Pékin frappe deux banques lituaniennes en 2025 : l’UE sous pression

Alors que les tensions géopolitiques entre l’Union européenne et la Chine s’intensifient autour du conflit ukrainien, un nouvel épisode diplomatique et financier vient de s’inscrire dans un jeu d’équilibre aux enjeux multiples. Pékin, sans rompre le dialogue, a choisi une réponse ciblée et symbolique : la suspension des opérations bancaires impliquant deux établissements lituaniens. Ce geste, à la fois pratique et stratégique, illustre la manière dont les grandes puissances utilisent désormais les interconnexions économiques comme leviers de pression. Derrière cette affaire, ce sont les banques européennes qui se retrouvent en première ligne, tiraillées entre respect des sanctions, préservation de leurs activités en Chine et gestion des risques croisés. Entre coups d’éclat diplomatiques et ajustements silencieux dans les back-offices, l’équilibre est précaire, et chaque décision peut basculer un écosystème financier fragile.

Quelle est l’origine de la riposte chinoise contre les banques lituaniennes ?

L’escalade débute par une décision de l’Union européenne en juillet, qui inscrit deux banques chinoises — Heihe Rural Commercial Bank et Heilongjiang Suifenhe Rural Commercial Bank — sur une liste noire liée aux sanctions contre la Russie. Ces institutions, situées dans la province frontalière du Heilongjiang, sont accusées de faciliter des transactions en yuan permettant à des entités russes de contourner les restrictions occidentales. Pour Bruxelles, il s’agit d’un signal clair : aucune complicité indirecte ne sera tolérée. Mais pour Pékin, cette mesure touche un point sensible. Elle perçoit cette inclusion comme une atteinte à sa souveraineté économique et une instrumentalisation de son système bancaire dans un conflit qui ne la concerne pas directement.

La réponse chinoise, annoncée peu après, est ciblée mais ferme : UAB Urbo Bankas et AB Mano Bankas, deux banques lituaniennes, se voient interdire toute transaction avec des entités ou particuliers basés en Chine. L’interdiction inclut non seulement les transferts en yuan, mais aussi l’accès aux réseaux de compensation et aux correspondants bancaires locaux. Ce n’est pas une sanction massive, mais un avertissement précis. Comme l’explique Li Wen, analyste financier à Shanghai, « ce n’est pas une guerre économique, mais un rappel à l’ordre. La Chine montre qu’elle peut frapper là où ça fait mal, sans fermer la porte au dialogue. »

Pourquoi la Lituanie est-elle devenue un point de friction entre Pékin et Bruxelles ?

La Lituanie, bien que petite, occupe une place stratégique dans cette crise. Depuis 2021, ses relations avec la Chine se sont détériorées après qu’elle a autorisé Taïwan à ouvrir un « bureau de représentation » à Vilnius sous son propre nom, une décision que Pékin a jugée comme une provocation contre sa politique d’un seul pays. En représailles, la Chine a suspendu les importations lituaniennes et isolé diplomatiquement le pays. Cette nouvelle affaire bancaire prolonge donc une logique de pression sélective.

Le choix de cibler des banques lituaniennes, plutôt que des établissements français ou allemands, est calculé. Il permet à la Chine de punir symboliquement un pays perçu comme un acteur clé dans les décisions européennes hostiles, tout en évitant une confrontation directe avec les grandes puissances économiques de l’UE. « C’est un coup de poker diplomatique », analyse Élise Moreau, économiste au cabinet Stratégia Europe. « Pékin sait que la Lituanie a peu de poids militaire, mais beaucoup de voix politique dans les instances européennes. En la touchant, elle fait sentir à Bruxelles qu’aucun membre n’est à l’abri. »

Comment les banques européennes réagissent-elles à cette montée des tensions ?

Dans les salles de crise des grandes banques européennes, l’atmosphère est tendue mais maîtrisée. À Paris, au siège de Crédit Alpin, le directeur des opérations internationales, Thomas Lefebvre, a réuni son équipe chaque matin depuis l’annonce. « On ne parle plus seulement de risque de crédit ou de liquidité, mais de risque géopolitique opérationnel. Un simple virement en yuan peut désormais être bloqué sans préavis. » Les départements de conformité ont été renforcés, les processus KYC (Know Your Customer) revus, et les clauses contractuelles ajustées pour inclure des clauses de force majeure liées aux décisions réglementaires chinoises.

À Francfort, chez Deutsche FinanzGruppe, les équipes de trésorerie ont reconfiguré les circuits de paiement, évitant désormais tout passage par des banques lituaniennes, même pour des opérations secondaires. « On ne prend plus de risques sur des intermédiaires sensibles », confie Anna Vogel, responsable des flux transfrontaliers. « Un blocage de paiement, même ponctuel, peut ruiner la confiance d’un client industriel sur plusieurs mois. »

Quels sont les risques concrets pour les banques européennes en Chine ?

Le principal risque n’est pas seulement financier, mais réputationnel. En Chine, la confiance se construit sur des années de relations stables. Or, depuis que l’UE a durci sa position sur les banques chinoises liées à la Russie, les autorités locales surveillent de près les comportements des banques étrangères. « Si tu sanctionnes nos institutions, comment veux-tu qu’on te fasse confiance ? » a lancé un régulateur chinois lors d’une réunion informelle avec des représentants bancaires européens, rapporte un témoin anonyme.

