Depuis quelques années, un changement discret mais significatif dans la gestion des comptes d’épargne des mineurs bouscule des habitudes bien ancrées au sein des familles françaises. Ce geste simple, presque banal, de verser de l’argent directement sur le livret d’un enfant, souvent offert par les grands-parents à l’occasion d’un anniversaire ou des fêtes de fin d’année, n’est désormais plus possible. Ce n’est pas une innovation récente, mais l’application stricte d’une réglementation ancienne — datant de 1969 — que les banques ont commencé à appliquer avec rigueur à partir de 2021. Derrière cette évolution, un objectif clair : renforcer la sécurité, la traçabilité et la conformité des flux financiers liés aux mineurs. Si les intentions des proches restent généreuses, le chemin pour les concrétiser a changé. Voici comment accompagner l’épargne des enfants en toute légalité, sans compromettre leur avenir ni celui de la famille.
Qu’est-ce que la nouvelle règle interdit concrètement ?
Avant 2021, il était courant — et apparemment sans encombre — de transférer de l’argent directement sur un livret A ou un livret jeune détenu par un mineur, à partir du RIB de ce livret. Ce geste, perçu comme naturel, était facilité par la simplicité des virements bancaires. Mais cette pratique, bien que répandue, n’était pas conforme à la loi. Aujourd’hui, les établissements bancaires, soucieux de se conformer à la réglementation, ont mis fin à ces opérations. Le cœur du changement ? Seul le titulaire du compte ou son représentant légal — en général, un parent — peut effectuer un dépôt sur un livret au nom d’un mineur.
Les virements en provenance d’un tiers, même s’il s’agit d’un grand-parent, d’un oncle ou d’un proche, sont désormais bloqués. La raison ? Le RIB d’un livret d’épargne n’est pas conçu pour recevoir des virements extérieurs. Ce dispositif, initialement pensé pour des opérations limitées entre le livret et le compte courant associé, ne permet pas une traçabilité suffisante en cas de contrôle. Or, en matière de finances impliquant des mineurs, la transparence est cruciale. Elle évite les risques de blanchiment, d’abus de faiblesse ou de conflits familiaux, notamment dans les situations de divorce ou d’héritage.
Élodie Vasseur, mère de deux enfants et enseignante à Lyon, raconte : « Mes parents voulaient offrir 1 000 euros à mon fils pour ses 10 ans. Ils ont tenté un virement sur son livret A, mais la banque a refusé. C’était inattendu pour eux. On a dû tout reprendre à zéro, en passant par mon compte courant. » Ce témoignage illustre bien la rupture entre les attentes familiales et la réalité réglementaire.
Pourquoi cette règle existe-t-elle ?
La loi de 1969 sur les livrets d’épargne réglementés n’a pas été conçue pour permettre des transferts directs de tiers vers les comptes des mineurs. Elle repose sur un principe de protection : les fonds déposés sur un livret doivent être tracés, et leur origine clairement identifiée. En passant par le compte courant des parents, chaque versement laisse une empreinte bancaire. Cette chaîne de traçabilité est essentielle en cas de litige, de contrôle fiscal ou de succession.
Les banques, de leur côté, ont tout intérêt à appliquer strictement cette règle. En cas de non-respect, elles s’exposent à des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). De plus, dans un contexte de lutte accrue contre le blanchiment d’argent, tout flux non identifié est suspect. Même si l’intention est purement familiale, l’anonymat du virement pose problème.
Un autre enjeu, moins souvent évoqué, concerne l’équité entre enfants. Dans les familles recomposées ou lors de donations importantes, la transparence des dons permet d’éviter les tensions. « Quand on sait exactement qui a donné quoi, et quand, cela évite les rancœurs plus tard », explique Marc Lenoir, notaire à Bordeaux. « Un don enregistré, c’est une promesse tenue, mais aussi une protection pour tous. »
Quels sont les livrets concernés ?
