut-il tirer de l’ascension de Mixue ?
Trois leçons dominent. D’abord, la frugalité initiale n’est pas un handicap mais un garde-fou. Elle impose de prioriser les choix qui comptent et d’expérimenter vite. Ensuite, la logistique est un avantage compétitif trop souvent sous-estimé ; c’est elle qui scalabilise une idée. Enfin, le soutien aux partenaires, lorsqu’il est tangible et mesurable, crée un cercle vertueux où la marque devient synonyme de sécurité pour ceux qui investissent au quotidien.
Pour les entrepreneurs qui rêvent d’international, la route n’est pas pavée de slogans. Elle exige des check-lists, des inventaires, de la prévisibilité. La force de Mixue n’est pas de surprendre, mais de ne pas décevoir. Dans un secteur où l’on consomme l’instant, c’est un contre-pied puissant.
À Manille, dans une rue bourdonnante, Carla Villanueva raconte son premier emploi sous l’enseigne. “Je pensais servir des boissons. J’ai compris que je rejoignais une horloge. On nous apprend la posture, la main gauche, la main droite, la vitesse, les yeux sur la file. Ça peut sembler mécanique, mais c’est un filet de sécurité : pour nous, et pour le client.” Cette sensation d’appartenir à une mécanique bien huilée est souvent citée par les équipes terrain comme un facteur de fierté et de rétention.
Jusqu’où Mixue peut-elle repousser les frontières de la restauration rapide ?
La question n’est plus de savoir si Mixue joue dans la cour des grands, mais comment elle s’y comporte. Son modèle, orienté vers la maîtrise des coûts et la standardisation, s’exporte mieux qu’une cuisine d’auteur. Dans des marchés émergents où le pouvoir d’achat est sensible, l’enseigne dispose d’un avantage prix. Dans des marchés matures, elle apporte une option dépouillée et efficace, qui répond à la demande d’un sucré accessible et immédiat.
Les défis ne manquent pas. La concurrence s’adapte ; les attentes sanitaires évoluent ; l’impact environnemental des chaînes massives est scruté. Les fondateurs savent que l’expansion internationale exige une finesse réglementaire, des adaptations culturelles et une rigueur accrue sur la traçabilité. Mais leur force reste la même : ils savent déléguer à la méthode ce que d’autres confient au hasard.
À Kuala Lumpur, Farid Rahman, consultant en développement de réseaux, résume l’atout clé. “Ce que Mixue exporte, ce n’est pas un dessert, c’est un protocole. Le dessert n’est que le vecteur.” Cette idée, d’apparence austère, est peut-être la plus moderne de toutes. Dans un monde saturé de marques, les protocoles gagnent sur la durée.
En quoi l’histoire de Mixue redéfinit-elle l’imaginaire de la réussite ?
La success story qui s’écrit ici n’est pas celle d’un génie médiatique ni d’une invention spectaculaire. C’est une histoire de constance. Un prêt de grand-mère transformé en premier point de vente. Un point de vente cloné intelligemment. Une logistique façonnée pour éviter l’imprévu. Des franchisés soutenus jusqu’à la granularité du quart d’heure. Une qualité équilibrée entre goût et cadence.
Cette approche a une portée culturelle. Elle montre que l’on peut défier les géants sans adopter leur rhétorique. Que l’on peut croître à l’international en parlant le langage universel du prix juste, du produit constant et du service fiable. Que l’on peut inspirer non pas par un mythe, mais par une pratique.
“Je ne connaissais rien à la restauration”, confie Arnaud Bélinge, installé à Phnom Penh, qui a rejoint le réseau après une carrière dans la logistique. “J’ai reconnu des schémas familiers: le contrôle des flux, la précision des inventaires, la répétition des gestes. Ce n’est pas romantique, mais c’est irrésistible.” Il sourit. “Et nos clients reviennent.”
Conclusion
De Zhengzhou au monde, Mixue Ice Cream & Tea a démontré que la discipline peut être une force créative. Ce qui a commencé avec 3000 yuans et un comptoir branlant est devenu un réseau mondial, soutenu par une logistique d’acier, une formation robuste et une promesse client d’une constance rare. Les frères Zhang ont construit plus qu’une marque ; ils ont dessiné une méthode de croissance, patiente et implacable. La suite dépendra de leur capacité à maintenir ce niveau d’exigence en traversant de nouveaux marchés, nouvelles régulations, nouvelles attentes. Mais si leur passé est un indicateur, leur avenir s’annonce aussi structuré que prometteur.
A retenir
Comment Mixue a-t-elle démarré avec si peu ?
L’entreprise naît en 1997 d’un prêt de 3000 yuans accordé à Zhang Hongchao par sa grand-mère. Ce capital initial finance un premier stand à Zhengzhou, rapidement rentable grâce à des marges élevées et une offre simple, optimisée pour les flux urbains.
Qu’est-ce qui a déclenché sa croissance à grande échelle ?
L’ouverture d’une base de stockage en 2014 et la structuration d’un réseau d’entrepôts dans 22 provinces ont permis de maîtriser l’approvisionnement, d’uniformiser la qualité et de soutenir efficacement les franchisés, tout en réduisant les coûts.
Pourquoi le modèle de Mixue est-il si résilient ?
Son avantage repose sur la logistique intégrée, la standardisation des recettes, une assistance opérationnelle pointue et une politique de prix calibrée. L’ensemble atténue les aléas, protège les marges et garantit une expérience client stable.
Quel rôle jouent les fondateurs dans cette trajectoire ?
Zhang Hongchao et Zhang Hongfu ont privilégié une croissance méthodique, en investissant dans l’infrastructure et la formation plutôt que dans des effets de mode. Leur leadership discret a permis d’aligner toute l’organisation sur l’excellence opérationnelle.
Comment l’enseigne s’impose-t-elle face aux géants historiques ?
En se focalisant sur l’exécution plutôt que sur la communication, en consolidant une chaîne d’approvisionnement robuste et en garantissant un rapport qualité-prix constant. Ce modèle s’exporte efficacement et fidélise clients comme franchisés.
Qu’apprendre de Mixue quand on lance sa propre entreprise ?
Commencer frugalement, documenter chaque processus, internaliser les fonctions critiques (logistique, qualité), soutenir ses partenaires avec des outils et de la formation, et choisir la cohérence plutôt que la dispersion créative.
Quels défis pour la prochaine phase d’expansion ?
Adapter le protocole aux cadres réglementaires et culturels locaux, renforcer la traçabilité, maintenir l’exigence qualité à grande échelle, et continuer à innover sans compromettre la cadence opérationnelle.
Pourquoi les franchisés adhèrent-ils durablement ?
Ils bénéficient d’un accompagnement concret: choix des sites, aménagement, formation, approvisionnement sécurisé, hotline réactive et standards précis. Cela transforme leur investissement en trajectoire de rentabilité plus prévisible.
Quelle est la place de la qualité dans ce modèle ?
La qualité est conçue comme une constance mesurable plutôt que comme une création ponctuelle. Chaque produit et chaque geste sont calibrés pour résister aux heures de pointe et rester reproductibles dans tout le réseau.
Quel est l’impact global de Mixue sur le secteur ?
L’enseigne a redéfini la réussite dans la restauration rapide en démontrant que l’infrastructure, la formation et la logistique peuvent être des leviers de marque aussi puissants que la publicité, ouvrant la voie à une croissance internationale disciplinée.