À l’horizon de Riyad, une silhouette géométrique se dessine progressivement, défiant les lois de l’échelle et de l’imagination : le Mukaab. Ce projet colossal, à la croisée de l’ambition technologique et de l’identité culturelle, ne se contente pas de vouloir devenir le plus grand bâtiment du monde par son volume. Il entend redessiner les contours de l’urbanisme du XXIe siècle, en incarnant une nouvelle forme de ville verticale, intégrée, vivante. Situé au cœur du vaste développement New Murabba, le Mukaab incarne bien plus qu’un simple complexe immobilier : c’est un manifeste architectural, économique et social lancé par l’Arabie saoudite vers l’avenir.
Qu’est-ce que le Mukaab et pourquoi fait-il sensation dans le monde de l’architecture ?
Le Mukaab, dont le nom évoque la forme cubique emblématique du projet, est conçu comme une cité dans la cité. Sa structure, un cube monumental de 400 mètres de côté, s’élève dans le ciel de Riyad avec une rigueur presque métaphysique. Ce choix architectural n’est pas anodin : il s’inspire du style Najdi, typique des régions centrales de l’Arabie saoudite, où les bâtiments traditionnels, faits de terre et de pierre, privilégient des formes géométriques simples, adaptées au climat aride. Mais ici, le Najdi est revisité, modernisé, sublimé. Les façades du Mukaab sont ornées de motifs triangulaires entrelacés, une calligraphie géométrique qui joue avec la lumière du désert, créant des jeux d’ombres en perpétuel mouvement.
À l’intérieur, le vide règne. Un atrium gigantesque, l’un des plus vastes espaces intérieurs jamais conçus, entoure une tour centrale qui semble flotter dans l’air. Cet espace, comparable à plusieurs stades de football empilés, est conçu pour accueillir une vie urbaine dense : bureaux, commerces, résidences, théâtres, un musée, une université, des espaces de loisirs. Le Mukaab n’est pas un gratte-ciel. C’est une ville horizontale, repliée sur elle-même, où chaque fonction urbaine est accessible sans sortir du bâtiment.
Le concept séduit et interroge. Lors d’un colloque à Dubaï sur l’architecture du futur, l’architecte Leila Fares, spécialiste des mégaprojets du Golfe, a confié : « Le Mukaab n’est pas une réponse à une question. C’est une question posée à l’urbanisme mondial. Comment vivrons-nous dans des environnements de plus en plus extrêmes ? Comment concilier densité, confort et identité ? » Pour elle, le projet ouvre une voie nouvelle, où la ville n’est plus seulement un agencement de rues et de bâtiments, mais un organisme vivant, contrôlé, autonome.
Comment le Mukaab s’inscrit-il dans la stratégie économique de l’Arabie saoudite ?
Le Mukaab est l’un des joyaux du projet New Murabba, lancé dans le cadre du plan Vision 2030 initié par le prince héritier Mohammed ben Salmane. Ce plan vise à réduire la dépendance du royaume au pétrole en développant des secteurs comme le tourisme, la technologie, et l’économie de la connaissance. New Murabba, qui s’étend sur 19 km², est conçu comme une nouvelle ville intelligente, connectée, carboneutre, et intégrée au tissu urbain de Riyad. Le Mukaab en est le cœur pulsant.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 93 000 m² de bureaux, 186 000 m² de commerces, des milliers de logements, des espaces éducatifs et culturels. L’objectif est clair : attirer des entreprises internationales, des talents, des touristes. Mais aussi, et surtout, offrir aux Saoudiens une nouvelle manière de vivre, loin des modèles occidentaux de banlieues éparpillées et de centres-ville congestionnés.