La règle ne concerne pas uniquement le livret A. Elle s’applique à tous les livrets d’épargne réglementés détenus par des mineurs : le livret jeune, le livret d’épargne populaire (LEP), et même certains livrets d’épargne à vocation éducative ou bloqués. En revanche, les comptes courants ordinaires ouverts au nom d’un enfant — souvent associés à une carte de paiement limitée — peuvent recevoir des virements, mais uniquement dans le cadre d’une gestion encadrée par les parents.
Comment offrir de l’argent à un enfant sans enfreindre la loi ?
Il est toujours possible, et même fortement recommandé, d’aider un enfant à constituer son épargne. Mais il faut emprunter les voies légales. Plusieurs méthodes permettent de respecter la réglementation tout en conservant un geste symbolique fort.
Option 1 : virement sur le compte des parents avec libellé explicite
La solution la plus simple consiste à effectuer un virement sur le compte courant d’un des parents, en précisant dans le libellé : « Don pour [prénom de l’enfant] – épargne livret ». Ce détail, souvent négligé, est crucial. Il crée une trace écrite de l’intention du donateur. Les parents peuvent ensuite transférer cette somme sur le livret de l’enfant. Ce double mouvement, bien que moins direct, garantit la conformité.
Camille et Thomas Berthier, grands-parents à Nantes, ont adopté cette méthode : « Au début, on trouvait ça compliqué. Mais maintenant, c’est routinier. On met “Don pour Léa – livret A” dans le libellé, et on envoie un message aux parents pour qu’ils fassent le virement. C’est un peu plus long, mais on sait que c’est solide. »
Option 2 : chèque nominatif à l’enfant
Un chèque établi au nom de l’enfant, remis aux parents, est une autre voie légitime. Le parent encaisse le chèque sur son compte courant, puis effectue le versement sur le livret. Cette méthode a l’avantage de créer un document officiel — le chèque — qui atteste de l’origine des fonds. Elle est particulièrement adaptée pour les montants significatifs.
Un reçu signé par les parents peut être établi pour renforcer la preuve du don. Ce geste, bien que non obligatoire, rassure les donateurs et peut s’avérer utile en cas de contrôle fiscal ou de succession.
Option 3 : don manuel en espèces avec preuve écrite
Pour les petits montants ou les occasions familiales intimes, le don en espèces reste possible. Mais il doit être accompagné d’une note écrite, datée et signée, précisant le montant, la date, et l’intention de constituer une épargne pour l’enfant. Cette note, conservée par les parents, sert de preuve en cas de besoin.
Cependant, cette méthode est moins sécurisée. Les espèces ne laissent pas de trace bancaire, et en cas de litige, la preuve du don peut être difficile à établir. Elle convient donc mieux aux dons modestes ou symboliques.
Option 4 : donation officielle pour les montants importants
Lorsque le montant dépasse 7 600 euros par parent et par enfant (ou 15 200 euros pour un couple), il est possible de profiter de l’abattement fiscal sur les donations. Dans ce cas, une donation formalisée par acte notarié ou par déclaration au centre des impôts est conseillée. Elle officialise le transfert, protège le patrimoine du mineur, et permet de bénéficier d’avantages fiscaux.
« Pour les gros dons, la formalisation est un gage de sérénité », affirme Marc Lenoir. « Cela évite les malentendus, et surtout, cela intègre le don dans la succession future. »
Quels sont les risques d’ignorer la règle ?
Tenter de verser de l’argent directement sur un livret de mineur, malgré l’interdiction, peut avoir plusieurs conséquences. La banque peut simplement refuser le virement, ce qui est le cas le plus fréquent. Mais dans certains cas, notamment si le montant est élevé ou si le comportement est répété, un signalement peut être effectué aux autorités compétentes, comme Tracfin, la cellule de renseignement financière.
Un autre risque, souvent sous-estimé, concerne la fiscalité. En l’absence de traçabilité, un don important peut être redressé par l’administration fiscale. Si les fonds ne sont pas clairement identifiés comme un don, ils pourraient être considérés comme un revenu imposable pour l’enfant ou même pour les parents.
