À Lloret de Mar, une initiative municipale censée embellir la ville et la reconnecter à la nature a pris une tournure inattendue. Ce qui devait être un projet emblématique de renaturation urbaine s’est transformé en source d’inquiétude pour les habitants, notamment les familles et les vacanciers français installés dans les quartiers du Rieral et du Molí. Depuis la mise en œuvre du programme « Adieu au béton », visant à végétaliser le canal del Rieral, les rues voisines sont le théâtre d’apparitions fréquentes de rats et de serpents, parfois jusque dans les cours d’écoles. Si l’objectif écologique est louable, les effets collatéraux interrogent : peut-on renaturer un espace urbain sans compromettre la sécurité et le confort des riverains ?
Qu’est-ce que le projet « Adieu au béton » ?
Un ambitieux projet de renaturation urbaine
Le projet « Adieu au béton » a été lancé par la mairie de Lloret de Mar avec l’appui du Centre d’études fluviales méditerranéennes de l’Université de Vic (UCC) et de l’entreprise spécialisée Naturalea. Son objectif ? Transformer progressivement le canal del Rieral, longtemps canalisé en béton, en un cours d’eau naturel bordé de végétation locale. L’idée est de recréer un écosystème fonctionnel, propice à la biodiversité, tout en offrant aux habitants un espace de détente et de promenade.
Des plantes comme le céleri sauvage et le cresson ont été introduites pour stabiliser les berges et filtrer l’eau. Un nettoyage sélectif a été effectué au printemps, selon une méthode jugée plus écologique que les interventions mécaniques classiques. « On voulait éviter les perturbations brutales du milieu », explique Jordi Ferrer, chargé de projet à Naturalea. « Le but est de laisser la nature reprendre ses droits, mais en douceur, avec un accompagnement technique. »
Un équilibre délicat entre écologie et urbanisme
Pourtant, cette transition douce suscite des doutes. Le remplacement du béton par des berges végétalisées, bien que bénéfique pour la faune aquatique, a également créé des conditions idéales pour d’autres espèces. L’eau stagnante, les zones humides et la végétation dense constituent des refuges privilégiés pour les rongeurs et les reptiles. Ce que la municipalité présente comme une victoire écologique est perçu par certains comme une perte de contrôle sur l’espace public.
Les habitants témoignent : une présence inquiétante de rats et de serpents
Des rongeurs en pleine rue, même près des écoles
« On n’en a jamais vu autant », confie Camille Rousseau, une mère de famille française installée à Lloret de Mar depuis deux ans. « Ce matin, j’ai dû attraper mon fils par le bras pour l’écarter d’un rat qui traversait la rue devant l’école. Il était gros, presque de la taille d’un chat. »
Elle n’est pas la seule. De nombreux témoignages convergent : les rats apparaissent en plein jour, franchissent le canal, s’engagent dans les ruelles adjacentes et parfois s’approchent des poubelles collectives ou des jardins privés. « Avant, on en voyait un de temps en temps, surtout la nuit. Là, c’est quotidien, et ils ne semblent pas effrayés », ajoute Étienne Morel, un retraité originaire de Toulouse qui loue une maison dans le quartier du Molí.
