Dans le cœur battant de Nice, là où les touristes flânent et les habitants font leurs courses, une supérette devient le théâtre d’un combat inattendu. Marine Teyssère, gérante d’un Carrefour Express en plein centre-ville, ne se contente plus de subir les vols répétés qui minent son commerce. Elle riposte. Pas avec des menaces ou des procédures lourdes, mais avec une arme inédite : l’humour, le visuel, et une pointe d’audace technologique. En transformant les images de vidéosurveillance en caricatures générées par intelligence artificielle, elle bouscule les codes de la lutte anti-vol, tout en restant strictement dans les clous de la loi. Ce geste, à la fois provocateur et mesuré, interroge autant qu’il alerte.
Comment une commerçante utilise l’IA pour lutter contre les vols sans violer la vie privée ?
Marine Teyssère a longtemps hésité avant de franchir le pas. Les vols à répétition dans son magasin, parfois plusieurs par semaine, ont fini par entamer la trésorerie et le moral de son équipe. Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas, légalement, afficher les visages des personnes captées par les caméras. C’est alors qu’elle a eu une idée : et si elle recréait ces visages, sans jamais les reproduire fidèlement ? Grâce à une intelligence artificielle spécialisée dans la génération d’images, elle a pu transformer les silhouettes floues des vidéosurveillance en portraits fictifs, inspirés toutefois des comportements observés.
Les résultats sont frappants. Un homme en train de glisser des bouteilles dans son sac devient un dessin stylisé, vêtu d’un tutu rose, avec un air faussement hautain. Une femme qui s’empare de produits d’hygiène se retrouve caricaturée en reine du supermarché, couronnée d’un pack de yaourts. Ces images, bien que fantaisistes, sont reconnaissables par ceux qui fréquentent le quartier. « Ce n’est pas pour se moquer, mais pour interpeller », explique Marine. « Le message est simple : si vous revenez régler ce que vous avez pris, l’image disparaît. Il n’y aura pas de plainte, pas de scandale. Juste une chance de réparer. »
Pourquoi l’humour devient une stratégie de dissuasion dans les petits commerces ?
À l’heure où les petits commerces sont de plus en plus fragilisés par les vols, l’absence de moyens de sécurité efficaces pousse les gérants à innover. « Nous n’avons pas les moyens d’engager un vigile, ni de renforcer la vidéosurveillance avec des systèmes coûteux », confie Élodie Rambert, gérante d’une épicerie à Montpellier, qui suit de près l’initiative de Marine. « On se sent souvent seuls face à un phénomène qui s’aggrave. »
Le recours à l’humour, dans ce contexte, n’est pas anodin. Il permet de dédramatiser une situation tendue tout en envoyant un signal fort. « C’est une façon de dire : on vous voit, on ne ferme pas les yeux, mais on ne répond pas à la violence par la violence », analyse Thomas Lenoir, sociologue spécialisé dans les dynamiques urbaines. « Cela crée un espace de dialogue, même indirect, avec ceux qui volent. »
Sur Instagram, les publications du Carrefour Express de Nice ont rapidement attiré l’attention. Des centaines de partages, des commentaires moqueurs, mais aussi des messages de soutien. Certains habitués du quartier reconnaissent des silhouettes familières. « J’ai vu l’homme au tutu, j’ai rigolé, mais après, j’ai pensé : et si c’était un voisin ? Un gamin en galère ? », raconte Léa, cliente régulière. « Ça fait réfléchir. »
Quel est l’impact réel de cette méthode sur les comportements ?
Marine Teyssère est lucide : son dispositif ne stoppe pas tous les vols. Mais il a eu un effet inattendu. Deux semaines après le lancement des affiches, un homme est revenu en magasin, a payé 87 euros de marchandises et a demandé à ce que son « portrait » soit retiré. « Il n’a pas dit un mot, mais son regard parlait pour lui », raconte Marine. « Il avait honte, peut-être, ou simplement envie de tourner la page. »
Un autre cas a été plus complexe. Une jeune femme, visiblement en difficulté sociale, a été représentée dans une scène inspirée d’un vol de produits de première nécessité. Après la diffusion de l’image, une travailleuse sociale du quartier s’est rendue en magasin pour discuter. « Elle nous a expliqué que cette jeune femme vivait dans un foyer précaire, qu’elle volait pour survivre », rapporte Marine. « On a retiré l’image, et on a orienté la travailleuse sociale vers des structures d’aide. »
Ces retours, même isolés, montrent que la méthode touche une corde sensible. Elle ne se contente pas de sanctionner : elle ouvre des portes. « Ce n’est pas une arme, c’est un miroir », résume Marine. « On ne veut pas punir, on veut que les gens prennent conscience. »
Les limites de l’humour face à la répétition des vols et aux intrusions violentes
Pourtant, l’humour a ses limites. Le mois dernier, le magasin a été forcé à trois reprises en pleine nuit. Un homme a soulevé le rideau métallique, vidé les rayons d’alcool, et disparu. « On a installé des pièges discrets, des alertes silencieuses », raconte Marine. « Une nuit, on l’a attendu. Il est entré, on a appelé la police. Il y a eu une altercation, mais il n’a pas été interpellé sur place. »
Les pertes s’accumulent. Chaque bouteille volée coûte, en moyenne, 3 à 4 euros de marge. Sur un mois, cela représente des centaines d’euros, soit plusieurs dizaines de tickets moyens perdus. « Ce coût, on ne peut pas le porter seul », explique Marine. « À terme, c’est le client honnête qui paie, car les prix montent ou les services baissent. »
Le sentiment d’impuissance est partagé par de nombreux petits commerçants. « On est censés être des vendeurs, pas des flics », souligne Julien Berthier, buraliste à Marseille. « On accueille, on sourit, on encaisse… et en même temps, on surveille. C’est épuisant. »
Comment les commerçants peuvent-ils être soutenus face à ce phénomène croissant ?