Les banques européennes craignent désormais des rétorsions asymétriques : refus de licences, audits inopinés, ou blocage de services numériques. Certaines ont déjà réduit leur empreinte physique en Chine, fermant des bureaux secondaires ou gelant des recrutements. D’autres, comme le groupe néerlandais EuroNed, ont mis en place des « plans B » : transférer certaines opérations vers Singapour ou Hong Kong, tout en maintenant une présence symbolique à Shanghai.

Comment Bruxelles pèse-t-elle dans ce bras de fer ?

Le ton de l’Union européenne est ferme, mais mesuré. Ursula von der Leyen, après son récent sommet à Pékin, a parlé d’un « clair point d’inflexion » dans les relations UE-Chine. Bruxelles insiste sur la nécessité pour Pékin de cesser de soutenir Moscou, notamment via des circuits financiers parallèles. Mais elle évite toute escalade généralisée, consciente que l’économie européenne dépend encore largement des chaînes d’approvisionnement chinoises.

Le dilemme est patent : sanctionner trop fort, c’est risquer une rupture économique coûteuse ; trop céder, c’est perdre de vue les principes. C’est dans ce contexte que la Commission européenne travaille à un cadre plus clair pour les sanctions extraterritoriales, avec des exemptions précises et des mécanismes de recours. « Il faut des règles lisibles, pas des coups de pression unilatéraux », affirme Claire Dubois, conseillère économique au Parlement européen. « Sinon, ce sont les entreprises et les banques qui trinquent, pas les décideurs. »

Quel avenir pour les relations économiques UE-Chine ?

Malgré la tension, aucun acteur ne souhaite une rupture. La Chine dépend des exportations vers l’Europe, et l’Europe a besoin des composants, des batteries et des matières premières que seule la Chine peut fournir à grande échelle. Le commerce bilatéral a dépassé 700 milliards d’euros en 2023. Ce niveau d’interdépendance rend toute guerre économique coûteuse pour les deux camps.

C’est pourquoi, derrière les déclarations publiques, les canaux de dialogue restent ouverts. Des rencontres techniques entre régulateurs bancaires européens et chinois ont lieu chaque semaine, souvent en mode informel. « On ne parle pas de politique, on parle de paiements, de liquidité, de règles d’interopérabilité », explique un cadre du groupe BNP Système, qui participe à ces discussions. « Ce sont ces échanges discrets qui empêchent l’escalade. »

La Chine et la Russie : un partenariat sans limite, vraiment ?

Le terme de « partenariat sans limite » utilisé par Pékin pour décrire ses relations avec Moscou est souvent mal interprété. Il ne signifie pas une alliance militaire, mais une coopération économique et stratégique renforcée. La Chine n’a pas rejoint les sanctions contre la Russie, et ses banques continuent de traiter en yuan avec des entités russes. Cela ne fait pas d’elle un complice direct, mais un acteur ambigu que l’UE tente de cerner. « On ne peut pas demander à la Chine de choisir entre Moscou et nous, reconnaît Thomas Lefebvre. Mais on peut exiger qu’elle ne devienne pas un relais de contournement. »

Les banques européennes peuvent-elles se passer de la Chine ?

Pas à court terme. Même les banques les plus prudentes, comme le suisse UBS Helvetia, maintiennent une présence en Chine, car le marché local représente une opportunité de croissance unique. Mais elles diversifient : montée en puissance à Singapour, renforcement des partenariats avec les établissements japonais ou coréens, et développement de hubs numériques hors du territoire chinois. « On ne se retire pas, on se réorganise », résume Élise Moreau.

A retenir

Pourquoi Pékin a-t-il ciblé des banques lituaniennes ?

La Chine a choisi des banques lituaniennes comme levier de pression en réponse aux sanctions européennes contre deux de ses institutions liées à la Russie. Ce ciblage symbolique permet de sanctionner un État membre perçu comme actif dans la politique anti-chinoise de l’UE, sans provoquer une crise majeure avec les grandes puissances économiques européennes.

Les banques européennes sont-elles en danger en Chine ?

Elles ne sont pas en danger immédiat, mais elles font face à une montée des risques réglementaires et opérationnels. Le climat de méfiance croissante oblige les établissements à renforcer leurs contrôles, adapter leurs circuits de paiement et anticiper des mesures de rétorsion potentielles, même ciblées.

Bruxelles peut-elle gagner ce bras de fer ?

La victoire n’est pas le bon cadre. Il s’agit plutôt d’un jeu d’équilibre où chaque camp teste les lignes rouges de l’autre. L’objectif de Bruxelles est de limiter l’aide chinoise à la Russie sans rompre les relations économiques. Cela passe par des sanctions ciblées, un dialogue continu, et une coordination forte entre États membres.

La coopération UE-Chine est-elle encore possible ?

Oui, mais sous une nouvelle forme. Les relations ne seront plus naïvement coopératives, mais concurrentielles et méfiante. La confiance se reconstruira par des gestes concrets — transparence sur les flux financiers, dialogue technique, respect des règles communes — plutôt que par des déclarations diplomatiques.

En définitive, cette crise bancaire n’est pas qu’un incident technique. Elle incarne une nouvelle ère des relations internationales, où l’économie devient un champ de bataille subtil, où chaque virement, chaque licence, chaque clause contractuelle peut devenir un acte politique. Les banques, autrefois neutres, sont désormais au cœur de l’échiquier stratégique. Et dans ce jeu d’équilibre, la prudence, la lisibilité et la diplomatie discrète seront les seules armes capables d’éviter l’escalade.