Samir Al-Wadi, un entrepreneur de Riyad âgé de 34 ans, voit dans le Mukaab une opportunité personnelle : « J’ai grandi dans une famille modeste, dans un quartier périphérique. Aujourd’hui, je dirige une startup de tech éducative. Le Mukaab, c’est l’endroit où je veux qu’on installe nos bureaux. Pas seulement pour l’espace, mais pour l’ambiance. Travailler à côté d’un musée, d’un théâtre, de chercheurs… C’est ce que je veux pour mes enfants : une ville qui pense à tout. »
Pour l’économiste Nora Tazi, basée à Jeddah, le pari est audacieux mais cohérent : « Le royaume investit massivement dans des projets qui ne seront rentables qu’à long terme. Le Mukaab ne se mesure pas en retour sur investissement immédiat. C’est une infrastructure de prestige, un catalyseur d’innovation. Comme Singapour l’a fait dans les années 80, l’Arabie saoudite construit son avenir avec du béton, du verre… et de la vision. »
Le Mukaab va-t-il vraiment devenir le plus grand bâtiment du monde ?
Actuellement, le titre de plus grand bâtiment du monde en volume utilisable revient à l’usine de Boeing à Everett, dans l’État de Washington, avec environ 13,3 millions de mètres cubes. Le Mukaab, avec ses 13,4 millions de mètres cubes, entend détrôner ce géant industriel. Une mince avance, mais symboliquement énorme.
Ce record n’est pas une fin en soi. Il reflète une ambition : repousser les limites techniques, logistiques, humaines. Construire un cube de cette taille, en plein désert, suppose des défis titanesques. Gestion thermique, ventilation naturelle, résistance aux vents, évacuation des eaux pluviales — chaque aspect a nécessité des innovations de pointe.
Les ingénieurs du projet ont notamment développé un système de façade double peau, capable de filtrer la chaleur tout en permettant une ventilation naturelle partielle. Des jardins verticaux, alimentés par des systèmes de récupération d’eau, viendront rafraîchir certains espaces. « On ne construit pas un tel bâtiment comme on construit un gratte-ciel », explique Karim Nasser, chef de projet chez New Murabba Developments. « Ici, chaque mètre cube d’air doit être pensé. Le moindre courant d’air, la moindre source de lumière, tout est calculé. C’est une ville climatisée, mais on veut qu’elle respire. »
Le record du volume, s’il est officialisé, marquera un tournant : celui où les constructions ne visent plus seulement la hauteur, mais la densité fonctionnelle. Le Mukaab ne cherche pas à toucher le ciel, mais à contenir une civilisation.
Quel impact le Mukaab pourrait-il avoir sur l’urbanisme mondial ?
Le Mukaab pourrait bien inaugurer un nouveau paradigme urbain : celui de la ville intégrée, verticale et autonome. Dans un monde où les villes s’étendent, consomment des terres, et génèrent des émissions de carbone, des projets comme celui-ci offrent une alternative radicale : construire moins en surface, mais plus en profondeur et en hauteur, tout en intégrant toutes les fonctions de la vie urbaine.
Des villes comme Tokyo, Paris ou São Paulo étudient déjà des concepts similaires, mais à une échelle réduite. Le Mukaab, lui, est une démonstration à grande échelle. « C’est un laboratoire urbain », affirme le géographe français Julien Mercier, spécialiste des mégacités. « Si le Mukaab fonctionne — si les gens y vivent, y travaillent, s’y sentent bien — alors on pourrait voir émerger des clones à Séoul, au Caire, ou à Lagos. »
Le projet pose aussi des questions éthiques et sociales. Peut-on vivre toute sa vie sous un même toit ? Qu’en est-il de la qualité de l’air, de la lumière naturelle, du lien avec l’extérieur ? Le Mukaab prévoit des espaces extérieurs, des terrasses, des jardins suspendus, mais rien ne remplace le contact direct avec la nature.
