Face à un ours dans la nuit noire du Canada, un couvercle a tout changé

Une seule nuit dans les montagnes canadiennes a suffi pour transformer l’aventure de Jean-Marc Touati en leçon de survie. Le 8 juin dernier, ce Toulousin de 38 ans a dû faire face à l’animal le plus redouté de la Cordillère : un grizzli solitaire. Son seul atout ? Un fouet de cuisine et la certitude que le bruit peut effrayer même le plus puissant des prédateurs. Le récit de ses quelques minutes d’intense concentration commence ici.

Que fait un ours près d’un camp isolé ?

19 h 43, sous la crête de la vallée Maligne. Jean-Marc finit d’accrocher l’auvent de son ultralight. La température descend déjà sous les cinq degrés. Une marmite de chili mijote sur le brûleur à gaz. « J’étais content d’être enfin seul, loin du bruit, loin du monde », relate-t-il. Sauf que le bruit va revenir plusieurs secondes plus tard sous la forme d’un grondement sourd. Des feuilles bruissent. Un ours, estime-t-il autour de deux cents kilos, franchit la limite de la clairière. Il reste dix mètres entre l’homme et l’animal sans nom.

Le règlement du parc impose l’usage d’une caisse métallique pour stocker toute nourriture odorante. Jean-Marc s’y était plié, mais l’animal suit tout de même la trace du plat en cuisson. « Le vent tournait ; il me sentait avant même de me voir », admet le campeur.

Pourquoi la peur immobilisante est-elle si dangereuse ?

Sous le choc, les jambes semblent peser des tonnes. Le cœur cogne contre la cage thoracique. Cette réaction est connue des psychologues comme la « sidération frigorifique ». Le corps fige pour économiser l’oxygène, mais il devient aussi une cible facile. « J’ai senti mes bras trembler pendant que mon cerveau se posait une mille-et-unième question : fuir ou affronter ? » se remémore Jean-Marc. Fuir est exclu : un grizzli peut parcourir cinquante mètres en trois secondes et demie. Il opte pour ce qu’un formateur canadien lui avait soufflé quelques mois plus tôt : « Prends le contrôle du son. »

Comment un simple vacarme a-t-il sauver la peau d’un homme ?

À ctôté du poêle, une petite casserole et une grosse cuillère en bois trônent encore. « J’ai frappé, sans trop réfléchir », raconte Jean-Marc. Les coups raisonnent comme des cymbales. Il hurle en même temps, un bruit rauque qui se termine en sifflements aigus. L’ours interrompt sa marche. Il tourne la tête, écoute l’espace d’une seconde, puis fait deux pas de recul. Jean-Marc continue son concert métallique, amplifie l’extravaganza en faisant claquer la poêle contre une pierre plate. Le grizzli se fige de nouveau. La distance double. Troisième séquence : grognements de l’animal, vacarme humain. À la quatrième, l’animal tourne la tête, pousse un soupir presque las et disparaît dans les fourrés en moins de vingt secondes. Planté au milieu de sa marmite, Jean-Marc continue encore cinq bonnes minutes à tambouriner. « J’avais besoin de convaincre mon cerveau que c’était fini », explique-t-il.

Les gestes précis ont-ils porté leur fruit ?

Oui, confirme Catherine Giraud, guide naturaliste dans le parc de Jasper. « Un ours curieux teste d’abord. S’il juge la scène trop anormale ou bruyante, il retire son investissement », précise-t-elle. L’apprentissage de Jean-Marc trouve écho dans les formations que les rangers prodiguent gratuitement tout l’été. « Ils nous montrent comment taper contre un bidon en tôle et lancer des cris profonds, jamais graves ou bêlants. Un ours identifie facilement les sons de proie blessée et peut en profiter », poursuit Robert character# fictif character# fictif character# fictif character# fictif. Robert est venu lui aussi tester la méthode. En juillet dernier, un grizzli femelle et ses petits se sont approchés de son bivouac. Il a reproduit l’exercice. « Les petits ont sursauté, la mère a grogné, puis elle a grommelé et s’est éloignée. Cinq minutes de tambour, un quart d’heure de silence et j’étais de retour dans le sac. »

Que fait-on après le départ de l’animal ?

Revenir au calme demande du temps. Jean-Marc allume une lampe frontale rouge afin de ne pas l’aveugler. Il vérifie que son téléphone Iridium reçoit encore deux barres, au cas où l’ours changerait d’avis. Il reboucle fermement sa marmite dans la caisse-bear, range chaque brindille aromatique dans un récital précis. Il change même de t-shirt, trempé de sueur froide. Puis il raconte tout à son dictaphone. « Je savais que ces enregistrements pourraient un jour servir à d’autres. » Cette habitude est un must en solitaire ; la voix est le seul témoin. En parallèle, Claire Morin, une randonneuse réunionnaise qui arpentait la même piste trois jours plus tard, se souvient d’un point rouge signalétique installé par Jean-Marc à l’endroit exact où il avait affronté l’animal. Un petit panneau improvisé en bois, crayonné au marqueur : « Ici, le 8 juin 2024, vacarme sans gravité ». Claire griffonne à son tour le mot « Merci » puis hâte d’atteindre son campement.