Les vacanciers français, nombreux à fréquenter la région en été, sont également surpris. « On est venus pour la mer et les balades, pas pour faire face à des rongeurs dans la rue », s’exclame Léa Dubreuil, en vacances avec ses deux enfants. « On a annulé notre promenade en bord de canal hier soir parce qu’on a vu trois rats près d’un buisson. C’est stressant, surtout avec des enfants. »
Des serpents qui sortent directement du ruisseau
Les serpents, principalement des couleuvres inoffensives selon les experts, sont également de plus en plus visibles. « Ils surgissent directement du ruisseau », raconte Mireille Vasseur, habitante du Rieral. « Un matin, j’en ai vu un qui glissait le long du trottoir, à moins de deux mètres de l’entrée de l’école primaire. Les enseignants ont dû prévenir les parents. »
Si les couleuvres ne sont pas dangereuses pour l’homme, leur apparition fréquente suscite de l’angoisse. « Beaucoup de gens ont peur des serpents, c’est instinctif », souligne le docteur Marc Lenoir, psychologue spécialisé dans les phobies. « Quand on en voit régulièrement, surtout près d’un lieu fréquenté par des enfants, cela crée un climat d’insécurité, même si le risque réel est faible. »
Les causes de cette recolonisation animale
Un habitat favorable pour les rongeurs
Les experts s’accordent à dire que la végétalisation, bien qu’écologiquement positive, a modifié les conditions du milieu. « L’eau stagnante, les herbes hautes et les zones humides sont des facteurs clés pour la reproduction des rats », explique Zoé Blanchard, biologiste spécialisée en écologie urbaine. « Ils trouvent de la nourriture, de l’eau et des abris. C’est un paradis pour eux. »
Le nettoyage sélectif, bien que plus naturel, aurait pu laisser subsister des débris organiques qui favorisent la prolifération. « En retirant la végétation sèche de manière partielle, on crée des zones intermédiaires très attractives : ni trop exposées, ni trop perturbées », ajoute-t-elle.
Un refuge pour les serpents
Pour les serpents, l’effet est similaire. Les couleuvres, souvent confondues avec des espèces dangereuses, profitent de la végétation dense pour se cacher, chasser les grenouilles et les petits rongeurs, et se reproduire. « Ce sont des prédateurs naturels des rats », rappelle Zoé Blanchard. « Leur présence pourrait même être bénéfique à terme, mais elle inquiète la population. »
Cependant, la proximité avec les zones habitées rend cette cohabitation délicate. « On ne peut pas demander aux gens de s’habituer à voir des serpents chaque jour », nuance Jordi Ferrer. « Il faut trouver un équilibre. »
La réponse de la mairie face aux critiques
Un projet maintenu, mais ajusté
Interrogée, la mairie de Lloret de Mar reconnaît les observations des riverains mais insiste sur le caractère temporaire de la situation. « Ce que nous voyons aujourd’hui fait partie du processus de transition », affirme la conseillère municipale Rosa Montaner. « Nous ne sommes pas surpris par une recolonisation animale. C’est même un signe que le projet fonctionne d’un point de vue écologique. »
Toutefois, des mesures correctives sont en cours. Des passages de désinsectisation et de dératisation ont été programmés, ainsi que des tontes ciblées pour réduire la densité végétale autour des écoles. « Nous ne voulons pas revenir au béton, mais nous devons adapter notre approche pour garantir la sécurité », précise Montaner.
Un dialogue avec les habitants en cours
Des réunions publiques ont été organisées pour rassurer les riverains. « On comprend leur inquiétude », reconnaît la conseillère. « Mais il faut aussi leur expliquer que la nature ne se réintroduit pas sans friction. Le but est de cohabiter, pas de dominer. »
Des panneaux pédagogiques sont en projet pour informer sur les espèces présentes, notamment pour distinguer les couleuvres inoffensives des serpents venimeux, très rares dans la région. Des ateliers de sensibilisation sont également prévus pour les enfants des écoles concernées.
Peut-on concilier renaturation et sécurité urbaine ?
Un défi mondial pour les villes durables
L’exemple de Lloret de Mar n’est pas isolé. Partout dans le monde, les villes tentent de renaturaliser leurs espaces urbains pour lutter contre les îlots de chaleur, améliorer la qualité de l’air et préserver la biodiversité. Mais ces projets soulèvent souvent des tensions. « La renaturation réussie ne se limite pas à planter des arbres ou à retirer du béton », explique le géographe urbain Antoine Roussel. « Elle exige une gestion fine des interactions entre nature, animaux et humains. »
À Barcelone, par exemple, des jardins urbains ont attiré des colonies de fouines, suscitant des réactions similaires. À Paris, la végétalisation des berges de la Seine a favorisé la présence de ragondins, avec des conséquences sur les berges érodées. « Chaque ville doit apprendre à gérer son propre équilibre », conclut Roussel.