Enfin, en cas de conflit familial — divorce, décès, héritage — l’origine des fonds peut être contestée. Sans preuve, un don versé directement sur un livret pourrait être perçu comme une avance sur héritage non déclarée, ou pire, comme un enrichissement sans cause.
Comment adapter ses habitudes familiales ?
La transition vers ces nouvelles pratiques demande une adaptation collective. Les grands-parents doivent être informés, les parents doivent jouer le rôle de relais, et les banques doivent accompagner la famille. La communication est essentielle.
Il est utile de créer un petit guide familial : expliquer les étapes, conserver les justificatifs, et même tenir un registre des dons. Certains parents utilisent une application ou un carnet pour noter chaque versement, sa source et sa destination. Cela renforce la transparence et devient un outil éducatif pour l’enfant.
« On a mis en place un “livret des dons” avec notre fils », raconte Élodie Vasseur. « À chaque anniversaire, on lui montre les sommes reçues, d’où elles viennent, et comment elles ont été placées. Il commence à comprendre l’importance de l’épargne, mais aussi des règles. »
Et le choix du prénom dans tout ça ?
Un détail insolite, mais réel : le choix du prénom peut parfois influencer la perception sociale d’un enfant, notamment si un prénom devient soudainement populaire à cause d’une série ou d’un personnage public. Dans certains cas, des parents ont rapporté que leurs enfants, prénommés comme des héros de fiction, ont fait l’objet de moqueries ou d’attention excessive. Ce n’est pas directement lié à la finance, mais cela rappelle que les décisions prises pour un mineur — qu’elles soient symboliques ou matérielles — ont souvent des effets durables.
Conclusion : un changement au service de la protection
Si cette nouvelle règle peut sembler contraignante, elle s’inscrit dans une logique de protection renforcée des mineurs. Elle impose un peu plus de rigueur, mais elle garantit que chaque geste d’amour et de générosité reste légitime, tracé et durable. En passant par les parents, en conservant les preuves, et en formalisant les dons importants, les familles peuvent continuer à soutenir l’épargne des enfants — non pas en contournant la loi, mais en l’incarnant.
Le véritable cadeau n’est pas seulement l’argent, mais la sérénité qu’il apporte. Savoir que l’épargne de l’enfant est protégée, qu’elle ne sera pas remise en cause demain, que chaque euro a une histoire claire : voilà ce que ces nouvelles règles permettent de construire. Un héritage plus sûr, plus juste, et plus paisible.
A retenir
Peut-on encore offrir de l’argent à un enfant mineur ?
Oui, bien sûr. Il est toujours possible de faire un don à un enfant, mais il faut respecter les canaux légaux : virement sur le compte des parents, chèque nominatif, don manuel avec preuve écrite, ou donation officielle pour les montants élevés.
Pourquoi ne peut-on plus verser directement sur un livret A ?
Le RIB d’un livret d’épargne n’est pas conçu pour recevoir des virements extérieurs. La loi exige que seuls le titulaire ou son représentant légal effectuent les dépôts, afin de garantir la traçabilité et éviter les abus.
Quels livrets sont concernés ?
Tous les livrets réglementés au nom d’un mineur : livret A, livret jeune, livret d’épargne populaire, etc. Les comptes courants associés, en revanche, peuvent recevoir des virements.
Comment prouver qu’un don est destiné à l’enfant ?
En précisant l’intention dans le libellé du virement, en établissant un chèque au nom de l’enfant, ou en rédigeant une note manuscrite datée et signée. Pour les montants supérieurs à 7 600 euros, une déclaration de donation est conseillée.
Y a-t-il un risque fiscal ?
Si le don n’est pas tracé, il peut être redressé par l’administration. En revanche, les donations bénéficient d’un abattement de 100 000 euros tous les 15 ans par parent, ce qui rend souvent l’opération non imposable.