Un frisson parcourt l’échine de Lucie Berthier lorsqu’elle aperçoit, un matin de juin, une forme sombre et longiligne glisser derrière le muret de pierre sèche qui borde son jardin en Ardèche. Elle recule d’un pas, le cœur battant. Le serpent disparaît dans les herbes hautes. Elle aurait pu, comme beaucoup avant elle, chercher à l’éliminer par peur ou réflexe. Mais depuis 2021, ce geste, même motivé par la panique, peut coûter très cher. En France, tous les serpents sont désormais protégés, et la loi ne fait aucune distinction entre espèces inoffensives et potentiellement dangereuses. Cette protection totale, mise en place par un arrêté ministériel, a bouleversé les rapports entre les humains et ces reptiles souvent mal compris. Entre légalité, écologie et appréhension légitime, comment agir quand un serpent s’invite chez soi ?
Qu’est-ce que l’arrêté de 2021 change pour les serpents en France ?
Le 8 janvier 2021, un arrêté publié au Journal officiel a instauré une protection stricte de toutes les espèces de serpents présentes sur le territoire français, qu’elles soient communes, rares ou menacées. Cette mesure, entrée en vigueur le 11 février suivant, interdit formellement de tuer, capturer, mutiler, déplacer ou perturber intentionnellement un serpent, même en cas d’intrusion dans un jardin ou une habitation. Elle s’applique à l’ensemble des espèces indigènes, comme la couleuvre à collier, la couleuvre helvétique, ou encore l’vipère péliade, souvent perçue comme plus menaçante.
Charlotte Hubler, chargée de mission à la Société herpétologique de France, insiste sur la portée de cette protection : « Ce n’est pas seulement le serpent lui-même qui est protégé, mais aussi ses habitats essentiels. Les sites de reproduction, les refuges hivernaux, les zones de mue ou de chasse sont désormais intouchables. Même l’utilisation de répulsifs chimiques ou ultrasonores peut être considérée comme une perturbation illégale, surtout s’ils mettent en danger l’animal. »
L’objectif de cette loi est double : préserver la biodiversité et reconnaître le rôle écologique des serpents. Ces reptiles sont des régulateurs naturels des populations de rongeurs, d’insectes et de petits animaux. Leur disparition pourrait déséquilibrer les écosystèmes locaux, notamment en zones rurales ou péri-urbaines.
Quelles sont les sanctions si l’on tue un serpent ?
Le Code de l’environnement, notamment à travers l’article L415-3, encadre sévèrement les infractions liées à la destruction ou à la maltraitance d’espèces protégées. En cas de mise à mort d’un serpent, les sanctions peuvent atteindre trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Une peine déjà dissuasive, mais qui peut doubler si l’infraction est commise dans un espace naturel protégé, comme un parc national ou une réserve naturelle. Dans ces zones, l’amende peut grimper jusqu’à 300 000 euros.
En 2023, un agriculteur du Gard a été condamné à une amende de 8 000 euros après avoir écrasé une couleuvre avec son tracteur, affirmant qu’il ne l’avait pas vue. Le tribunal a reconnu la faute, même involontaire, car l’absence de vigilance dans un environnement connu pour abriter des reptiles a été jugée négligente. « On ne condamne pas pour la peur, mais pour le geste posé », précise le magistrat ayant présidé l’audience.
Les conséquences ne se limitent pas à la sanction pénale. Si un serpent est capturé ou déplacé illégalement, les frais liés à son sauvetage, à sa prise en charge par un centre spécialisé ou à sa réintroduction peuvent être imputés à l’auteur de l’acte. Ces coûts, souvent méconnus, peuvent s’élever à plusieurs milliers d’euros.
Que faire lorsqu’un serpent est repéré chez soi ou en pleine nature ?
Face à une présence inattendue, la première règle est de ne pas paniquer. Les serpents ne sont pas agressifs par nature. Ils fuient l’humain dès qu’ils perçoivent une présence. « Ce sont des animaux discrets, craintifs, qui préfèrent s’enfuir que de s’affronter », explique Étienne Rousseau, garde-moniteur dans le Parc naturel régional du Vercors. « Leur comportement est souvent mal interprété. Ce qu’on prend pour une attaque est en réalité une tentative de fuite. »
Lorsqu’un serpent est observé, il est conseillé de garder ses distances, de ne pas tenter de le manipuler, et surtout de ne pas utiliser de produits ou d’outils pour l’effrayer. Les répulsifs, souvent vendus en grandes surfaces ou sur internet, sont non seulement inefficaces, mais aussi illégaux s’ils nuisent à l’animal.
Si le reptile reste présent de manière prolongée, notamment dans un espace clos comme un garage ou une cave, il est recommandé de contacter un service spécialisé. En France, plusieurs associations, comme la SHF ou des centres de sauvetage de la faune sauvage, disposent de bénévoles formés à la capture et au relâcher en milieu naturel. « On intervient rapidement, sans stress pour l’animal ni danger pour les habitants », témoigne Camille Vernet, bénévole dans un centre de Lozère. « Une fois, on a récupéré une vipère coincée sous une bâche dans un jardin. Elle avait simplement cherché un abri frais. On l’a relâchée à 500 mètres de là, dans un terrain boisé. »
Comment prévenir les intrusions sans violer la loi ?