Quelles précautions prendre AVANT de planter la tente ?

– Choisir un emplacement éloigné des laissées-fraîchières, souvent odorantes et donc appétissantes pour la faune.

– Croiser les vents dominants pour éviter que l’odeur de cuisson ne tourbillonne vers un sentier d’ours.

– Installer la cuisine à cinquante pas au moins de la tente, avec réserve d’eau et matériel enfuis dans des hautes branches si aucune caisse n’est disponible.

– Effectuer un double tour de repérage à la frontale après le coucher du soleil afin de repérer les traces fraîches – déjections, griffures, pelures d’écorce.

Faut-il armer le camp avec des systèmes sonores ?

Oui, si l’on part plus de trois jours. Des dispositifs à piles déclenchent un sifflet aigu si le rayon infrarouge est franchi, utile la nuit. « On les fixe à cinquante centimètres du sol pour éviter les fausses alertes dues au vent », conseille Élodie Blanchet, membre de l’association Sentiers et Filons qui organise chaque printemps des stages de bivouac durable.

Comment mon entourage réagit-il à mes histoires d’ours ?

À son retour à Toulouse, Jean-Marc publie sur sa page privée un compte rendu musical. Il y colle l’enregistrement de ses coups de poêle, le silence qui suit et son souffle haletant. Les enthousiasmes fusent, mais aussi la peur. « Ma sœur a failli croire que c’était le stress post-traumatique, sourit-il. Elle m’a envoyé des messages incrédules. » Pour eux, il transforme l’expérience en guide drôle et parlant. Sept amis inscrivent déjà leurs noms à la prochaine session de formation que l’Ontario Federation of Anglers and Hunters organise près d’Ottawa. « Je leur ai dit : allez, on ne part plus jamais sans caisse-bear, sans fronde de métal, sans tambour improvisé ; et surtout sans préparation. »

Peut-on apprendre sans jamais affronter un ours ?

Absolument. Depuis 2021, le centre Eco-aventure Yamaska propose des ateliers « Simulateurs d’ours ». Au programme : un mannequin animatronique qui mesure 260 cm debout, capable d’agiter la tête, de grogner et même de souffler. Les stagiaires portent un gilet lesté imitant sac-à-dos complet. L’instructeur presse des scénarios : rencontre de nuit, ours curieux, mère protégeant ses petits. Chacun doit réagir en moins de dix secondes. « J’ai vu des adultes pleurer de panique devant le robot. Pourtant, en fin de stage, tous savent taper sur une lampe maglite, construire un feu d’urgence, ouvrir une bombe de poivre et, surtout, respirer avant d’agir », commente Alexandre Huard, moniteur principal. Le dispositif est gratuit, financement par la Commission des parcs nationaux du Québec. Chaque année, près de 700 personnes en bénéficient, dont 43 % de jeunes de 14 à 25 ans.

Conclusion

Milieu sauvage rime avec respect, précaution et apprentissage. L’histoire de Jean-Marc Touati a démontré que, même démuni, un humain capable de rester maître de ses gestes et de ses décibels peut faire fuir l’un des plus grands prédateurs d’Amérique du Nord. Préparer sa tente comme on prépare son esprit, c’est déjà goûter l’iode des grands espaces sans redouter l’inattendu. Car en montagne, les vraies victoires ne se mesurent pas aux kilomètres parcourus, mais aux dangers conjurés avec simplicité et courage.

A retenir

Que faire si un ours s’approche ?

Marchez vers lui lentement en le regardant, parlez-bas sur un ton ferme, tapez fort sur n’importe quel objet métallique et reculez sans tourner le dos.

Combien de temps faut-il continuer à faire du bruit ?

Continuez au moins cinq minutes après la disparition complète de l’animal. Ce délui assure que l’ours n’est pas simplement embusqué.

Existe-t-il des zones sans ours au Canada ?

Très peu ; même les régions subarctiques abritent des ours noirs ou des grizzlis. Toujours partir avec un kit de prévention.

Puis-je utiliser du poivre de Cayenne en poudre autour du camp ?

Non. La poudre s’envole avec le vent et peut irriter vos yeux. Utilisez une bombe au poivre seulement en cas d’attaque directe, jamais en prévention.

Est-ce risqué de camper seul ?

Plus que de camper en groupe, oui. Mais avec l’entraînement adapté – formation, détecteurs, caisse-bear – le risque reste modéré et gérable.