L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) ne se mesure plus seulement à ses performances, mais aussi à l’ampleur colossale des investissements qu’elle mobilise. OpenAI, la société à l’origine de ChatGPT, incarne ce phénomène comme aucun autre acteur du secteur. En quelques mois, elle est devenue le pivot d’un réseau d’alliances stratégiques avec les géants de la technologie, signant des accords aux montants vertigineux. Ces partenariats, qui impliquent AMD, Nvidia, Samsung et d’autres mastodontes, ne sont pas seulement des signatures sur papier : ils tracent les contours d’une nouvelle course technologique, où la puissance de calcul, la disponibilité des composants et la maîtrise des infrastructures deviennent des enjeux géopolitiques. Mais derrière cette course à l’innovation se profile une réalité moins médiatisée : un coût environnemental et économique qui soulève des questions cruciales sur la durabilité et l’équilibre du secteur.
Quel est l’enjeu derrière les commandes massives de puces par OpenAI ?
Les processeurs graphiques, ou GPU, sont le cœur battant de l’intelligence artificielle moderne. Contrairement aux processeurs classiques, ils sont capables de réaliser des milliards d’opérations en parallèle, une capacité indispensable pour entraîner des modèles comme GPT-4. C’est pourquoi OpenAI, dans sa quête de performances toujours plus élevées, a passé des commandes colossales auprès de fabricants comme AMD. Le 6 octobre, l’annonce d’un partenariat avec cette entreprise a révélé que le contrat pourrait générer un chiffre d’affaires dépassant 100 milliards de dollars sur plusieurs années. Un montant inédit, même pour une industrie habituée aux sommes astronomiques.
Pour Lisa Su, la PDG d’AMD, ce contrat est bien plus qu’un simple gain financier : c’est une reconnaissance stratégique. Dans un secteur dominé par Nvidia, cette percée auprès d’OpenAI permet à AMD de repositionner ses puces MI300 comme une alternative crédible aux H100 de son rival. « Nous ne sommes pas seulement des fournisseurs, nous sommes des partenaires technologiques », a-t-elle insisté lors d’une conférence. Cette affirmation résonne chez des ingénieurs comme Théo Lemaire, spécialiste en architecture informatique à Grenoble : « AMD a longtemps été en retrait, mais ses puces montrent désormais des performances comparables, avec un meilleur rapport coût-efficacité. Pour OpenAI, diversifier ses fournisseurs, c’est aussi réduire sa dépendance. »
Pourquoi Nvidia investit-il 100 milliards de dollars dans OpenAI ?
Le partenariat entre Nvidia et OpenAI, annoncé le 22 septembre, est qualifié d’« historique ». Il va bien au-delà de la simple vente de puces : Nvidia s’engage à investir massivement dans la construction de centres de données dédiés à OpenAI. Ce type d’infrastructure, capable d’héberger des milliers de serveurs, représente des coûts colossaux en énergie, en refroidissement et en maintenance. En misant directement sur ces installations, Nvidia assure non seulement un débouché à ses produits, mais devient un acteur central de l’écosystème IA.
Le choix de Nvidia n’est pas anodin. Ses puces H100 sont actuellement les plus performantes du marché pour l’entraînement de grands modèles. Mais cette domination suscite des inquiétudes. « Nous sommes dans une situation de quasi-monopole », alerte Camille Fournier, consultante en IA basée à Berlin. « Si une seule entreprise contrôle à la fois les outils de calcul et une part croissante des infrastructures, cela crée des risques pour l’innovation et la concurrence. » Pour OpenAI, cet investissement est une aubaine : il accélère son développement sans avoir à supporter seul le fardeau financier. Mais il renforce aussi une dépendance technologique que certains, au sein même de l’entreprise, surveillent avec attention.
Quel rôle joue Samsung dans la stratégie d’OpenAI ?
Le 2 octobre, OpenAI a surpris en annonçant un accord technologique avec Samsung, sans révéler le montant. Contrairement aux partenariats avec AMD ou Nvidia, celui-ci ne se limite pas aux processeurs. Samsung fournira notamment de la mémoire vive (RAM) ultra-rapide, un composant critique pour le traitement des données massives. Mais l’innovation la plus audacieuse réside ailleurs : les deux entreprises planchent sur le développement de data centers flottants.
L’idée, encore expérimentale, est de construire des centres de données sur des barges ou des plates-formes offshore. « Cela permet de contourner la pénurie de terrains disponibles près des grandes villes, de profiter du refroidissement naturel par l’eau et de réduire les émissions de carbone », explique un ingénieur du groupe sud-coréen, qui souhaite rester anonyme. Pour OpenAI, ce projet s’inscrit dans une stratégie plus large de durabilité. Mais il soulève aussi des défis : la maintenance à distance, la sécurité des données, ou encore les impacts écologiques sur les écosystèmes marins. « C’est une solution séduisante sur le papier, mais elle reste à prouver », nuance Élise Nguyen, chercheuse en éthique technologique à l’École des Mines de Paris.
Qu’est-ce que le projet Stargate et quel est son impact ?