Des solutions techniques et pédagogiques
À Lloret de Mar, plusieurs pistes sont envisagées. Des grilles anti-rongeurs pourraient être installées aux points de franchissement du canal. Des zones tampons, moins denses en végétation, pourraient être créées près des écoles. En parallèle, une campagne de communication vise à rassurer et informer.
« On ne peut pas tout maîtriser », reconnaît Naturalea. « Mais on peut anticiper, surveiller, et corriger. C’est un travail d’équipe : scientifiques, élus, habitants. »
Un projet qui interroge l’avenir des villes
La ville du futur sera-t-elle plus sauvage ?
Le cas de Lloret de Mar pose une question plus large : quelle place la nature doit-elle occuper en ville ? « Nous avons longtemps pensé que la ville et la nature étaient opposées », observe Zoé Blanchard. « Aujourd’hui, on réalise qu’elles doivent coexister. Mais cette coexistence demande du temps, de la pédagogie, et parfois des compromis. »
Le « poumon vert » du canal del Rieral pourrait devenir un modèle, à condition que la municipalité parvienne à maîtriser les effets secondaires de la renaturation. « Ce n’est pas un échec, c’est une phase », estime Jordi Ferrer. « Les premières années sont toujours les plus délicates. Ensuite, les écosystèmes se stabilisent. »
Conclusion
Le projet « Adieu au béton » à Lloret de Mar illustre les défis complexes de la transition écologique en milieu urbain. Si la volonté de reconnecter la ville à la nature est salutaire, elle ne peut ignorer les réalités du terrain. La présence accrue de rats et de serpents, bien que logique d’un point de vue écologique, touche à des enjeux de sécurité, de perception et de qualité de vie. L’avenir du projet dépendra de la capacité des autorités à écouter les habitants, à ajuster les méthodes et à construire une cohabitation durable entre nature et citoyens.
FAQ
Le projet « Adieu au béton » est-il suspendu ?
Non, le projet n’est pas suspendu. La mairie de Lloret de Mar maintient son objectif de végétalisation du canal del Rieral, mais adapte certaines mesures pour répondre aux préoccupations des habitants.
Les serpents observés sont-ils dangereux ?
La majorité des serpents signalés sont des couleuvres, espèces inoffensives pour l’homme. Aucune espèce venimeuse n’a été identifiée dans le cadre de ce projet à ce jour.
Les rats peuvent-ils représenter un danger sanitaire ?
Oui, une forte présence de rats peut poser des risques sanitaires, notamment par la transmission de maladies ou la contamination des espaces publics. Des actions de dératisation sont en cours pour limiter ces risques.
Comment les habitants peuvent-ils signaler une observation ?
Un dispositif de signalement en ligne a été mis en place par la mairie, permettant aux riverains de rapporter la présence d’animaux, accompagnée d’une photo et d’une localisation précise.
Des solutions à long terme sont-elles prévues ?
Oui, des ajustements techniques (grilles, tontes ciblées, surveillance écologique) et des actions de sensibilisation sont prévus pour stabiliser l’écosystème tout en garantissant la sécurité des usagers.
A retenir
Quel est l’objectif du projet « Adieu au béton » ?
Transformer le canal del Rieral en un espace naturel végétalisé pour améliorer la biodiversité et offrir un lieu de promenade aux habitants.
Pourquoi y a-t-il plus de rats et de serpents ?
La végétalisation a créé des conditions favorables : eau stagnante, végétation dense et abris naturels, attirant rongeurs et reptiles.
Les écoles sont-elles en danger ?
Aucun incident grave n’a été signalé, mais la proximité des animaux avec les établissements scolaires a conduit à des mesures de prévention renforcées.
La mairie agit-elle ?
Oui, des actions de dératisation, des tontes ciblées, des réunions publiques et des campagnes d’information sont mises en œuvre.
Peut-on cohabiter avec cette nouvelle faune urbaine ?
La cohabitation est possible, à condition de combiner gestion écologique, surveillance et dialogue avec les habitants.