L’initiative de Marine Teyssère a déclenché un débat plus large. Des élus locaux, des associations de commerçants, et même des représentants de la préfecture ont pris contact avec elle. « On nous dit : c’est original, c’est dans la légalité, mais ce n’est pas une solution durable », rapporte-t-elle. « Et ils ont raison. »
Des solutions concrètes sont en discussion : renforcement des patrouilles de police de proximité, création de réseaux de commerçants interconnectés pour partager des alertes, ou encore subventions pour l’installation de systèmes de sécurité. « Ce qu’il nous faut, c’est un vrai partenariat avec les autorités », insiste Marine. « On ne demande pas la guerre, on demande de l’aide. »
Entre-temps, elle continue. Les affiches tournent, les publications Instagram aussi. Chaque semaine, un nouveau portrait fictif apparaît. Parfois, il fait rire. Parfois, il fait réfléchir. Toujours, il rappelle une réalité : un commerce, c’est un lieu de vie, pas une cible.
Quelles sont les conséquences juridiques et éthiques de l’usage de l’IA dans la prévention des vols ?
Le cadre légal est crucial. Marine Teyssère a consulté un avocat spécialisé en droit de la protection des données avant de lancer son dispositif. « Toute image réelle d’une personne, même floue, ne peut être diffusée sans son consentement », explique Maître Agnès Vidal. « En revanche, une création entièrement générée par IA, sans lien direct avec un visage identifiable, n’entre pas dans le champ de la CNIL. »
La frontière est fine. Si l’image est trop ressemblante, ou si des détails permettent une identification (tatouages, vêtements spécifiques, accessoires), le risque juridique existe. « Le procédé de Marine est intelligent parce qu’il déforme suffisamment les traits pour garantir l’anonymat, tout en gardant une base factuelle », analyse la juriste. « C’est une forme de satire sociale, protégée par la liberté d’expression. »
Sur le plan éthique, le débat est plus ouvert. « Est-ce légitime de moquer quelqu’un, même anonymement, parce qu’il a volé ? », s’interroge Samuel Grégoire, philosophe des nouvelles technologies. « Oui, si l’intention est réparatrice et non punitive. Mais il faut rester vigilant : l’humour peut vite basculer dans la stigmatisation. »
A retenir
Peut-on légalement diffuser des images de voleurs en magasin ?
Non, la diffusion d’images identifiables de personnes captées par vidéosurveillance est strictement interdite sans cadre juridique précis et sans intervention des forces de l’ordre. Cela viole la protection de la vie privée et le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Comment l’IA permet-elle de contourner ces interdictions ?
L’intelligence artificielle permet de créer des visages fictifs, inspirés de silhouettes observées, sans reproduire fidèlement les traits réels. Tant que l’image générée n’est pas identifiable, elle ne relève pas de la réglementation sur la vidéosurveillance.
Quel est l’objectif de ces caricatures humoristiques ?
Le but n’est pas d’humilier, mais de dissuader et d’ouvrir un dialogue. Les personnes représentées peuvent venir régler leurs dettes pour que l’image soit retirée, sans aucune sanction publique.
Les commerçants peuvent-ils agir seuls face aux vols ?
Ils peuvent innover, comme le fait Marine Teyssère, mais ils ont besoin d’un soutien institutionnel. Sans renforts policiers, sans aides financières ou techniques, leurs initiatives restent limitées face à un phénomène structuré.
Est-ce que cette méthode fonctionne vraiment ?
Elle a un effet dissuasif modéré, mais surtout symbolique. Elle alerte l’opinion, mobilise les clients, et parfois, pousse les auteurs à revenir. Ce n’est pas une solution complète, mais un pas vers une réponse plus humaine et créative au problème des vols en milieu commercial.