Derrière ces alliances se profile un projet d’envergure nationale : Stargate. Officiellement lancé en début d’année par Donald Trump, ce programme vise à faire des États-Unis le leader mondial incontesté de l’intelligence artificielle. Il repose sur un financement massif d’infrastructures critiques, notamment des data centers capables de supporter les besoins exponentiels de l’IA. OpenAI en est l’un des principaux bénéficiaires, mais elle n’est pas seule : Oracle, le géant des bases de données, et Softbank, le fonds d’investissement japonais, sont également impliqués.
Le projet Stargate illustre une nouvelle forme de collaboration entre secteur privé et pouvoir politique. « Ce n’est plus seulement une course technologique, c’est une course géopolitique », analyse Julien Mercier, analyste à l’Institut Montaigne. « Les États-Unis veulent anticiper la domination chinoise en IA, et ils misent sur des champions privés comme OpenAI pour y parvenir. » Pour certains, cette alliance soulève des questions de transparence. « Quand une entreprise privée reçoit des financements publics à cette échelle, elle doit rendre des comptes sur l’usage de ses technologies », insiste Élise Nguyen.
Quel est le coût réel de l’intelligence artificielle ?
Les chiffres font tourner la tête : 100 milliards ici, des centaines de milliards là. Mais au-delà des montants, le coût de l’IA se mesure aussi en ressources naturelles et en impact environnemental. Les data centers consomment des quantités phénoménales d’électricité. Selon une étude récente de l’Agence internationale de l’énergie, le secteur numérique pourrait représenter 10 % de la consommation électrique mondiale d’ici 2030, une part croissante étant attribuée aux centres d’IA. Et cette énergie n’est pas toujours renouvelable.
En outre, la fabrication des puces nécessite des matériaux rares comme le gallium, le germanium ou le silicium, extraits dans des conditions souvent polluantes. « On parle beaucoup de l’IA comme d’un outil de progrès, mais on oublie qu’elle repose sur une chaîne d’exploitation lourde », souligne Camille Fournier. Théo Lemaire ajoute : « En tant qu’ingénieurs, nous avons un devoir d’anticipation. Si nous ne pensons pas dès maintenant à des architectures plus économes, nous allons nous retrouver face à une crise énergétique et écologique. »
L’IA connaît-elle une bulle spéculative ?
Certains experts s’interrogent : ces investissements massifs sont-ils justifiés par la valeur réelle des technologies, ou assiste-t-on à une bulle ? « Les valorisations actuelles sont déconnectées des bénéfices réels », estime Julien Mercier. OpenAI, valorisée à 500 milliards de dollars, n’a pas encore atteint la rentabilité. Ses revenus proviennent principalement de l’abonnement à ChatGPT, mais les coûts d’infrastructure grèvent fortement ses marges.
Le risque, selon lui, est qu’un ralentissement économique ou une régulation stricte provoque un retournement brutal. « Nous avons vu cela avec les dotcom dans les années 2000. L’innovation était réelle, mais la spéculation a tout emporté. » Pour autant, personne ne remet en cause le potentiel de l’IA. « Ce n’est pas la technologie qui est en cause, c’est la manière dont on l’encapitalise », nuance Élise Nguyen. « Il faut distinguer ce qui est durable de ce qui est frénétique. »
Conclusion
OpenAI incarne à la fois l’ambition et les paradoxes de l’ère de l’intelligence artificielle. Son succès repose sur des alliances technologiques sans précédent, mais ces partenariats révèlent une dépendance croissante aux ressources, aux infrastructures et aux financements publics. Derrière les discours sur l’innovation se jouent des enjeux de pouvoir, de souveraineté numérique et de durabilité. L’IA n’est plus seulement un outil : elle devient un système, avec ses forces, ses failles, et ses responsabilités. La question n’est plus de savoir si elle va transformer le monde, mais comment elle le fera — et à quel prix.
A retenir
Quels sont les principaux partenaires technologiques d’OpenAI ?
OpenAI collabore avec AMD pour l’approvisionnement en processeurs graphiques, avec Nvidia pour le développement de centres de données, et avec Samsung pour la fourniture de composants électroniques et l’expérimentation de data centers flottants. Oracle et le fonds Softbank sont également impliqués dans le cadre du projet Stargate.
Quel est le montant des investissements liés à ces partenariats ?
Le contrat avec AMD pourrait générer plus de 100 milliards de dollars sur plusieurs années. Nvidia s’engage à investir 100 milliards de dollars dans la construction de centres de données pour OpenAI. Le montant de l’accord avec Samsung n’a pas été divulgué.
Qu’est-ce que le projet Stargate ?
Stargate est un projet stratégique américain, soutenu par Donald Trump, visant à faire des États-Unis le leader mondial de l’intelligence artificielle. Il finance massivement la construction d’infrastructures critiques, notamment des data centers, en partenariat avec des entreprises comme OpenAI, Oracle et Softbank.
Pourquoi parle-t-on de bulle spéculative autour de l’IA ?
Les valorisations des entreprises d’IA, comme OpenAI à 500 milliards de dollars, dépassent largement leurs bénéfices actuels. Les investissements colossaux dans les infrastructures soulèvent des inquiétudes sur une possible surévaluation, similaire à celle observée pendant la bulle internet.
Quel est l’impact environnemental de l’intelligence artificielle ?
Les data centers nécessaires à l’IA consomment d’énormes quantités d’énergie, souvent non renouvelable. La fabrication des puces utilise des matériaux rares et polluants. Des solutions comme les data centers flottants sont explorées pour réduire cet impact, mais restent expérimentales.