Amal Khalaf, une jeune architecte saoudienne formée à Beyrouth, tempère l’enthousiasme : « Le Mukaab est impressionnant, mais il ne doit pas devenir un modèle unique. L’urbanisme, c’est aussi de l’humain. Il faut laisser de la place à l’imprévu, au hasard des rencontres, aux ruelles étroites. Sinon, on risque de construire des cathédrales du confort… mais sans âme. »
Le Mukaab réussira-t-il à concilier modernité et tradition ?
Peut-être est-ce là le défi le plus subtil du projet. Le Mukaab ne veut pas être un vaisseau futuriste posé dans le désert. Il cherche à s’enraciner dans l’identité saoudienne. Les motifs façadiers, inspirés de l’artisanat local, les matériaux choisis pour leur reflet de la lumière, les espaces dédiés à la culture et à la recherche historique — tout est pensé pour que le bâtiment parle aux habitants.
Le musée intégré au complexe, par exemple, sera consacré à l’histoire de la région Najd, cœur historique du royaume. Une université spécialisée dans les sciences du patrimoine y sera rattachée. « Ce n’est pas un musée dans un gratte-ciel », précise Rania Al-Ghamdi, historienne et conseillère du projet. « C’est un lieu où le passé nourrit le futur. On y exposera des manuscrits, des objets artisanaux, mais aussi des installations interactives qui montrent comment les techniques traditionnelles peuvent inspirer les technologies d’aujourd’hui. »
Pour beaucoup de Saoudiens, ce dialogue entre ancien et moderne est essentiel. « Mon grand-père vivait dans une maison de terre, sans électricité », raconte Tariq Al-Shehri, un ingénieur de 58 ans. « Aujourd’hui, mon petit-fils joue avec des drones dans des espaces climatisés. Le Mukaab, c’est ce pont entre deux mondes. Il ne renie rien. Il transforme. »
Quel avenir pour les mégaprojets comme le Mukaab ?
Le succès du Mukaab ne se mesurera pas seulement à son inauguration en 2030, ni même à son record de volume. Il se jugera à sa capacité à devenir un lieu de vie, pas seulement un monument. Les habitants de Riyad devront s’y sentir chez eux. Les entreprises devront y trouver un écosystème dynamique. Les visiteurs devront y découvrir une culture, pas seulement une technologie.
Le projet, s’il parvient à cet équilibre, pourrait inspirer une nouvelle génération de villes. Des villes plus denses, plus efficaces, mais aussi plus humaines. Des villes qui ne fuient pas leur climat, mais l’embrassent. Des villes qui ne copient pas l’Occident, mais inventent leur propre modernité.
Comme le dit sobrement Leila Fares : « Le Mukaab n’est pas une réponse. C’est une proposition. Et le monde entier va observer ce qui va s’y passer. »
A retenir
Quelle est la taille exacte du Mukaab ?
Le Mukaab est conçu comme un cube de 400 mètres de côté, offrant environ 13,4 millions de mètres cubes d’espace utilisable, ce qui en ferait le plus grand bâtiment du monde par volume, dépassant légèrement l’usine de Boeing à Everett.
Quand sera-t-il inauguré ?
Le Mukaab devrait ouvrir ses portes d’ici 2030, dans le cadre du projet New Murabba et de la Vision 2030 du royaume d’Arabie saoudite.
Quelles fonctions abritera-t-il ?
Le bâtiment intégrera des bureaux, des commerces, des résidences, un musée, une université, des théâtres et des espaces de loisirs, formant un écosystème urbain complet sous un même toit.
Comment le Mukaab respecte-t-il l’environnement ?
Le projet intègre des systèmes de gestion thermique avancés, des façades double peau, des jardins verticaux et des technologies de récupération d’eau, visant à réduire son empreinte carbone malgré sa taille colossale.
Le Mukaab est-il uniquement un symbole ou a-t-il une fonction économique réelle ?
Il est à la fois un symbole de modernisation et un moteur économique. Il vise à attirer des entreprises, des talents et des investissements internationaux, tout en offrant de nouvelles opportunités aux citoyens saoudiens.