La meilleure stratégie reste la prévention. Les serpents sont attirés par les abris discrets, les zones humides, les tas de bois ou les recoins mal entretenus. Un simple changement d’aménagement peut suffire à les dissuader de s’installer.
Élise Tran, architecte paysagiste dans l’Hérault, conseille ses clients de « penser leur extérieur comme un équilibre entre confort humain et respect de la faune locale ». Elle recommande de fixer solidement les plinthes, de ranger les matériaux de jardin, de limiter les accumulations de feuilles mortes, et d’éviter les points d’eau stagnants. « Un jardin bien entretenu, sans recoins obscurs, est naturellement moins attractif pour les reptiles », ajoute-t-elle.
Pour ceux qui craignent particulièrement les serpents, elle suggère des solutions alternatives : installer des grillages fins au pied des murs, utiliser des bordures de jardin en pierre sèche bien jointoyées, ou encore planter des espèces réputées pour repousser naturellement les reptiles, comme le thym ou la lavande. « Ce ne sont pas des barrières infranchissables, mais elles réduisent significativement les risques. »
Quel est le rôle écologique des serpents ?
Derrière la peur qu’ils inspirent, les serpents jouent un rôle crucial dans les écosystèmes. En régulant les populations de mulots, de campagnols ou de souris, ils limitent naturellement les dégâts dans les cultures, les jardins potagers ou les entrepôts. « Dans certaines régions viticoles du sud de la France, on observe une recrudescence des rongeurs depuis que les couleuvres ont disparu de certains secteurs », note le biologiste Marc Lefebvre. « On est en train de comprendre que leur absence a un coût économique. »
De plus, les serpents sont des indicateurs de santé environnementale. Leur présence signale souvent un écosystème équilibré, avec une biodiversité suffisante pour les nourrir. À l’inverse, leur disparition peut signaler une dégradation des sols, une pollution ou une perte de diversité végétale.
En Ardèche, un projet de réintroduction de couleuvres dans des zones dévastées par les incendies de 2022 a été lancé avec succès. « Ces reptiles aident à restaurer l’équilibre après un désastre écologique », explique la biologiste Aïcha Benali, qui supervise le programme. « Ils ne sont pas des menaces, mais des alliés. »
Comment vivre en cohabitation pacifique avec les serpents ?
La clé de la cohabitation réside dans l’information et l’acceptation. Beaucoup de peurs sont liées à l’inconnu. « Quand les gens comprennent que la majorité des serpents français sont inoffensifs, que l’vipère elle-même mord rarement et que les accidents graves sont extrêmement rares, leur perception change », affirme Charlotte Hubler.
Des ateliers pédagogiques sont désormais proposés dans certaines régions, notamment en Occitanie ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur. À Saint-Jean-du-Gard, une association organise chaque été des « rencontres couleuvres » pour familiariser les habitants avec ces animaux. « On montre des spécimens vivants, on explique leur comportement, on répond aux questions », raconte le bénévole Raphaël Kessler. « À la fin de la séance, la plupart des participants sont apaisés, voire fascinés. »
Lucie Berthier, après avoir contacté un spécialiste, a appris à observer le serpent qui fréquente désormais son jardin. « C’est une couleuvre, elle vient boire près du bassin. Elle part aussitôt qu’elle me voit. Je ne la dérange pas, elle ne me dérange pas. C’est une forme de respect mutuel. »
Conclusion
La protection des serpents en France depuis 2021 n’est pas seulement une mesure environnementale, mais aussi un changement culturel. Elle impose de repenser notre rapport au vivant, même lorsqu’il nous effraie. Plutôt que de réagir par la peur ou la violence, la loi encourage une attitude de prudence, de respect et d’information. Entre sanctions sévères et solutions alternatives, elle trace une voie nouvelle : celle d’une cohabitation harmonieuse avec une faune sauvage essentielle à l’équilibre de notre environnement.
A retenir
Est-il vraiment interdit de tuer un serpent en France ?
Oui, depuis le 11 février 2021, il est strictement interdit de tuer, capturer, mutiler ou perturber un serpent, même s’il est sur une propriété privée. Cette protection s’applique à toutes les espèces de serpents présentes sur le territoire.
Quelles sont les sanctions en cas de mise à mort d’un serpent ?
Les sanctions peuvent atteindre trois ans de prison et 150 000 euros d’amende. Si l’infraction est commise dans un parc national ou une réserve naturelle, l’amende peut doubler, atteignant 300 000 euros.
Que faire si un serpent entre chez moi ?
Il est conseillé de garder ses distances, de ne pas intervenir, et d’appeler un professionnel habilité à la capture et au relâcher. Les serpents ne sont pas agressifs et s’enfuient généralement dès qu’ils perçoivent une présence humaine.
Les répulsifs pour serpents sont-ils autorisés ?
Les répulsifs chimiques ou ultrasonores sont interdits s’ils présentent un danger pour l’animal ou perturbent son comportement. Leur usage peut être sanctionné comme une infraction à la protection des espèces.
Les serpents sont-ils dangereux pour l’homme ?
La majorité des serpents en France sont inoffensifs. L’unique espèce venimeuse, l’vipère péliade, ne mord qu’en cas de menace directe, et les accidents graves sont très rares. Les serpents jouent un rôle écologique bénéfique en régulant les populations de rongeurs.